Université d’Été de PRISME – 2011
au Cnam de Paris
Analyse des travaux par Jean-Marc Berthet :
Professeur d’université
1 – Autour du terme de compétence
a) Cette notion apparaît souvent floue ou difficile à définir. Elle serait entre deux trilogies éducatives : l’une renvoyant au monde scolaire et de la formation (savoir, savoir-faire, savoir-être), l’autre renvoyant plus au monde de l’éducation populaire (formelle, non-formelle, informelle).
Et pourtant, cette notion floue devient lentement mais sûrement (la loi date de 2006) un point de passage obligé. Certains y voient l’emprise de la logique néo-libérale et la refuse au nom d’une trop grande intrusion des logiques entrepreneuriales dans l’école. D’autres y voient a contrario une nouvelle porte d’entrée pour faire changer « le système éducation nationale ». Cette notion floue et les intérêts que différents acteurs y trouvent participent sans doute de sa diffusion.
b) C’est une notion qui fonctionne par élargissement, dynamique, mouvement. Il est fort possible que les résistances nombreuses à la notion et à son utilisation soient liées de manière concommittante au refus de l’évaluation qui se développe fortement actuellement. Et pourtant, il est très difficile de refuser l’évaluation et de se demander ce que les pratiques font sur leurs pratiquants.
2 – Sur la dynamique des politiques publiques qu’il y a derrière.
a) Il est bien possible que l’on nous refuse le coup du cheval de Troie et de la création de dispositifs à la marge des institutions qui travailleraient à leurs recompositions. Comment essayer de bouger l’institution à travers les piliers 6 et 7 du socle commun ? N’y-a-t-il pas là une porte d’entrée formidable pour tous les acteurs extra-scolaires ou périscolaires qui pourraient se saisir de ces piliers pour penser des projets éducatifs locaux à nouveaux frais ?
b) Finalement, pour rester dans la métaphore grecque, ne refait-on pas le coup du logos et de la Métis, cette dernière étant plus rusée et pratique ? Ne peut-on se saisir de ces deux piliers sous l’angle de la Métis, de l’intelligence pratique et rusée qui pourrait faire avancer l’institution scolaire par son extérieure ? Ne s’agirait-il pas d’ailleurs d’une dernière tentative de l’institution après la démultiplication des dispositifs expérimentaux sur les trente dernières années, leur faible capitalisation et leur peu d’effets sur le système éducatif ?
c) Le terme compétence est un bon indicateur du bougisme actuel. Les politiques publiques sont dans le « bougisme » permanent alors que l’Ecole apprend à gérer des certitudes et non des incertitudes. Ne serait-il pas temps pour elle de préparer aussi les élèves à l’incertitude ?
3- Sur le livret de compétences et le socle
a) On se trouve dans un processus classique propre aux politiques publiques en réformes permanentes : on croit simplifier et l’on complexifie. Ainsi, le résultat est de voir apparaître aujourd’hui un double système d’évaluation par les notes classiques et par le socle…
Il me semble que des lignes de conflits ont été exprimées car la définition de la compétence est floue, on peut se saisir du socle de compétences car c’est une entrée vers l’extérieur et les partenaires extérieurs à l’Éducation nationale n’en sont pas assez conscients ; le socle est pourtant une porte d’entrée pour les collectivités, pour un projet éducatif.
Une autre ligne de conflit sur la notion de territoires apprenants, je ne sais pas si c’est le territoire qui est apprenant ou si ce sont les personnes qui habitent sur le territoire qui apprennent!
Il y a une confusion entre l’espace de rencontre avec mises en réseau de partenaires et l’espace géographique. Comment un territoire physique peut-il être apprenant ?
Par ailleurs un implicite fort : quand il y a des compétences acquises dans un domaine elles peuvent être transférables dans d’autres domaines (ateliers d’échange citoyen ) mais qu’est-ce que ça veut dire?
Il nous manque quelque chose : apprendre à apprendre, comme une globalisation de la compétence.
A l’échelle d’un territoire il y a des compétences ; mais qui est garant du bon agencement? Quand on parle de projet éducatif sur un territoire qui est garant de cette compétence que l’on souhaiterait promouvoir? Il y a ici encore des difficultés.
b) Cela oblige à une recomplexification du rapport à l’individu. Le risque de l’approche en termes de compétences est d’aller vers une plus grande individualisation des personnes alors même que l’idée serait de se saisir de la compétences pour non pas individualiser mais individuer et donc favoriser des équipes éducatives qui pourraient discuter collectivement des progrès des élèves ; vœu pieu que de penser que la forme scolaire se transformera par la reconnaissance des collectifs de professionnels qui y participent et qui ne sont pas tous des enseignants?
Si le livret de compétences est vraiment mis en œuvre alors il faut repenser le temps de régulation des enseignants pour fonctionner par équipes éducatives. Puis travailler sur la personnalisation des élèves ce qui prend du temps. Les enseignants sont usés par les dispositifs.
4 – Sur le livret expérimental
a) Il est un point de ralliement d’un ensemble d’acteurs et donc une entrée positive. Il permet une reconnaissance des compétences et des progrès réalisés.
b) Mais à la fin qui a le pouvoir? Qui met le tampon de la compétence ? Comment le système scolaire peut-il accepter que les compétences soient acquises aussi en dehors du système scolaire ? D’une certaine façon, l’école en entrant par les compétences ne se renforce-t-elle pas comme institution ? En allant chercher à reconnaître des compétences extra-scolaires, qu’attend-elle en définitive ?
