Par François Durpaire, historien, Béatrice Mabilon-Bonfils, sociologue, université de Cergy-Pontoise :
Accéder au site source de notre article.
La rentrée scolaire s’ouvre sur un projet de grande ampleur, rien de moins que "refonder l’Ecole de la République", une école mise à mal par les réductions budgétaires depuis cinq ans, mais surtout une école en souffrance.
Au-delà des questions de moyens, pour construire un espace de partage et bâtir un projet commun, il faut redonner à l’école la confiance, seule à même de recréer du lien. Cette confiance est à reconstruire à tous les niveaux : entre les collectivités territoriales et l’Etat (avec un souci de clarification des responsabilités), entre les enseignants et les élèves, entre les parents et les enseignants, entre l’école et ses partenaires associatifs, culturels et économiques.
La confiance est un moyen – l’école doit s’appuyer sur cette confiance pour fonctionner – mais elle est aussi une finalité. L’école en refondation doit se donner pour mission de construire chez l’enfant la certitude qu’il peut réussir. Notre système a trop souvent péché parce qu’il ne mettait l’accent que sur le négatif. La sanction plutôt que la récompense. La peur d’échouer plutôt que l’encouragement à progresser.
La concertation nationale lancée début juillet par Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, bat son plein. Des centaines d’experts et d’enseignants échangent autour de quatre thématiques : la réussite scolaire pour tous, les élèves au coeur de la refondation, un système éducatif juste et efficace, des personnels formés et reconnus. Cette concertation sera suivie d’une phase de négociation avec les organisations syndicales avant que ne soit discutée et adoptée à l’automne la loi d’orientation et de programmation pour l’éducation.
Un des premiers actes de cette confiance serait la promotion d’une école dont les valeurs républicaines irrigueraient la société. Rétablir l’école du vivre-ensemble implique d’aborder la fracture scolaire, à la fois conséquence et cause (non exclusive) de la fracture sociale, de la relégation culturelle, des carences cumulées des politiques urbaines, du recul de l’Etat et des institutions, de la crise de la citoyenneté collective. Dès sa création, le projet de l’école de la République fut politique : il s’agissait non seulement de transmettre des connaissances disciplinaires, mais aussi de forger un sentiment d’appartenance commune. L’école publique a été l’outil privilégié de la "fabrique" du citoyen.
Au moment où la France connaît une crise d’identité, l’école doit être le ciment de nos nouvelles solidarités. Créer du commun tout en étant capable d’une attention particulière à chacun, c’est l’équilibre que doit atteindre l’école du XXIe siècle. L’annonce de "cours de morale laïque" pour la rentrée 2013 va dans ce sens. Former les enseignants à la diversité des élèves, mais aussi à la manière de transmettre les valeurs communes est l’enjeu essentiel.
Mais pour assurer cette formation, il faut produire de l’expertise dans le domaine du vivre-ensemble : créer le premier laboratoire de recherche sur les questions de diversité doit donc être une priorité pour un pays de plus en plus marqué par la pluriculturalité.
Refonder une école de la confiance, c’est en faire le lieu où s’établira le lien social, un lien qui se distingue de l’entrave en ce qu’il se noue mais peut aussi se dénouer. Car notre unité n’a jamais été donnée d’avance. L’école peut en redevenir un des acteurs majeurs, en refondant un droit commun qui cohère les singularités multiples.
Le deuxième axe serait d’inscrire l’autonomie des établissements scolaires dans la réalité de l’action éducative. Depuis 1985, les collèges et les lycées disposent d’une autonomie d’organisation, mais cette autonomie reste le plus souvent théorique. Pour que la confiance soit rétablie, la loi devrait redonner les règles générales, mais éviter de produire une avalanche de textes d’application entrant dans des détails aussi inutiles que contre-productifs. Donner de l’autonomie à l’établissement permettrait d’en responsabiliser les acteurs.
Un troisième axe essentiel serait de clarifier les finalités de l’école. La guerre des disciplines doit cesser. Il est temps de comprendre que la formation passe par des approches complémentaires. Les démarches pédagogiques doivent être en phase avec la vie des élèves : faire appel à leur créativité, stimuler leur curiosité, les faire travailler avec les outils de leur vie quotidienne (tablette, smartphone…), nourrir leur capacité d’analyse critique, leur proposer des actions concrètes.
C’est ce que le pédagogue John Dewey appelait "apprendre par l’action". Cette démarche permettrait de transmettre des pratiques citoyennes concrètes, et non des valeurs théoriques qu’on connaît sans les appliquer.
Le quatrième axe consisterait à repenser l’évaluation. Pour aller vers une école plus détendue et valoriser le plaisir d’apprendre, il faut rompre avec la hiérarchisation permanente des élèves. Plutôt que de traquer uniquement l’échec, un système d’"évaluation des réussites" doit être mis en place. Il est possible de se dispenser d’une notation arithmétique qui pénalise les élèves et désespère leurs familles. N’oublions pas qu’étymologiquement le savoir – sapere – renvoie à l’envie de "goûter". Notre nouvelle école doit fournir un réservoir d’exemples positifs, soutenir le projet de chaque élève et s’appuyer sur le désir et la motivation.
Enfin, le vivre-ensemble doit être alimenté par des partenariats construits sur la base de projets éducatifs. Quelques initiatives étrangères peuvent nous servir de modèles. La municipalité de New York a par exemple intégré avec profit l’éducation dans son programme d’agriculture urbaine (Trust for Public Land). L’entretien de "jardins communautaires" permet tout à la fois la rencontre entre des élèves et des enseignants issus de quartiers différents et la transmission de comportements écocitoyens.
La loi d’orientation devra se traduire par des actes concrets et mobilisateurs. Le premier devrait être la reconstruction de la formation des enseignants comme levier de ce changement. Le second serait la redéfinition du service des enseignants : il s’agit de le rendre compatible avec une responsabilité qui dépasse celle de dispensateur de savoirs pour aller vers la construction de citoyens éclairés et créatifs, confiants dans leur avenir et dans celui de leur pays.