UNE INITIATIVE SOCIALE EN MILIEU EDUCATIF
TSIGANES A L’ECOLE
1 Le projet de recherche-action de pédagogie interculturelle pour l’entrée dans les apprentissages
11 Les porteurs du projet
– Betty JORDAN : Université d’Edimbourg, département STEP : Scottish travellers Education Program,
– Santino SPINELLI : Rrom des Abruzzes, directeur de l’association Them Romano, musicien et poète
-Françoise MALIQUE* coordinatrice du projet, conseillère pédagogique au CEFISEM de l’Essonne, retraitée, vice-présidente de l’Association « gens du voyage de l’Essonne »
12 La durée du projet : trois années 1999, 2000, 2001
13 Les objectifs éducatifs et sociaux:
-Aider des enfants réputés comme les plus éloignés des systèmes scolaires à entrer dans les apprentissages
-Contribuer à ce que des « sauvageons » deviennent des élèves dans leurs écoles ou dans les structures associatives
-Faire en sorte que les enfants tsiganes mettent à profit leur temps de fréquentation dans les structures éducatives et entrent dans une réelle démarche d’exploration des savoirs.
14 Les moyens pédagogiques au service du projet
-Les recherches d’e Hélène TROCME-FABRE** nous ont aidés à déconstruire des stéréotypes concernant le fonctionnement du cerveau humain : « nos fabuleuses ressources cognitives constituent le véritable patrimoine de l’humanité.
Le monde éducatif a le devoir de protéger ce patrimoine. Il convient donc de le reconnaître, de le mieux connaître et de le faire connaître. ».
Apprendre, c’est développer des liens entre le monde, les autres et soi-même pour découvrir, expérimenter, écouter, transmettre, partager, s’enrichir, se construire, s’éveiller, reconnaître les lois de la vie, créer du sens, oser choisir, innover, organiser, échanger.
-Trente quatre professionnels de l’enfance des quatre états de l’Union ont participé Ã la lutte contre l’illettrisme pour plus d’un millier d’enfants.
-Le soutien de la commission européenne
15 La méthode retenue
Mettre en place l’égalité face aux savoirs par la maîtrise de la langue orale de l’école ou de la société***.
2 Le déroulement
21 Constitution d’une équipe pluri-catégorielle, de la maternelle à l’université, comprenant des enseignants, des associatifs, des tsiganes.
Dans la mesure du possible, les familles ont été informées ; certaines sont devenues partenaires au cours de la troisième année contractuelle. Nous avons travaillé ensemble, dans le respect des compétences de chacun.
Les adultes ont été en même temps producteurs et appreneurs : la formation ciblée dont ils étaient dépositaires devait immédiatement être réinvestie auprès des enfants. -La formation des adultes a consisté Ã « faire avec », dans un esprit de mutualisation des connaissances
22 Ce sont les enfants qui ont été , en bout de chaîne, les évaluateurs du projet en évaluant leur démarche d’apprentissages :
le temps d’un séminaire, les enfants sont devenus les enseignants des enfants de la commune de Grigny ( commune accueillant les enfants de 51 groupes ethniques différents) ;
Ils avaient fabriqué des jeux coopératifs de questions-réponses et ont expliqué les règles des jeux, lu les questions qu’ils avaient rédigées par dictée à l’adulte, même s’ils ne savaient ni lire ni écrire, pas encore !
3 Les résultats de la communauté éducative
-Nous avons trouvé une réponse à « la scolarité itinérante » en privilégiant une forme d’accueil linguistique, ce qui a permis de désacraliser le fait de ne pas savoir.
-Nous sommes partis de leurs connaissances identifiées par eux oralement ; ils n’ont pas été soumis d’entrée à des évaluations sommatives négatives dans toutes les disciplines d’enseignement.
-Le renversement des rôles a permis la passation des questionnements, ce qui a décidé les enfants à inscrire leur histoire scolaire dans un continuum.
-La complémentarité des rôles de tous les adultes chargés d’un seul enfant a été démontrée ; le respect des compétences de chacun a aidé Ã la lutte contre les racismes et la xénophobie.
-L’analyse interculturelle**** des pratiques éducatives a donné un éclairage nouveau aux approches culturelles d’une question et une démarche vers la décentration, démarche qui est la base de la rencontre des cultures et qui enrichit tous les partenaires.
-La formation, vue comme une transformation irréversible, doit comprendre un volet « linguistique de l’oralité » et une connaissance des récentes découvertes des neuro-sciences, en même temps que la démarche de comprendre les cultures de l’intérieur.
4 Les prolongements sociaux
-Certains enfants tsiganes du projet sont, depuis lors, très actifs et prennent leur devenir en mains avec l’assentiment des familles pour ne pas dire la fierté des parents.