5 – Quid des représentations et des pratiques des acteurs ?
a) Dans l’atelier parents, il a été dit que la reconnaissance des compétences parentales renforçait leur pouvoir. Par analogie, comment envisager que le travail sur les compétences renforce le pouvoir des élèves au sein des établissements scolaires ? Il faudrait peut-être que la pression sociale des parents puisse fasse accepter que les compétences puissent être acquises hors de l’école.
b) On a encore du mal à voir ce que cela change concrètement dans les pratiques et le travail collectif des enseignants. Trente ans de dispositifs ont produit une lassitude chez les enseignants qui croient moins aux nouvelles réformes sachant qu’ils vont vite être submergés par la prochaine. Le socle compétence peut-il faire socle commun pour les enseignants ?
6 – Autour des limites
a) Le risque de l’approche par les compétences est de renforcer les logiques individualistes et consuméristes de l’école alors même que les compétences doivent pouvoir s’étayer dans des collectifs.
b) Il faut aussi repenser le sens des relations entre les adultes et les jeunes, qu’apporte les adultes aux jeunes? Comment un adulte se comporte-t-il avec un jeune? On voit bien comment sur la jeunesse, le risque est fortement sécuritaire, que les jeunes restent sages dans la classe, ce qui repose aussi la place des mouvements d’éducation populaire sur ce sujet et en particulier des professionnels de la jeunesse, souvent désemparés par ces logiques sécuritaires mettant à mal leurs professionnalités traditionnelles.
7 – Sur la réciprocité au sein de l’Ecole et en dehors de l’école.
Cette relation sociale permet de sortir des compétences stricto-sensus. C’est un dé-cadrage complet de la forme scolaire traditionnelle. Les échanges entre apprenants sont mis en circulation grâce aux gens qui savent, d’autres qui savent moins ou ont d’autres types de compétences.
Par rapport à la notion des territoires apprenants cela donne des idées mais ça montre bien la limite de la forme scolaire actuelle. La réciprocité oblige à décadrer parce qu’elle inverse l’ordre traditionnel de la compétence. La compétence nécessite un peu de savoir faire et un peu de savoir-être et là on ne parle pas de savoirs mais de « faire », donc il y a bien des savoirs non-dits. Cela renverse la manière d’envisager la compétence.
8 – C’est bien de l’articulation entre le savoir de l’expert et le savoir profane dont il s’agit.
Et l’école a beaucoup à progresser sur cette question!
Qu’est-ce que cela veut dire le savoir expert et le savoir profane? Cela veut dire que l’on est aujourd’hui dans un système où les experts sont moins formels c’est-à-dire qu’ils sont moins bien assurés de leurs savoirs et donc recherchent des compétences soi disant profanes (personnes qui connaîtraient moins) pour venir étayer leurs savoirs et tout cela s’articule. Le savoir expert a besoin du savoir d’usage. A travers les questions des nouvelles technologies il y a peut être un savoir d’usage que l’école devrait s’approprier.
9 – Sur le numérique on a dit que ça faisait exploser la forme scolaire. Est-ce que ça fait exploser la forme scolaire ou est-ce que ça n’oblige pas plutôt à repenser la relation pédagogique? L’outil est une autre forme de pédagogie. La forme scolaire traditionnelle en explosant oblige à une approche plus collective des enseignants, on sort de l’approche disciplinaire mais on va retomber sur la question des compétences. Comment les enseignants ont-ils les moyens de travailler en équipe restera toujours la question centrale?
10 – Sur toutes les questions de projets éducatifs, il y a dix ou quinze ans on n’était pas du tout dans le projet éducatif mais plus dans la rencontre de partenaires. Pour le dire autrement, l’éducatif n’était pas toujours présent dans les projets! Alors que maintenant il y a une attractivité du territoire c’est à dire comment on se sert d’un projet éducatif pour rendre son territoire attractif. Il y a là une montée en charge de la pensée éducative qui est intéressante.. Un projet éducatif se construit et est dans la continuité, dans le temps
On reprend aujourd’hui la question des liens entre le primaire et le secondaire parce que l’explication du décrochage scolaire vient à l’origine dès les premières semaines de la 6ème. Parce qu’il y a un trop grand décalage de fonctionnement entre le cm2 et le collège, l’on a des gamins qui se perdent déjà avec le changement d’enseignants et en plus avec une rupture supplémentaire qui est le déclencheur du décrochage. C’est pourquoi on parle d’articulation et c’est vraiment la continuité éducative qui doit aller de la maternelle au primaire puis au collège et au lycée ainsi de suite. Cela demande l’implication des parents. C’est le jeu de l’articulation des niveaux entre eux.
Ainsi sur les projets éducatifs, je ne suis pas certain que l’on arrive à sortir du mur bétonnée qu’à construit l’Éducation nationale, de cette main mise très forte, autour du pédagogique. Dans quelle mesure dans ces projets éducatifs on parle des contenus éducatifs et des contenus pédagogiques, à quel moment on parle vraiment de l’éducatif?
Il me semble que l’on parle de partenariat et d’implication des parents mais à quel moment on rentre dans les constructions et contenus éducatifs que chacun propose aux enfants? Et comment se construisent les relations éducatives et voie des professionnalités?
Ce qui est tout à fait positif c’est que l’on a parlé de relations pédagogiques comme un « fait d’amour », nous rappelant par là que l’acte éducatif est impensable sans la prise en compte des affects et de la reconnaissance des autres !