Lorsque l’école veut accroître son efficacité vis-à -vis des enfants les plus pauvres, elle fait face à de grandes difficultés :
-les multiples retards de l’enfant sur le plan du langage et de la culture;
-la faiblesse de ses habiletés sociales;
-ses comportements agressifs ou, au contraire, inhibés,
-la méfiance des parents.
Lorsque l’école veut accroître son efficacité vis-à -vis des enfants les plus pauvres, elle fait face à de grandes difficultés :
-les multiples retards de l’enfant sur le plan du langage et de la culture;
-la faiblesse de ses habiletés sociales;
-ses comportements agressifs ou, au contraire, inhibés,
-la méfiance des parents.
L’éducateur se sent impuissant.
Plus gravement, il est devant un choix : trahir une partie de la communauté qui exclut cette famille ou participer discrètement à cette exclusion.
S’il ne fait rien de spécial, s’il laisse faire, il sera, malgré lui agent d’exclusion et on le récompensera pour sa fidélité aux règles du contrôle social.
Au Québec, différentes recherches ont démontré l’inefficacité du système de services devant la grande pauvreté.
Dans la majorité des cas, il y a reproduction de la pauvreté d’une génération à l’autre. Devant cette contre-performance, nous avons mené une recherche synthèse et proposer une sorte de «mode d’emploi» pour intervenir dans le domaine de la détresse sociale.
Je ne peux, ici, aller aussi loin. L’école ne peut être qu’une partie de la solution, une partie indispensable.
Aujourd’hui, j’aborderai, encore que très brièvement, trois questions:
Qu’est-ce que la détresse sociale, l’extrême pauvreté?
Comment intervenir avec chance de succès?
Quel est le rôle de l’éducation?
D’abord, qu’est-ce que la détresse sociale?
Nous entendons par détresse sociale, cette pauvreté chronique et globale qui, à force d’humilier, d’isoler et de gruger sur la dignité humaine, engendre une forme de désespoir qui amène la personne à contribuer, bien malgré elle, au cercle vicieux de l’exclusion sociale.
Il y a détresse sociale lorsque la pauvreté est :
-économique (faible revenu),
-culturelle (peu d’habileté sociale et faible scolarisation)
-et sociale («insularisation», reconduire activement la personne à sa solitude, à son clan ou à son ghetto).
Avec le temps, cela provoque un effondrement de l’estime de soi. Le temps est important parce qu’il produit une sorte de transition de phase psychosociale. Une transition de phase c’est lorsque, par exemple, l’eau se transforme en vapeur. Ce n’est pas un changement dans la nature de l’être, mais c’est un changement dans l’état d’être. La réversibilité de ce processus est particulièrement difficile et coûte très cher.
Donc, il vaut mieux prévenir que guérir. Si vous prenez un individu au hasard et que vous le placez à pauvreté globale constante, il suffit d’attendre entre six mois et deux ans et puis crac! Il doute de sa valeur jusqu’au plus profond de lui-même.
Simone Weil (la grande philosophe) a voulu expérimenter dans son être la détresse sociale et elle l’a effectivement expérimentée (comme ouvrière non-spécialisée). Elle dit ceci (je paraphrase) : «Dans le domaine de la souffrance, la détresse sociale (qu’elle appelle «le malheur») est une chose à part, spécifique, irréductible. Pourquoi? Parce qu’elle s’empare de l’âme et la marque, jusqu’au fond, d’une cicatrice pourtant aussi visible que celle du fer rouge sur un paria.
Celui qui porte cette marque sur l’expression de sa figure, dans son langage, dans ses comportements, ses vêtements, etc. la ressent comme une honte. La plupart des gens détourneront le regard.»
L’humiliation est une violence sur tout l’être corporel, elle déracine non seulement la personne de sa communauté mais la déracine d’elle-même par la honte de soi qu’elle engendre
Une situation de détresse sociale résulte donc de l’interaction de deux dynamiques :
-une dynamique culturelle, sociale et économique qui tend à exclure de génération en génération des familles ayant des difficultés d’adaptation à ses institutions et à ses organisations;
-une dynamique intérieure à la famille qui rend difficile cette adaptation. Cette dynamique intérieure résulte de deux éléments :
-un faible capital familial du point de vue culturel, social et économique;
-une blessure d’enfance qui rend fragile l’identité personnelle et sociale.
Le verrouillage est donc double. Il faudra agir sur les deux côtés du problème.
