PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Université d’Été de PRISME – 2011

au Cnam de Paris

 

Le regard de Jean-Claude Guerin :

IGEN Honoraire

LE CONTINENT EDUCATIF: FRACTURES-DERIVES-SYMBIOSES-REAGENCEMENTS ?

De savoirs "offerts" séparés et cloisonnés à des savoirs "conquis" en situations vécues.

Le chemin des compétences, fondement d’une éducation des temps qui viennent: globale, partagée, permanente.

Quelques remarques sur nos débats et nos interrogations. Un travail original car il n’est pas celui de chercheurs mais de confronteurs de recherches aux pratiques et réalités pour en dégager les pistes d’action possibles

Pas celui non plus de politiques ou sectateurs de dogmes mais de défricheurs d’enjeux et débusqueurs de défis.

Encore moins de pragmatiques sans horizons, adeptes du tout ce qui bouge est forcément novateur mais des empêcheurs de tournicoter en rond en se posant la question où va t-on? où veut-on arriver? Pour qui et pour quoi?…

Ces deux journées autour de la thématique des compétences donnent l’impression d’une révolution copernicienne en cours et d’un déplacement des points de vue qui par leurs croisements comme par leurs confrontations aux changements à l’œuvre dans les pratiques sociales ouvrent des chantiers porteurs à la fois d’avenir et d’actions efficaces.

C’est aussi le reflet d’une prise de conscience encore plus vive des défis et des enjeux d’une politique d’éducation de tous renouvelée et, plus encore, refondée pour être cohérente aux différents niveaux et plans locaux (proximité) et planétaires (le contexte avec ses multiples imbrications).

 -I- IDEES FORCE et MOTS MESSAGERS

 Deux grandes idées ont traversé (et guidé) interventions et débats:

– La "co-construction": l’idée forte de construire ensemble le savoir de chacun, en interaction, qui pose le "comment" peuvent s’organiser toutes ces interactions (entre les lieux, les moments, les âges, les situations…)? Nous sommes encore dans le mouvement (des tâtonnements, des essais)) sans bien savoir ce qui se passe effectivement du point de vue des acquisitions et des processus cognitifs.

– La "globalité": en fait une notion qui se réfère autant à la diversité qu’à l’unicité et apporte une clef pour donner unité à ce qui est (ou apparaît) disjoint. L’individu est un être global, l’éducation est globale, les compétences sont globales, le monde est global… avec la première conséquence, celle du refus du saucissonnage et du découpage en tranches, des cloisonnements étanches.

De ces "idées" sont inséparables trois autres termes constamment retrouvés dans les échanges: dynamiques, processus, développement. Et qui nous font appréhender concrètement la complexité des systèmes.

A ce propos nos journées ont montré l’importance de la vigilance sur l’usage des "mots" et la nécessaire précaution de les définir et de les faire définir. Le vocabulaire est riche de mots utilisés par (presque) tout le monde mais dont le sens diffère selon celui (celle) qui l’emploie ou l’entend… et que le concept de compétences oblige à disséquer.

Parmi ces mots qui ont voyagé parmi nous je me contenterai d’en lister quelques uns qui méritent cette vigilance:

Inclusion – intégration – insertion; civilité – civisme – citoyenneté; concurrence/émulation à rapprocher de compétitivité,  productivité,  performance; parcours, évaluation; société du savoir ou de la connaissance…

Et quelques formules  comme autant de petits cailloux repères

La compétence ne se découpe pas en tranches

"On" apprend toujours tout seul mais "je" n’apprends que par rapport aux autres

Comment assurer collectivement la qualification d’une personne

Compétences de base fondamentales pour que chacun(e) puisse et sache choisir ce que l’on veut/peut faire

Compétences citoyennes, un lien entre le prendre soin de soi et des autres, un outil pour le bien être social

-II- UN CONTINENT EDUCATIF BOUSCULE

 Aborder les questions éducatives, et celle du savoir, par les compétences et le "socle" c’est aussi prendre la mesure des secousses telluriques qui affectent  le continent éducatif (et pas seulement en France ou en Europe). En effet parler du continent éducatif c’est parler des différents champs éducatifs, des fonctions éducatives qui ne peuvent plus se réduire ou se limiter au champ scolaire, au temps libre, à l’extrascolaire…