5 Des actions menées grâce à l’intérêt de l’école, de l’association, des familles et des enfants
Par deux fois, la classe de Patricia s’est rendue au forum international de la jeunesse à Créteil ;
L’association a pris en charge la location du bus et les repas(imaginez un petit voyageur qui, pour la première fois de sa vie s’est retrouvé au snack de la cité universitaire à devoir se déplacer avec son plateau-repas, quelle aventure !!) ;
A la mi-journée, il a fallu désigner un enfant pour représenter le groupe à la conférence de presse : exercice carrément impossible…
Quand est venu leur tour de parole ( là encore, impossible de les mettre en condition ) un premier enfant a dit : « moi, je suis un enfant du voyage ; je suis là pour vous montrer que je suis un enfant comme les autres », l’émotion a été très vive dans la salle.
La deuxième année ( pas forcément les mêmes enfants ), ils avaient compris le sens de la délégation et se sont installés au centre de la table de presse.
Quand nous leur avons fait part de la présence de Monsieur Bartolone, Ministre de la Ville, ils ont choisi, démocratiquement, leur porte parole qui s’est adressé très dignement à son ministre en lui exposant le travail du groupe.
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La même classe, avec d’autres enfants, a été invitée par une commune de l’Essonne pour présenter la culture et la façon de vivre des groupes d’itinérants.
Les enfants se sont montrés d’excellents vecteurs de leur culture ; les relations, tendues au début, ont été grandement améliorées après ces rencontres.
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D’autres enfants, ont choisi de travailler sur la notion d’habitat idéal. Ils ont dessiné, écrit des textes, mutualisé leurs travaux pour confectionner un livret qui a été exposé au cours de l’assemblée générale de l’association.
Les familles et les visiteurs de toutes conditions ont été perméables aux réflexions des enfants.
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Un autre groupe d’enfants a présenté le jeu coopératif qu’ils ont construit dans le cadre du projet dans différentes instances ( la commémoration de la loi de 1901 instituant le droit des associations, la fête des solidarités en Essonne )
Les personnes du public étaient très amicalement sollicitées à jouer. Nous avons pu observer l’implication d’enfants non-concepteurs et non-lecteurs au cours de ces séances, implication qui va bien au-delà du simple exercice pédagogique.
Ces leçons de démocratie active, toujours émotionnellement fortes, ne resteront pas lettre morte.
En voici une preuve : il y a quelques temps, Ã la préfecture de l’Essonne, au cours d’une réunion concernant l’élaboration du schéma départemental des gens du voyage, un vieux monsieur manouche s’est adressé très respectueusement au Préfet en ces termes :
« Monsieur le Préfet, si mes petits-enfants vont à l’école, ils seront peut-être à votre place plus tard ! »
6 Les suites du projet
Pour la diffusion de la méthodologie de recherche et des résultats, un projet de cours de formation continue a été déposé auprès de la Commission Européenne.
Ce cours aura lieu du 17/11/2003 au 22/11/2003 dans les locaux de la MIPOP**** Ã Viry-Chatillon. Les enseignants et les personnels des associations qui ont travaillé au projet seront les formateurs des stagiaires intéressés par la problématique.
7 Commentaires :
71 Cette initiative en milieu scolaire a eu des incidences sur la vie au quotidien de nombre de familles de l’Essonne : le projet étant terminé, les liens contractuels se défont. Les liens d’amitié perdurent. Il est toutefois difficile d’évaluer les tranformations opérées dans les états partenaires .
72 toutefois on peut remarquer des évolutions à partir des situations décrites ci-après :
a. -Beaucoup de tsiganes et voyageurs étaient présents aux manifestations des 11 et 28 janvier 2003 pour protester contre le projet de loi sécuritaire qui vise à étiqueter des groupes sociaux ou ethniques
b. Sous la banderole de l’association : « cette année, que vous soyez routard, voyageur ou sédentaire, prenons la route ensemble » , André Sauzer****, de la communauté des gens du voyage, a recueilli les propos de vieux messieurs : « a soixante cinq ans, je fais ma première manif »
c. Plus loin, un groupe de femmes scandait : « nous voulons- voyager- en- toute- sécurité »suivi de : « nous voulons- stationner-en-toute-sécurité ». Les enfants ayant compris la nécessité de la représentation dans les instances de la République entraînent les parents- souvent de façon
inconsciente- à participer à la vie sociale et à prendre leur place pour la défense de leurs droits.
d. -Les échanges survenus au cours des différentes discussions ont montré que les voyageurs modifient leur vision de la loi. Ils se mettent à l’étudier pour ne pas en être les victimes, obligés de la contourner pour survivre. Les enfants nous livrent des témoignages de cette allégation : « moi, je vais bientôt habiter en maison parce que la loi est passée », « moi, je veux une chambre en haut de l’escalier pour mieux voir ce qui se passe dehors».
e.
f. -En participant à la lutte contre l’illettrisme, les enfants, notamment les filles, vont amener très rapidement des transformations sociales de tous ordres car ils sont très toniques.
g. Ils sont habitués à fonctionner par l’émulation et l’exemplarité, non la compétivité, ce qui peut donner une autre dimension aux rapports humains s’ils arrivent à se faire entendre.