Une personne entre progressivement dans la détresse sociale en suivant plus ou moins les étapes suivantes:
1- Isolement et étouffement:
Lorsque les fenêtres d’échange entre la cellule familiale et la communauté sont obstruées, la famille étouffe socialement. Elle n’assimile plus l’information nécessaire aux adaptations qui lui seraient favorables. Elle réagit à partir de son capital social familial dont le propre est justement d’être insuffisant et inadapté.
2- Résistance inadaptée:
Sa réaction sera mal interprétée par l’environnement. L’environnement vient lui dire de se comporter correctement, d’assumer ses responsabilités, notamment ses responsabilités parentales. À ce stade, la société réagit presque toujours par œrépression moralisante. Cela ne fait qu’ajouter au stress. La famille interprète négativement le message et réagit plus agressivement ou plus passivement. Il y a double malentendu. La famille devient toxique pour son environnement et son environnement, toxique pour elle.
3- Installation:
Il se produit un effondrement de l’estime de soi. La personne semble cesser de lutter. Mais elle est intérieurement grugée. Elle a intériorisé l’exclusion. Ce que la société lui a fait, elle le fait en elle-même. Il s’ensuit différents processus d’auto-mutilation : alcool, drogue, violence familiale, comportements asociaux, etc.
Dans certains cas, l’enfant devient un symbole:
L’enfant a bien des chances de représenter le dernier symbole de réussite permettant une ultime tentative de reconquérir l’estime de soi. Mais comment donner à l’enfant ce qu’on n’a pas? Lorsque l’estime de soi s’est effondrée, le parent éprouve de grandes difficultés à s’attacher normalement à son enfant. L’enfant a donc de forts risques d’être plus ou moins négligé. Son développement physique, psychologique, social, scolaire en souffre gravement. Ses chances de réussite scolaire sont diminuées et par le fait même ses chances d’emploi. Le pauvreté se reproduit alors de génération en génération.
Comment intervenir avec chance de succès?
Si nous voulons développer un cadre de réflexion permettant d’organiser des stratégies sociales, il nous faut viser une modification substantielle de la reproduction sociale et culturelle de la détresse sociale. Toute stratégie d’action qui voudra être efficace devra agir à la fois sur les trois grands leviers suivants :
Maximiser le développement social:
Augmenter la capacité d’intégration sociale et économique de la communauté. Cette dimension est essentiellement éducative, elle est peut-être même l’essence de l’éducation dans une société démocratique.
Viser le développement communautaire:
Solidariser la communauté autour des familles en difficulté.
Soutenir et aider les familles dès que le problème montre des signes précurseurs par une approche qui rehausse l’estime de soi.
Agir sur les dynamiques familiales:
Aider les familles en détresse sociale par une approche multidimensionnelle à la suite d’une évaluation rigoureuse.
Le plus important est de saisir que ces trois leviers sont indispensables les uns aux autres au point que l’intervention familiale seule, quelle que soit sa qualité, est vouée à l’impasse s’il n’y a pas de stratégie de changement visant la communauté. De même l’éducation, à elle seule, ne pourra pas grand chose. Une stratégie d’actions en trois volets est indispensable: elle sera sociale, communautaire et individualisée.
Dans cette stratégie multidimensionnelle, qu’est-ce que l’éducation et quel est son rôle?
Avant de mieux définir ce qu’est l’éducation, on doit comprendre ce qu’est la déséducation. Qu’est-ce que la déséducation? On parle de désinformation lorsque des images mentent. On parle de déséducation lorsqu’un enseignement fausse le regard lui-même. La déséducation installe des lunettes permanentes qui déforment le regard. La déséducation contamine l’organe d’interprétation lui-même.
Une personne a achevé sa déséducation lorsque plus rien ne l’étonne, pas même un ciel étoilé; lorsque plus rien ne l’indigne, pas même les guerres et les famines; lorsqu’elle trouve que tout est normal, même l’intoxication de l’air que nous respirons. On a réussi à parachever la déséducation lorsqu’une fois diplômé, un individu n’a plus ni jugement critique ni capacité créative.
La déséducation fonctionne :
en brouillant le rapport à soi, la personne n’est plus capable de lire ses sentiments;
en brouillant le rapport au corps, la personne n’arrive plus à lire ses besoins;
en brouillant le rapport avec les choses, les choses sont systématiquement remplacées par leur représentation;
en brouillant le rapport avec le jugement grâce à des rhétoriques fallacieuses.