Nous sommes dans la tectonique des plaques qui fractionne le continent éducatif, constitué des trois types d’éducation répertoriés (éducation formelle, non formelle et informelle), les différentes zones que l’on appelle par habitude ou inconscience (!) péri scolaire ou extra scolaire dans le prolongement ou à côté de l’Ecole. Des "plaques" longtemps considérées comme complémentaires ou soutien à la scolarité. Mais de plus en plus devenant une forme "d’externalisation" de ce que l’Ecole ne sait plus, ne veut plus ou ne peut plus faire. Devenant aussi des activités concurrentielles considérant l’enseignement et l’éducation comme un immense marché d’avenir.

L’éducation et le savoir, de biens publics accessibles à tous et droit pour chacun tendent à devenir simples marchandises ou produits réservés seulement à ceux disposant déjà du capital culturel. Comment ce continent se disloque ? Qu’est-ce qui s’écarte? Qu’est-ce qui se confronte? Qu’est-ce qui entre en collision? Nous sommes déjà en phase de télescopage sur tout ce qui se déploie (initiatives, services, expériences…) autour de la réussite éducative ou de ce qui se déroule avec l’accompagnement à la scolarité, les structures d’insertion… Et maintenant l’exploration des compétences acquises "hors de l’école"  qui bute sur les "pratiques" et l’organisation scolaires (Individu? Citoyen? Elève? Jeune?…).

La plaque scolaire formelle se lézarde, se fractionne, connaît des éruptions, des accès de fièvre… Les plaques non formelles et informelles se heurtent ou s’écartent, des failles apparaissent et s’élargissent: la plaque "familiale" se fendille, de nouveaux acteurs et professionnels investissent quelques champs nouveaux sur des terrains laissés en jachère (le "marché de l’angoisse")… Les concurrences se généralisent et s’accroissent entre institutions, associations et services marchands.

Grande question urgente: tous ces éléments qui se disjoignent, s’écartent, se télescopent (pensons à la multitude de dispositifs qui surgissent chaque année, dans tous les secteurs, tous les champs éducatifs) peuvent-ils se repenser, se retrouver, se remettre en cohérence dans le cadre et sur la base d’une politique éducative globale? Politique fondée sur une double globalité:

– celle de la personne, centre des préoccupations éducatives

– celle du lieu de vie, centre de toutes les activités et des échanges (le territoire).

Ce qui suppose l’analyse collective des besoins  sociaux et individuels

-III- L’APPROCHE PAR COMPETENCES, MOYEN DE REPONDRE AUX DEFIS SOCIAUX, CULTURELS ET ECONOMIQUES.

  L’approche de la question éducative par le "socle commun des compétences" et plus précisément par les "Huit compétences clefs européennes" fournit une base de travail tant sur les objectifs d’acquisition par les jeunes (et les moins jeunes) que sur le partage coordonné des actions. Si on y ajoute le "livret expérimental des compétences" et les diverses initiatives associatives, il y a là un matériau de qualité pour mettre en œuvre, dans la perspective de construction d’une Education tout au long de la vie, une Education première ou fondamentale répondant aux besoins sociaux collectifs comme à ceux des individus.

Encore faut-il se mettre au clair sur le contenu et le sens des termes employés comme sur les relations entre ceux là et les valeurs, les principes qui les inspirent.

Le terme de "compétences" est non seulement polysémique, mais il conduit à des représentations différentes selon l’expérience vécue et la place sociale (ou professionnelle) de chacun, selon des convictions ou appréciations sur les connaissances ou la culture. Il mène inéluctablement aux interrogations sur les savoirs (et leur utilité personnelle et sociale), les conditions de leur acquisition (les pratiques sociales) et les manières de les transmettre.

Mais cela ne suffit pas! La tâche est complexe: il faut tout à la fois déminer, rêver, clarifier… Rêver de manière réaliste en anticipant sur les possibles, sur ce qui vient ou peut se produire.

