Nous discutons, dans un premier temps, les principaux résultats en les articulant au
modèle théorique auquel nous nous référons. Puis, nous exposons les principaux apports et
limites de cette recherche. Enfin, nous mettrons en avant les perspectives de recherche qui
découlent de notre étude.
1. LES LIENS AVEC LES REFERENTS THEORIQUES
L’objectif de la recherche était d’appréhender les relations existant entre les pratiques
d’internet des adolescents, la mobilisation scolaire et les représentations de l’engagement
éducatif de l’Adulte (parents et enseignants). Plus précisément, il s’agissait d’identifier
l’impact des pratiques numériques des collégiens sur leur mobilisation scolaire en examinant
les nuances de ce lien apportées par la variable modératrice des représentations de
l’engagement de l’Adulte (parents et enseignants) vis-à-vis d’Internet. Cette recherche visait
à éclairer les enjeux inscrits dans ces pratiques numériques ainsi que les conditions d’usage
allant interagir dans la construction du sens accordé à leur scolarité par les élèves.
Les travaux et éléments théoriques présentés en première partie montrent comment
l’appropriation des technologies de l’information et de la communication par les adolescents
s’est réalisée à une vitesse stupéfiante, creusant l’écart non seulement avec la génération
précédente mais également avec l’école (Endrizzi, 2012 ; Lardellier, 2006 ; Breuleux et
al., 2005 ; Stahl, 2009 ; Chaptal, 2007,…).
En effet, le numérique, à travers Internet et
l’ensemble des outils de communication en « temps réel » dont il permet l’usage, a changé
radicalement notre mode d’accès à l’information. N’importe quel élève peut accéder instantanément
à une foule de données. Tout cela donne le sentiment que le savoir est accessible
à tous et contribue à nourrir l’illusion de la démocratisation du Savoir et au-delà le mythe
de l’égalité des chances au niveau scolaire. Toutefois, ces travaux nous révèlent que les recherches
scolaires ne sont pas l’usage privilégié des adolescents qui se sont emparés des
possibilités nouvelles qu’Internet met à la disposition de chacun, pour se retrouver entre
eux, dans une quête effrénée de l’autre. En effet, les nouvelles technologies ne facilitent pas
la maîtrise des exigences pulsionnelles propres à l’adolescence et ne favorisent pas
l’apprentissage d’une temporalité qui autorise un temps différé de la satisfaction pulsionnelle
(Lauru, 2010).
Ces propos attestent de l’actualité de notre étude relative à la visibilité de la place de
l’Adulte (parents et enseignants) dans le rapport à l’apprendre de l’adolescent.
Cette recherche se situe dans une démarche préventive avec pour objectif de mettre en
valeur ce qui prédit la mobilisation scolaire des adolescents afin de cibler au mieux des interventions
en faveur des parents, des enseignants et des adolescents. La notion de mobilisation
scolaire renvoie au processus psychologique qui anime la trajectoire scolaire de
l’adolescent, ponctuée d’expériences et de choix d’orientation, se situant bien en amont de
l’échec ou de la réussite scolaire (Charlot, 1997). En lecture négative, nous concevons la
démobilisation scolaire comme un processus psychologique qui désigne sur un continuum
la perte de sens et de valeur accordée à l’école et aux savoirs. La conception de la mobilisation
scolaire comme un processus psychologique permet en lecture positive d’entrevoir le
rapport à la scolarité d’un point de vue dynamique, susceptible d’évoluer, constituant un
axe de prévention non négligeable de l’échec scolaire. La mobilisation scolaire s’avère particulièrement
importante dans la compréhension de la manière dont l’élève conçoit l’école, se
pense comme apprenant et s’engage dans le travail scolaire (Bardou, 2011).