La déséducation vise un but évident : la soumission aux habitudes sociales, le désarmement moral.
L’exclusion résulte d’une déséducation. On doit impérativement comprendre que cette exclusion est à la racine de toutes les violences. Nous ne pouvons pas accéder à l’humanité autrement qu’en intégrant cette partie de l’humanité que nous laissons dans la misère.
Pourquoi? Parce que l’exclusion qui produit la pauvreté est l’exclusion de l’être lui-même. Si un être n’a que son être, rien d’autre, une société barbare l’exclura. Imaginons un vieillard qui n’a plus de mémoire, plus de force, plus d’autonomie, il n’a que son être, une société barbare l’exclura. Si un enfant arrive à l’école et qu’il semble qu’il coûtera cher d’en faire un individu économiquement utile, dans une société barbare, on l’abandonnera.
Si l’école veut participer au mouvement de la civilisation, elle passe de la déséducation à l’éducation, c’est-à -dire qu’elle donne la priorité au verbe être. Dans une société barbare, il faut prouver l’être par l’avoir et obtenir l’avoir par le faire. Dans une société barbare, on entraîne le regard à ne reconnaître que la valeur marchande d’un individu. L’être est abandonné. L’éducation va en direction contraire. Elle éduque au respect dû à la dignité de chacun du seul fait qu’il est.
Un éducateur stimule la pensée pour qu’elle réagisse aux êtres et plus l’être est nu, dépourvu, vulnérable, plus l’éducateur apprend aux enfants à reconnaître sa dignité. Il en fait une affaire de civilisation. Car si l’humanité est nié dans un seul enfant et que l’école est indifférente, alors c’est toute l’humanité qui est niée. L’école n’aura de crédibilité aux yeux des enfants que si l’enfant sent que, quelles que soient ses difficultés d’apprentissage, quelles que soient ses difficultés sociales, il est reconnu comme un être, il est porteur d’une dignité qui ne dépend pas de ses performances.
Imaginez un enfant qui méprise un enfant parce qu’il n’est pas habillé comme les autres. Avec d’autres enfants, il ridiculise ce bambin. Il ne fait, vis-à -vis de cet enfant, que ce que la communauté fait vis-à -vis de la famille. Il imite des comportements barbares. Et personne ne le punit, personne n’intervient. Alors, il apprend que le jours où lui aussi sera vulnérable, personne ne l’aidera. Il apprend que la dignité de l’homme ne se rattache pas à l’être, mais à la manière d’être. Ce jour-là , cet enfant devient barbare. Il entre dans un monde hostile et violent. L’école a radicalement échoué.
Allons un peu plus loin. Les jeunes qui décrochent de l’école, qui accumulent des retards, qui hésitent à suivre le courant de la rivière sont les symptômes d’une maladie que j’appelle ici, la barbarie. Toujours les symptômes visent à faire voir. Le but d’un symptôme est de faire voir la maladie. Ces jeunes sont ce que l’analyse systémique appelle : des « porteurs désignés ». Ils portent dans leur chair, dans leurs inquiétudes, dans leurs angoisses et leurs souffrances, ce que la conscience voudrait faire éclater au grand jour. Ils crient que quelque chose ne va pas.
Un éducateur, et nous devrions tous l’être, comprend ces symptômes et guide la conscience pour qu’elle passe de l’état où elle subit à l’état où elle agit. Un éducateur participe à la transmutation des symptômes en conscience lucide et en action sociale. Il n’y a de solidarité des éducateurs, donc il n’y a d’école, qu’en solidarité avec la souffrance des jeunes.
L’éducation doit participer au travail de la conscience qui, de toutes les manières, tente de dénoncer la barbarie et d’annoncer la civilisation.
L’histoire a connu de grands éducateurs. J’ai témoigné de l’un d’eux dans mon dernier roman : Comenius, l’art sacré de l’éducation.
L’école est née durant la guerre de Trente Ans (1618 Ã 1648) et visait, sans détour, l’endoctrinement. Néanmoins, un tchèque nommé Comenius va tenter de fonder des écoles d’éducation et non de déséducation. Pour lui, la déséducation est un élément intrinsèque des tendances totalitaires propres au pouvoir, alors que l’éducation n’est rien de moins que le fondement de la démocratie, c’est-Ã -dire de l’humanité en marche vers sa dignité.