"Arithmétiquement, le plein emploi aujourd’hui appellerait une durée du travail de l’ordre de 30 heures par semaine sur une vie active poursuivie jusque vers 70 ans!… dans la société que nous préparons, la fête, le sport, l’éducation et le soin des enfants, les relations amicales, la musique et la culture, la vie associative et politique prendront la moitié de notre vie éveillée avant la vieillesses. Y a t-il des gens à qui cela ferait peur?" (Michel Rocard, Journées de Strasbourg).

Anticiper sur les possibles c’est une redoutable alternative: aller vers une société de responsabilité et d’échanges, de respect de l’autre en apprenant à maîtriser l’incertain et les risques; ou bien sombrer dans le chaos, les peurs, les pénuries, les catastrophes?

Une des pistes porteuses est celle des "échanges réciproques" comme contre pied au "marché de la connaissance". Probablement une alternative (comme les universités populaires ou les "cafés pédagogiques") au système marchand préfiguré par "l’acadomiasation" où ceux qui souhaitent apprendre  sont des clients et non plus des usagers. On y retrouve surtout cette notion de réciprocité où la "valeur" d’un savoir n’est pas hiérarchique ou monétaire mais liée à un besoin (ou un désir) personnel et où l’échange est dicté par l’usage. Ce "marché" particulier ne se conjugue t-il pas avec l’histoire des formes coopératives, voire celle de l’économie sociale

-IV- LE SOCLE COMMUN: VOIE PRIORITAIRE POUR UNE EDUCATION PARTAGEE REPONDANT AUX ENJEUX COLLECTIFS

 Quelques citations glanées récemment dans la presse sont au cœur des préoccupations et au centre des compétences que chacun devra posséder si l’on veut conjuguer émancipation/autonomie de la personne avec un progrès social et collectif (le "bien être"?).

Sans céder aux sirènes du déclinisme mais au contraire en faisant une analyse sans faux fuyants, quelques constats récents semblent à la fois souligner l’urgence de choix de société et placer la question de l’Education au premier rang des réponses à apporter.

La tragédie japonaise rassemble trois types de cataclysmes habituellement distingués. Elle est à la fois naturelle, morale et industrielle, et fait vaciller toute l’idéologie du "progrès" (Jean Pierre Dupuy).

Vivre et penser le temps des catastrophes. La tragédie japonaise semble avoir mis à mal un modèle de développement tourné vers un développement effréné de la consommation. Peut-on prévoir les cataclysmes? Comment vivre dans nos sociétés du risque? L’ère de la consommation et du confort va s’achever. Le capitalisme est devenu un système autodestructeur. (Harald Welzer). 

C’est le mythe du progrès et de la sécurité qui est en train de s’effondrer. Plus que jamais, nous sommes dans la société du risque, voire du désastre… (Ulrich Beck)

Le genre humain, menacé. Il sera bientôt trop tard pour remédier aux catastrophes écologiques et à leurs conséquences sociales et politiques. (Michel Rocard, Dominique Bourg, Florent Augagneur).

Mensonge méritocratique. Les cadres supérieurs ont souvent des compétences moindres que leurs subalternes. Comment sortir de ce paradoxe? (Richard Sennett)

Les ateliers ont exploré, à partir de ce point de vue global, les compétences  requises ou acquises par et pour quelqu’un(e) dans des situations ou activités données et les besoins sociaux ou individuels auxquels elles répondent.

Dans l’économie sociale et solidaire (notamment pour le diagnostic et le suivi d’un projet, la gestion à long terme), comme au sein des "familles" (en particulier les capacités d’expression et de questionnement) on apprend en permanence. Dans les activités de temps libre (et précisément la mise en œuvre d’un projet, sa gestion dans le temps et sa durée) on a pu percevoir le croisement (et donc le renforcement réciproque) de compétences expérimentées pour répondre à des objectifs et des "situations problèmes" devenant ainsi "transférables".

Démonstration est faite que les huit compétences se travaillent, s’acquièrent, se lient et s’entretiennent en tout lieu, à tout moment, dans toutes les situations, à tout âge à partir de questionnements et d’activités de celui (celle) qui apprend.

