Intervention du vice-psdt de « Villes au Carré » :
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"S’agissant de la définition, je ne me hasarderai pas sur le terrain des experts.
La situation actuelle est très paradoxale : les enfants sont, jusqu’à treize-quatorze ans, des « enfants‘rois », extrêmement protégés dans l’espace privé. La France connaît la plus forte progression de la consommation des produits de luxe pour enfants, y compris dans les milieux les plus défavorisés.
Et brusquement, ces enfants hyperprotégés accèdent à un autre statut, celui dit de la « jeunesse ». Ils sont, bien entendu, tout autant adulés et aimés par leur famille, mais ils sont aussi confrontés à l’espace public ou aux phénomènes publics, aux problèmes de formation, de travail, de logement, etc. D’enfants rois dans le domaine privé, ils se retrouvent plongés dans un monde de difficultés et le passage de l’enfance à la jeunesse devient problématique.
Les jeunes ensuite grandissent, croissent et embellissent pour devenir des adultes…Adultes qui n’ont de cesse de conserver les attributs de l’adolescence ! On peut voir des personnes adopter, jusqu’à plus de soixante ans, des comportements, des attitudes, des attributs vestimentaires empruntés aux jeunes.
Au-delà du cadre de réflexion qui nous réunit ce jour, on constate manifestement, autour de la jeunesse, une sorte de clivage entre enfance et jeunesse, puis une continuité molle vers l’âge adulte, et qui n’est pas sans poser de problème.
2 – Les caractéristiques de la jeunesse
Sur la jeunesse, on émet des avis, des idées, des perceptions très différentes selon la focale que l’on utilise. Le travail de Louis Maurin Déchiffrer la société française apparaît à contresens des idées préconçues. Il montre sur les vingt ou trente dernières années une augmentation considérable du niveau de formation, des diplômes, des compétences… La jeunesse actuelle ne ressemble en rien à la jeunesse d’hier ; contrairement à ce que l’on croit, elle est plus formée, plus compétente et plus diplômée.
Si on utilise une autre focale en comparant aux générations précédentes, on relève que les sexagénaires ont connu une augmentation de leurs revenus annuels de 30 % au cours des vingt dernières années. Ils sont passés en moyenne de 15 500 euros à plus de 20 000 euros.
Le salaire des quadragénaires, quant à lui, est resté égal, autour de 16 000 euros, et les jeunes ont une tendance à connaître une paupérisation pour toutes sortes de raisons liées au travail, au logement…
Selon la focale utilisée, les caractéristiques des jeunes varieront. Il ne faut donc pas s’en tenir à une vision plate et unidimensionnelle, mais considérer la jeunesse sous tous ses aspects, encourageants ou inquiétants, en tout cas extrêmement divers et difficiles à synthétiser.
A – Le rapport à l’autorité
Parmi les caractéristiques, nous ne pouvons contester que dans notre société, le rapport à l’autorité et le rapport au collectif se sont modifiés. En particulier le rapport que les adultes ont vis-à-vis des jeunes.
Les jeunes ont du mal à se construire quand ils sont confrontés à des adultes « mal finis », pour reprendre la terminologie de Jean-Pierre Le Goff 2. Il laisse entendre dans cet article que ce n’est pas là un phénomène marginal – bien au contraire.
B – Le rapport au collectif
Le second problème réside dans le rapport au collectif. Nous constatons aujourd’hui ce que Norbert Élias a décrit voilà trente ans comme la « société des individus » : l’individualisme prend toute sa place et le rapport avec la dimension collective diminue. Cela dit, les situations sont complexes. Alain Erhenberg4 a également écrit un ouvrage remarquable, Dans la fatigue d’être soi. Il démontre que l’individualisme confronte les individus à leurs propres insuffisances.
Ce n’est pas la société qui ne propose pas de travail, « c’est le jeune qui n’en trouve pas ».
Ce n’est pas la société qui n’offre pas une formation et qui est amenée à enregistrer 18 % d’échecs à l’issue des formations, c’est le jeune « qui n’est pas capable de… »
Ce phénomène de l’individualisme fait qu’adultes et jeunes en particulier se trouvent confrontés à eux-mêmes, engendrant la « fatigue d’être soi » et le sentiment de se sentir responsables de toutes les difficultés présentes, y compris celles auxquelles ils ne participent pas et qui sont inhérentes à notre société. Et quoique conscients du phénomène, ils s’en sentent responsables.
2. La société comporte nombre d’adultes «mal finis», de bébés narcissiques, Interview de Jean-Pierre Le Goff, sociologue, par Éric Aeschiman – Libération, le 1er juillet 2009 –
3. Norbert Elias est un écrivain et un sociologue allemand, né le 22 juin 1897 et –
Fatigue, inhibition, insomnie, anxiété, indécision : la plupart des difficultés rencontrées dans la vie quotidienne sont aujourd’hui assimilées à de la dépression.
Croisant l’histoire de la psychiatrie et celles des modes de vie, Alain Erhenberg suggère que cette « maladie » est inhérente à une société où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline, mais sur la responsabilité et l’initiative ; elle est la contrepartie de l’énergie que chacun doit mobiliser pour devenir soi-même. Et si la dépression était surtout le révélateur des mutations de l’individu ?
3 – Sur la base de ces éléments, quelle politique jeunesse conduire ?
Vouloir mener une politique Jeunesse confronte à deux extrêmes : soit on ne veut pas avoir une politique de la jeunesse stricto sensu, car on considère qu’elle est par nature transversale et qu’elle doit être menée au titre de la culture, du sport, du social. C’est intéressant, mais, au vu de certaines spécificités, il semble toutefois difficile de ne pas avoir un élu à la jeunesse ou un secteur de la jeunesse. À l’inverse, on peut décider d’un secteur « Jeunesse » qui prend en compte l’ensemble des aspects de la jeunesse et auquel on délègue les politiques de la jeunesse. Il est bien évident que ce secteur ne peut régler les problèmes de la jeunesse dans tous les domaines et nécessite de trouver des complémentarités avec d’autres délégations. Je ne pense pas qu’il y ait une bonne manière de faire. La meilleure solution consiste à écouter les jeunes, à comprendre leurs désirs comme leurs besoins, et à élaborer, en fonction des particularités des collectivités territoriales concernées – pour nous, essentiellement la Ville et l’EPCI – et des caractéristiques, une politique qui corresponde à ce qui a été entendu.
En effet, on ne pourra réaliser des politiques cohérentes qu’avec les jeunes. Sans eux, nous courrons à l’échec."