Marqué par la guerre de Trente Ans qui dissémine en Europe centrale entre 40 et 70% de la population, Comenius considère que l’humanité ne pourra survivre que si elle arrive à la paix et elle n’arrivera à la paix que par un mouvement des populations en faveur d’une démocratie universelle fondée sur la déconcentration des pouvoirs, la collégialité des décisions, la justice sociale, le désarmement symétrique des peuples et surtout, l’éducation de tout l’humain de tous les humains. Et la première tâche de l’éducation consiste à reconnaître et à faire reconnaître la dignité de l’être humain, quelle que soit sa valeur marchande. C’est pourquoi le succès de tous est plus important que la performance de quelques-uns.
Comme le mot démocratie est aujourd’hui tragiquement détourné de son sens, il n’est pas inutile de revenir à la source. La démocratie est une exigence morale basée sur l’inaliénable vocation de l’être humain à prendre en charge sa liberté individuelle et collective. Il s’ensuit qu’un état, un gouvernement n’est pas démocratique.
Ce sont d’abord les personnes qui sont ou ne sont pas démocratiques. L’essence de la démocratie est dans la capacité de résister au pouvoir fondé sur la violence et donc sur la peur, au pouvoir fondé sur l’argent et donc sur la dépendance, au pouvoir fondé sur le mensonge et donc sur l’ignorance. L’éducation vise justement à équiper les enfants contre ces trois grands ennemis de la démocratie que sont la peur, la dépendance et l’ignorance.
À cet égard, l’essence de l’éducation consiste à placer l’être au-dessus de l’intelligence, l’intelligence au-dessus de la force et non le contraire.
L’endoctrinement consiste à arracher l’enfant au monde concret des choses pour l’entraîner dans un monde de représentations et de doctrines sur les choses et les personnes. Le fanatisme, qu’il soit religieux ou techno-scientiste, n’est possible que dans un monde qui a perdu pied vis-à -vis du concret, un monde où les théories sont présentées comme des réalités. Si l’école n’est qu’une introduction aux préjugés d’une idéologie, serait-ce l’idéologie néo-libérale, ce n’est pas une école, c’est un lieu d’endoctrinement légitimant la violence.
Qui est Comenius ? Il s’appelle Jean-Amos Komensky, il est non seulement le Galilée de l’éducation (pour emprunter une expression de Michelet), mais il est aussi le Copernic de la politique. Il place au centre de la politique non pas le pouvoir, mais la conscience. Tous, femmes, hommes, handicapés physiques ou intellectuels, pauvres ou riches, talentueux ou non, ex-criminels ou non, nous avons quelque chose d’irremplaçable pour arriver à une vision significative du futur. L’éducation, au contraire de l’endoctrinement, vise à rendre chacun lucide afin que chacun puisse exercer sa volonté démocratique.
Pour Comenius, l’éducation vise trois vertus : la confiance, l’autonomie et le goût de vivre.
La confiance : tout développement se réalise à travers un lien de confiance. L’éducation, c’est un lien de confiance qui s’élargit parce qu’au lieu de se tourner sur lui-même, il ouvre à l’expérience et à la connaissance. L’enfant, on le sait, se branche sur le lien de confiance comme sur une source d’énergie. Il en a besoin pour vivre. Sans lui, rien ne va plus. Un éducateur voit le meilleur de l’étudiant et il le fait advenir un petit pas à la fois.
La confiance réside dans le désir : aucun enfant ne peut s’épanouir hors du désir. Un enfant qui n’est pas désiré par personne s’en sort très difficilement. La principale souffrance de l’enfant exclu, c’est qu’il n’est pas désiré. Or le désir précède l’être, il appelle l’être. Il n’y a qu’un espace propre à l’éducation, c’est le regard. Il n’y a qu’un savoir primordial, c’est savoir regarder l’être à travers ses manifestations les plus gauches.
L’autonomie : nous devons mener nos jeunes à l’autonomie. L’autonomie, c’est l’exercice responsable de la liberté personnelle et collective. Or la liberté n’est pas la possibilité de faire n’importe quoi, mais la capacité de faire quelque chose. Elle suppose donc l’acquisition d’une discipline de vie, la compréhension de ce qu’est une autorité légitime, la santé physique, la capacité de penser et la conscience de sa propre finalité. Traiter les jeunes en roi n’est qu’une minable façon de se déculpabiliser. Si un homme est élevé à assujettir autrui, il est élevé à la violence.