Trois conditions, cependant, nécessaires à cette démarche et ces mises en lien:

– la mise en œuvre des continuités éducatives (les relations entre toutes ces activités dans le temps et l’espace),

– l’accompagnement indispensable en termes d’échanges réciproques et intergénérationnels,

les formalisations indispensables à la capitalisation des savoirs acquis (et les évaluations).

Le seul outil qui nous reste est l’éducation pour essayer de participer à une construction d’un avenir humain vivable. Ce qui implique d’avoir une vision politique centrée sur la personne.

L’accès possible pour tous à l’acquisition du socle commun, permettra de s’intégrer mieux et de comprendre aussi bien soi que les autres. L’échange réciproque et l’accompagnement doit permettre à chacun d’enrichir ses compétences et de faire acquérir des compétences. Par ce regard, la question de l’éducation se pose différemment: l’interférence entre les lieux, les possibilités d’appui et d’échanges  obligent à reconstruire les différentes formes d’éducation.

L’entrée dans un nouveau système éducatif avec l’outil du "socle" ou des "compétences clefs" entraîne une dynamique de recomposition des lieux et des moments d’éducation et de nouvelles articulations/coopérations entre les trois types d’éducation formelle, non formelle et informelle. Elle redonne du sens à l’apprentissage par les modalités des continuités éducatives et des formes plus participatives de co-productions des savoirs. Il ne s’agit plus d’une "réforme" clefs en mains mais d’une co-construction en réseau souple par tous les acteurs éducatifs (enfants et jeunes compris)

Qui dit socle dit aussi nécessairement fondations. Ces fondations sont les valeurs et principes à la source d’un projet global collectif visant l’autonomie des personnes (l’individuation) dans le cadre de l’émancipation collective.

Mais le socle fondamental (les huit compétences) constitue un levier essentiel pour le principe de l’éducabilité de chacun d’une part (par le partages des compétences professionnelles ou sociales) et une nouvelle spécificité de l’Ecole.

Nous savons depuis un certain temps que la forme actuelle de l’Ecole (jésuito-napoléo-fordiste) est dépassée (et d’ailleurs contestée). Elle n’est plus viable dans son rapport au savoir (transmission, programmes), dans sa gestion (la classe d’âge, l’enseignant), dans son organisation (l’heure, les disciplines ou matières)

L’approche par les compétences et l’éducation partagée par les coopérations induites d’une part, les technologies numériques nouvelles et leurs extensions constantes, les situations de communication renouvelées en permanence d’autre part percutent l’Ecole de plein fouet. Elle n’est plus la seule ni la principale source de connaissances et elle ne peut pas suivre. Pourtant la structuration, l’organisation et la compréhension des savoirs demeurent fondamentales: comment cette articulation peut-elle se penser?

La nécessité de repenser les contenus, les structures, les objectifs de l’Ecole devient évidente.

La compétence clef du apprendre à apprendre, mieux définie par le "Savoir apprendre", pourrait structurer  le rôle fondamental que peut (doit?) jouer l’Ecole: organisation, compréhension et maîtrise des savoirs acquis tout au long de l’existence? L’école: lieu du lien entre l’ensemble des activités qui ont une dimension éducative. C’est donner un autre sens à la notion de sanctuaire, c’est à dire de lieu spécifique, mais ouvert, consacré à une tâche particulière sur la mise en ordre, l’organisation et la maîtrise de savoirs qui sont épars.

L’approche compétences place l’Education et la formation tout au long de la vie comme :

– un continuum souple des savoirs, accessible à tous

– un appui essentiel pour le développement des territoires donnant un autre sens à la "ressource humaine" que celui d’une simple gestion socio économique.

Prendre  les compétences clefs comme base commune de travail pour tous les éducateurs  permet de  :

– réarticuler les spécificités des diverses fonctions éducatives

– définir les échanges, complémentarités et coopérations entre elles en les intégrant dans un temps social et de vie soutenable et cohérent selon les âges et les activités.  

 

 

 

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