73 e projet a constitué un élément de transformation au sein de la communauté « gens du voyage » car , en entrant dans la lecture, les enfants sont devenus responsables de leur devenir .
74 Des exemples signifiants entendus dans les classes ou ailleurs :
a. – Des jeunes enfants ont demandé à Patricia de les prendre dans sa classe parce que, eux aussi, ils veulent construire un jeu européen .Perle, qui va quitter l’école élémentaire pour le collège dit que ses enfants iront à l’école maternelle.
b. – Une jeune fille s’est présentée dans la classe de Stéphanie après une longue période d’absence et s’est immédiatement enquise du jeu européen.
c. -Dans la classe de Valérie, les créateurs du jeu ont grandi. Iils sont presque tous au collège ou inscrit au CNED mais ils sollicitent leur ancienne institutrice pour de l’aide à leurs devoirs. Cela signifie que les liens instaurés pendant le projet ont rendue définitive leur dynamique de quête de savoirs et leur volonté réaffirmée d’être des élèves comme les autres. Leurs jeunes frères et sœurs sont des élèves qui ne nécessitent pratiquement plus ni soutien linguistique, ni soutien de pédagogie interculturelle.
d. Nous évaluons aussi comme une avancée sociale signifiante le fait que, dans l’école citée plus haut, les demandes d’inscription à l’étude du soir soient en nette progression.
e. Lors d’une conférence organisée par la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme, en présence de Michel TUBIANA, André SAUZER a pris la parole pour nous donner le sentiment des voyageurs stigmatisés par les différents projets de loi ; cette intervention a été tellement pertinente que Manuel Valls, maire d’Evry a exposé en séance le projet d’aires de stationnement sur sa commune.
f. Des passerelles se construisent entre différentes associations : la « Compagnie d’ailleurs » se propose de mettre en voix des textes écrits par des tsiganes pour les dire sur quelques places
75 Ce projet a constitué un élément de transformation au sein de la communauté éducative :
a. -Des étudiants de diverses régions de France nous demandent très souvent des documents et souhaitent rendre visite aux classes.
Une future institutrice belge a convaincu les autorités éducatives de l’Essonne de l’accueillir par deux fois pour deux semaines pour ses stages de formation à la pratique du métier. Au mois de mai, son responsable de stage viendra en Essonne pour partager l’évaluation de ce travail de recherche pédagogique avec les autorités locales.
b.
c. André SAUZER et Françoise MALIQUE, retraités, sont employés par le collège de Saint-Chéron ( 91) pour intervenir .auprès d’un petit nombre de jeunes, tsiganes ou non, afin de les aider dans leur scolarité difficile. En trois séances, les enfants ont modifié de façon notoire leur comportement face aux règles de l’établissement.
Ces enfants sont maintenant les leaders des groupes qui se constituent suite aux évaluations nationales de la classe de sixième.
Rédacteurs
Françoise MALIQUE, Patricia ROUSSEAU, André SAUZER, membres bénévoles du conseil d’administration de l’association « gens du voyage de l’Essonne »
Références :
* Françoise Malique. Adresse e-mail : « mailto:Francoise.Malique@wanadoo.fr»
**Hélène TROCME-FABRE : « j’apprends, donc je suis »,Editions d’Organisation(1994),
« Né pour apprendre »7 vidéogrammes,(1996)co-production Université de La Rochelle-ENS Fontenay Saint-Cloud, Paris,
« réinventer le métier d’apprendre », Editions de l’Organisation (1999)
***se reporter à l’article « la dictée à l’adulte » dans l’ouvrage « tsiganes à l’école » ( à paraître au CNDP)
-P.Rousseau : institutrice en CLIN voyageurs, itinérante, dans les communes de Courcouronnes et Lisses (91)
-S.Leblanc : professeur des écoles, chargée d’une classe « enfants du voyage » Ã l’école Jules Ferry de Montgeron (91)
-V.Lacotte : professeur des écoles, chargée du soutien auprès d’enfants du voyage et d’enfants immigrés dans les communes de Brétigny et de Saint-Germain-Les- Arpajon (91)
-A.Sauzer :retraité des Travaux Publics, administrateur de l’ADGVE appartenant à la communauté des « gens du voyage »
-MIPOP : Maison de l’Innovation Pédagogique et de l’Orientation Professionnelle, espace Molière, rue de Flandres-91170- Viry-Chatillon. « mailto:mipop@libertysurf.fr»
« http://www.int-evry.fr/mipop-viry-grigny»
– ADGVE : Association « gens du voyage » de l’Essonne, 16 rue du Bel Air – 91000- LISSES