Il faut ici démystifier deux choses : l’effort et l’autorité.
– L’effort : plaisir et effort ne sont pas opposés, au contraire. En sport, lorsque l’enfant ressent un plaisir à l’effort, on a gagné, il est autonome. De même pour la vie intellectuelle, lorsque le plaisir rejoint l’effort, on a gagné.
-L’autorité : au Québec, il y a une crise de l’autorité qui vient d’une confusion entre le pouvoir et l’autorité. L’autorité vient du mot auctor, auteur. Elle suppose un goût de créer qui devient contagieux. Bach, Mozard, Goethe font autorité, sont des autorités. L’autorité fait appel à la compétence et au dynamisme.
Le vrai éducateur assume son autorité et cette autorité, les parents l’appuient. Sinon, le contrat tacite entre l’éducateur et le parent est tout simplement rompu. Il n’est jamais possible d’enseigner hors de ce contrat. Il est donc capital que dans la communauté, quelqu’un travaille à accroître les capacités d’intégration des familles pauvres.
Le goût de vivre : sans le goût de vivre, toute entreprise s’effondre. En définitive, l’éducation vise l’épanouissement de toutes les facultés d’une personne, le coeur et le corps compris, dans l’espérance que le bonheur s’accroît avec l’usage. Mais surtout l’éducation vise à apprendre le respect de tous les êtres en épanouissement, car ce n’est pas le résultat ni la performance qui importent, mais l’élan créateur de l’être qui veut venir au monde. Car autrement, il n’y a pas le goût de vivre, mais la peur de vivre.
On ne doit jamais oublier que l’éducation, au contraire de l’endoctrinement, est ce chemin qui commence par l’étonnement et qui va jusqu’à l’émerveillement. Le processus doit mener jusqu’à la compréhension du sens des choses et des êtres. On doit arriver à une connaissance in vivo qui permet de saisir le sens et la valeur d’une chose. Sans cette étape, les savoirs restent simplement des outils d’action, ils ratent leur finalité, ils ne donnent pas le goût de vivre.
L’enjeu le plus important, c’est d’arriver à une humanité durable et cela ne pourra se faire que si des éducateurs luttent toujours et sans cesse à rebours de la barbarie.
Selon la loi de l’entropie, toute civilisation vieillit en se dégradant, en retournant vers la barbarie. Elle va vers le plus facile : une érosion du langage, une vision à court terme, une certaine démission vis-à -vis du futur et du sens de la vie, une tendance à marchandiser les personnes. Les éducateurs, tant qu’ils existeront, iront en sens inverse. Comme le saumon, ils remonteront le courant. L’éducation sera toujours ce qui tend à dépasser les contradictions sociales par une élévation de l’esprit.
L’éducation est donc une mission impossible sans la solidarité des éducateurs avec les forces émergentes de la conscience qui se manifestent dans la jeunesse.
Quelle peut être la source du relèvement moral, intellectuel et spirituel que suppose la reprise en main de l’éducation par les éducateurs?
Rien d’autre que la culture dans son essence même, c’est-à -dire, la mobilisation de la pensée en vue de réduire ce qui n’a pas de sens et d’augmenter ce qui donne le goût de vivre.
Jean Bédard ( né en 1949 Ã Montréal)
Essayiste et romancier, J.B. est philosophe de formation; il devient travailleur social et est reconnu au Québec pour sa vision globale de la détresse sociale. Depuis ses succès de jeunesse en poésie, il n’a jamais cesse d’étudier et d’écrire dans l’espoir de satisfaire un immense besoin de comprendre.
C’est à travers une vie professionnelle préoccupée par la détresse morale et la pauvreté galopante des jeunes qu’il se demande : » qu’est-ce qui ne va pas ? »
Cela l’amène à l’étude de l’histoire de la pensée. Il a entretenu une correspondance avec Il y a Prigogine ( prix Nobel) qui l’a invite à Bruxelles au séminaire international « penser l’incertitude » en nov 97. Son roman historique et philosophique « Maitre Eckhart » (Stock, 1998) a reçu un accueil unanime de la part de la critique littéraire et des spécialistes de la question.
Son dernier roman est « Comenius ou l’art sacre de l’éducation »est paru chez Lattès en 2003.
Chaque été, J.B.organise une série de conférences à l’université de Lausanne.
Et cette année il nos a consacré un moment privilégié. A l’an prochain pour une autre situation…
**Compte-rendu de Françoise Malique