PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

in Le huffingt onpost :

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Plus de 60% de la population vit en zone rurale ou dans les villes petites et moyennes. Cette réalité politique et sociologique, les élections présidentielles et législatives nous l’a fait redécouvrir. Chacun pointe aujourd’hui le sentiment d’abandon de nos concitoyens, la disparition des services publics, ces no man’s land où prospère le vote Le Pen, la France "franchisée", désespérée et déclassée qu’il faut "réinvestir". Cet enjeu ne doit pas être sous-estimé. Il réinvente le rôle des politiques et des élus de proximité dans ces territoires.

Une nouvelle ligne de fracture au sein de la société française oppose les grandes villes et les métropoles aux territoires périurbains en voie de marginalisation et de paupérisation. Les ménages d’ouvriers, d’employés et de techniciens, qui ne peuvent accéder à la tranquillité supposée de l’habitat pavillonnaire qu’au prix d’un éloignement toujours accru, sont rejetés de plus en plus loin à la périphérie, dans les nouveaux lotissements de communes jadis rurales. Ces catégories sont aussi les plus exposées : menaces sur le pouvoir d’achat, renforcées par l’augmentation continue des dépenses de logement et de transport ; menaces sur l’emploi ; menaces sur les trajectoires sociales, de plus en plus individualisées, risques de déclassement qui touchent les couches moyennes et leurs enfants. La relégation spatiale vient redoubler la marginalisation économique.

Bien sûr, des mesures doivent être prises pour relancer l’activité productive et mettre un terme à la désindustrialisation accélérée des territoires. Mais pour contrecarrer ces tendances lourdes, une intervention des collectivités locales est indispensable sur trois champs : promouvoir d’autres formes d’urbanisation, permettant de densifier les espaces résidentiels et d’enrichir les rapports entre les habitants ; apporter aux populations de ces territoires relégués les services publics et les équipements indispensables ; retisser le lien social entre les habitants et leur permettre de retrouver toute leur place dans l’espace civique. Ces missions-là constituent pour les départements des champs nouveaux d’innovation économique et sociale pour éviter une tectonique des territoires qui conduirait l’espace national à se désagréger en un archipel de lieux privilégiés, réservés à des élites urbaines, au milieu d’un espace devenu résiduel, peuplé de familles populaires abandonnées à leur sort.

L’urbanisation : c’est confier la compétence du logement hors agglomération aux départements avec des moyens. Les services publics : nos concitoyens ont été frappés par le retrait des administrations d’Etat, la désertification médicale, la disparition des équipements commerciaux. Les départements, qui auront pour cela besoin de l’aide du gouvernement, doivent démontrer à ces populations qu’ils sont en mesure de leur témoigner soin et attention, et de consentir un effort accru de solidarité : présence de services publics et privés, systèmes de transport collectifs à la demande, accès aux services numériques à très haut débit, programmes de soutien et de remédiation scolaire, animations culturelles exigeantes. Dans tous les départements rurbains qui comme l’Eure ne disposent pas d’une grande métropole, nous devons libérer les initiatives et les expérimentations. Pourquoi ne pas imaginer une contractualisation spécifique des départements avec l’Etat sur ces objectifs ? Les fonds européens que l’on concentre sur de grands projets dits "structurants" gagneraient sans doute à être orientés pour nous aider à construire un mieux vivre ensemble et des politiques publiques ambitieuses qui facilitent le quotidien, les déplacements, l’accès au savoir et à la culture.

On a moqué le "care". Pourtant, dans ces territoires, le besoin de politiques de solidarité qui dépassent le simple versement d’allocations s’exprime fortement : créer de l’interaction, un sentiment d’appartenance, rompre les solitudes. Ici encore, la responsabilité revient essentiellement, pour ce qui concerne notamment les compétences sociales, aux départements. Pour permettre de retrouver des relations diversifiées et authentiques, il est indispensable de conforter, parfois même peut-être de reconstituer le tissu des solidarités nécessaires à l’animation de la vie locale. La reconnaissance, l’accompagnement des "aidants" qui soutiennent un proche, un parent confronté au grand âge et à la dépendance, cela peut être aussi – nous le démontrons dans le département de l’Eure – une politique publique.

Le rôle des élus locaux, présents sur le terrain, proches de leurs administrés, est dans ces territoires essentiel. Je veux finir sur ce point. L’élection des conseillers généraux au suffrage universel leur donne un surcroît de légitimité indispensable. Ils font entendre une réalité qui sans eux serait étouffée. Ils irritent parce qu’ils brandissent à chaque instant les besoins de leur canton ! Ils sont en réalité une force irremplaçable : ils comptent, ils connaissent leur territoire, ont su le conquérir, en sont l’émanation directe. Ils sont une richesse, y compris pour leur propre Parti dont ils constituent par ailleurs un vivier solide. Les déconsidérer, ce serait élargir davantage encore ce trou béant qui sépare de plus en plus les deux France, celle qui crée et celle qui souffre. Et c’est mépriser une respiration démocratique.

Une nouvelle forme de construction des politiques publiques reste à inventer, pour impliquer davantage leurs bénéficiaires, nos concitoyens, et les associer à la définition des orientations comme des dispositifs, une forme de militance du "construire ensemble" que seuls des élus et des collectivités de proximité peuvent proposer. J’ai la conviction que nous pouvons construire ainsi un rôle nouveau pour les départements.

C’est d’ailleurs pourquoi, au-delà de la délimitation des champs de compétence des uns et des autres, l’avenir de nos territoires passe sans doute aussi par des "pactes de gouvernance territoriale" négociés dans chaque région entre les principales collectivités pour construire – en fonction des réalités de chacun – des politiques publiques offensives, adaptées aux besoins, comme cela a été préfiguré en Haute-normandie.

L’action publique, ce n’est pas une technique, c’est d’abord une volonté, la connaissance des besoins et des moyens pour agir. Dans les territoires ruraux ou rurbains, les acteurs de proximité que sont les communes et les départements sont indispensables à la construction du pacte social. Pourra-t-on demain inventer une décentralisation "à la carte" permettant une diversification de l’organisation territoriale afin de la rendre plus pertinente : là, les métropoles et agglomérations gèreront les principales compétences de proximité ; ailleurs, dans la ruralité ou dans les territoires composites, les départements seront responsables de la qualité du lien social. Agissons, construisons et inventons ! Les Français attendent de l’action publique qu’elle se transforme pour s’adapter à leurs besoins contemporains.

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