La typologie de
la mobilisation scolaire en approfondissant la notion de sens et en permettant de distinguer
cinq profils de mobilisation scolaire nous autorise à qualifier plus précisément le vécu scolaire
de l’adolescent et de nuancer son positionnement sur le rapport à l’école et sur le rapport
à l’apprendre. L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes nous a permis de situer
4 adolescents dans un processus de mobilisation signifiante passive où le sens à la scolarité
est essentiellement fondé sur l’aspect relationnel (pairs) et le rapport à l’apprendre est basé
sur des mobiles externes ; 3 adolescents dans un processus de mobilisation signifiante active où
les savoirs évalués par rapport à leur utilité leur permettent d’être mobilisés à la fois sur et à
l’école et 2 adolescents dans un processus de mobilisation avec sens où le rapport à l’apprendre
est axé sur le plaisir de savoir. L’analyse lexicométrique a confirmé ces résultats. La prise en
compte de cette posture théorique induit si elle est transposée sur un plan pratique, une
posture clinique et donc un axe de réflexion et d’intervention tant avec les adolescents, que leurs parents mais aussi les enseignants que nous développerons dans les perspectives de
cette recherche.
2. APPORTS DE LA RECHERCHE
Le recul de ces années de thèse nous permet d’analyser les implications et perspectives
de notre étude, tant sur le plan de la recherche en psychologie que sur le plan de la pratique
professionnelle.
2.1. AU NIVEAU THEORIQUE
Sur le plan de la recherche, notre étude a permis de nous centrer sur les processus
qui différencient les adolescents entre eux, du point de vue du sens personnel,
plus ou moins mobilisateur et efficace, qu’ils accordent à l’école et aux savoirs enseignés,
tout en tenant compte de leurs pratiques numériques et de l’engagement éducatif
de l’Adulte.
Notre revue de la littérature a fait apparaître une carence relative de travaux prenant
en compte le sens accordé par les adolescents à leur scolarité et à
l’apprentissage. En recourant à la notion de sens, nous contribuons à rendre visible
la place de l’adulte dans le processus développemental et dans la constitution du
rapport au savoir et du rapport à l’apprendre de l’adolescent.
Nos résultats permettent de confirmer la présence de différences entre adolescents
ayant élaboré des représentations de l’engagement éducatif des parents vis-àvis
d’Internet en lien avec la scolarité et ceux ayant élaboré des représentations de
l’engagement éducatif des parents relatives au contrôle et à l’intérêt porté à l’usage
d’Internet sur le plan des pratiques culturelles. Nos résultats quantitatifs confirment
l’idée selon laquelle l’engagement éducatif des parents vis-à-vis d’Internet perçu par l’adolescent lui ouvre d’autres possibles dans ses pratiques lui permettant d’aller au-delà
des pratiques d’Internet exclusivement ludiques et communicationnelles. Les
adolescents ayant élaboré des représentations de l’engagement éducatif parental vis-à- vis d’Internet en lien avec la scolarité investissent la sphère culturelle d’Internet.
La validité de notre modèle initial se trouve intégralement confirmé par les résultats
obtenus à l’issue des analyses de la situation de l’adolescente 4. En effet la cohérence
observée dans les liens entre les représentations de l’engagement éducatif des
parents et des enseignants vis-à-vis d’Internet témoigne que le sens se co-construit
dans l’interaction des différents milieux. L’influence des pratiques d’Internet sur la
mobilisation scolaire, loin d’être mécanique, dépend de la manière dont les sujets
s’approprient et signifient de manière singulière leur situation et ce en interaction
avec des « autruis » significatifs.
La cohérence du milieu familial et du milieu scolaire institue un « collectif »
symbolisant la dimension de verticalité restaurant un minimum de « temporalité scolaire
». Meirieu (2012) l’exprime autrement en mettant en évidence l’importance
d’une alliance entre les parents et les enseignants d’une part faisant écho à la collaboration
école – famille préconisée par Lescarret et Safont- Mottay (2008), et en
soulignant d’autre part, la nécessité pour l’Ecole de s’instituer à l’égard des nouvelles
technologies comme « espace de décélération ». En outre, Chaulet (2009, p. 59) souligne
que « les adolescents ne sont peut-être pas tous également armés pour définir de façon autonome les
limites à des usages au fort potentiel attractif » corroboré par nos résultats mettant en
exergue que les pratiques d’Internet peuvent avoir un effet négatif sur la mobilisation
scolaire de l’adolescent dès lors que celui-ci n’a pas élaboré des représentations
de l’engagement éducatif de l’adulte (parents et/ou enseignants) vis-à-vis d’Internet
Par ailleurs, les résultats issus de l’analyse lexicométrique apportent des précisions
quant à l’effet différencié des représentations élaborées par l’adolescent de l’engagement
éducatif de l’adulte (parents et enseignants) vis-à-vis d’Internet sur la dimension identitaire
de l’adolescent spécifique au scolaire renvoyant au sentiment d’évaluation de soi suscité par
les résultats obtenus et au positionnement de l’adolescent par rapport à la réussite scolaire.
Tout au long de l’adolescence, la conception évaluative de soi se trouve en partie construite
par l’intériorisation des jugements positifs ou négatifs des autres significatifs (Wallon,
1959). Il semble pertinent de se référer aux travaux de notre équipe et en particulier à ceux
de Bardou (2011) dont les résultats étayent le statut médiateur de l’estime de soi dans la
relation entre l’engagement éducatif parental perçu et la mobilisation scolaire de
l’adolescent.
2.2. AU NIVEAU METHODOLOGIQUE
L’intérêt de cette thèse est le choix de la méthode » de la phénoménologie qui se distingue
de toute démarche démonstrative ou vérificatrice séparée du contenu de l’expérience
elle-même. La phénoménologie requiert ainsi une méthode nouvelle que nous apparentons
à la démarche inductive (Perrin, 2005) dans la mesure où la structuration de notre réflexion
s’est basée sur un positionnement actif du chercheur dans la problématisation de la thématique.
Cette démarche nous amène à comprendre les processus qui relient des variables
données (Maxwell, 1999), en s’attachant particulièrement à la signification des événements
et des activités pour les personnes impliquées et l’influence du contexte sur ces variables.
La méthode phénoménologique consiste en la réduction permise par L’« époché ». Sous
ce terme d’époché qui signifie en grec « arrêt, interruption, suspension », Husserl (1907) entend
signifier le mouvement initial de la réduction, premier mouvement qui s’inscrit dans le
prolongement de l’attitude sans présupposition. Il s’agit en effet littéralement de s’arrêter,
c’est-à-dire d’interrompre le flux des pensées quotidiennes qui sont autant d’opinions ou de
convictions, et de s’interroger sur leur prétention à la vérité, de dépister en chacune d’elles
un préjugé qui s’ignore. C’est bien cette posture de recherche qui nous a permis dès
l’analyse quantitative d’arriver à des résultats qui sont à l’encontre des idées reçues.
En effet, nos résultats quantitatifs contredisent l’idée reçue selon laquelle la localisation
de l’ordinateur dans la chambre de l’adolescent l’inciterait à utiliser Internet d’une manière
significativement plus intensive. De même, nos résultats nous amènent à constater que le
temps passé aux devoirs le week-end est corrélé avec l’intensité d’utilisation d’Internet le
week-end contredisant l’idée préconçue qu’un usage intensif d’Internet par l’adolescent se
fait au détriment de la réalisation de ses devoirs. Ce ne sont donc pas des pratiques intensives
qui peuvent expliquer le processus de la démobilisation scolaire. Il est bien entendu
que nous ne nous référons pas ici aux adolescents dont l’usage intensif est lié à une addiction
aux jeux vidéo qui comme le souligne Disarbois (2009, p.2) « vient empêcher le second processus
de séparation-individuation (P. Blos) que constitue l’adolescence ».
Le résultat auquel nous aboutissons avec l’étude de cas corrobore cette constatation.
Mais elle nous permet également d’aller au-delà en nous faisant percevoir comment interagit
la relation entre les pratiques éducatives parentales en prenant en compte la différenciation
de la fonction paternelle et de la fonction maternelle et la mobilisation scolaire de
l’adolescent. De plus, elle valide la pertinence de notre modèle car l’adolescent, en se distanciant
de ses représentations de l’engagement éducatif parental et en les re-signifiant,
réussit à se remobiliser, à retrouver le désir d’apprendre et à déplacer son rapport narcissique
à la performance, au sentiment d’être capable, d’être valable par le jeu sur la confiance
retrouvée envers ses réalisations scolaires.
L’étude de cas atteste qu’en faisant un travail sur les représentations de l’engagement
éducatif des parents, le changement de fonctionnement psychique s’opère confirmant que
le processus de mobilisation scolaire est un processus psychologique dynamique, qui peut
évoluer. Ce résultat a permis de donner tout son sens à ma démarche de thèse, ancrée dans
le désir de lier la recherche à la pratique en Psychologie, nous amenant aux perspectives
qu’elle dessine après en avoir souligné les limites.