Former les enseignants à communiquer avec les parents et les personnes-ressources pour mieux travailler avec les familles, c’est ce que propose depuis plus de dix ans Jean-Louis Auduc, directeur des études du premier degré à l’IUFM de l’académie de Créteil. Une formation trop rare et pourtant essentielle.
Dans l’ensemble, les futurs enseignants appréhendent-il les relations avec les parents?
Les jeunes enseignants peuvent sentir l’anxiété des parents, voire leur agressivité. Ils sentent bien que c’est à eux d’expliquer et d’instaurer une base de confiance par le respect mutuel. C’est bien la légitimité de chacun qui fonde la coéducation. L’enseignant gère la classe, il est en charge du « pour tous ». Le parent est en charge du « pour chacun » de la 8ème merveille du monde: son enfant.
Chacun a sa posture. L’idée est de permettre aux jeunes enseignants de dépasser leurs peurs réciproques qui peuvent exister entre eux et les parents. D’où la nécessité de travailler ces peurs dans une démarche de professionnalisation. Ce que nous faisons depuis dix ans dans le cadre de la formation des maîtres à l’IUFM de Créteil. Pour une partie non négligeable des stagiaires qui ont suivi cette formation le souci de la question des relations parents-enseignants était dû au fait que leurs propres parents ne comprenaient pas toujours bien l’Ecole. Contrairement à ce que l’on peut entendre, les parents sont plus souvent désorientés que démissionnaires.
En quoi consiste la formation proposée à l’IUFM de Créteil?
Ce ne sont pas des cours théoriques, mais une formation reliée à la pratique des stagiaires. Les futurs professeurs sont, par exemple, amenés à s’interroger sur la préparation d’une rencontre avec les parents, sur les moyens d’agir avec les familles les plus éloignées de l’école ou sur la manière de responsabiliser un jeune et d’établir un partenariat avec les familles. Nous souhaitons leur permettre d’apprendre à s’adresser aux parents et à mieux répondre à leurs interrogations, sur les questions d’apprentissage de la lecture, de programmes scolaires, des manuels…Car c’est bien aux enseignants qu’il revient d’expliquer l’Ecole. Ils ne veulent d’ailleurs pas laisser cela aux médias. Mais il faut apprendre à faire preuve de professionnalisme dans la manière de communiquer avec les parents et avec les personnes-ressources pour travailler avec les familles.
Dans l’académie de Créteil, nous avons développé un réseau de partenaires pour creuser cette question. Ce réseau est aujourd’hui reconnu. Il s’appuie sur des représentants parents élèves, des personnes-ressources des Udaf (Unions départementales des associations familiales) ou des Réaap (Réseau d’écoute d’appui et d’accompagnement des parents) et d’établissements de l’académie qui peuvent témoigner de ce qu’on peut faire dans ce domaine, avec efficacité.
Avez-vous des retours de jeunes enseignants une fois qu’ils « pratiquent » ces relations?
Nous avons eu l’occasion de vivre une expérience tout à fait intéressante avec des professeurs des écoles stagiaires volontaires pour faire leur mémoire professionnel sur ce thème. Cela a donné lieu à un ouvrage, Les relations parents-enseignants à l’école primaire qui présente et commente des extraits de ces mémoires sur « la place et le rôle des parents dans l’école », pour reprendre le titre du rapport des inspections générales d’octobre 2006. Le but de cette publication est de faire réfléchir les professeurs des écoles aux sources des malentendus et aux démarches susceptibles de favoriser les relations école-familles efficaces et fertiles.
Quelles sont ces démarches?
L’enjeu aujourd’hui, c’est de redonner espoir aux familles pour créer de la connivence avec l’école. Il faut qu’ils entendent que ça va et ne soient pas simplement convoqués quand cela ne va pas. Prenez l’exemple de la dyslexie. On se préoccupe d’abord de faire venir les experts face aux parents pour leur annoncer la mauvaise nouvelle. Mais on pourrait très bien inviter des parents qui ont connu la même chose pour dire « regarder, notre enfant, qui était dans la même difficulté que le vôtre fait ci ou ça aujourd’hui ». Pour que l’école soit un lieu de réussite, il faut, par exemple, communiquer davantage sur le devenir des anciens de l’école qui vont au lycée, Ã la fac…Et pas seulement quand on a un chanteur ou un acteur qui y a passé sa scolarité. On a, je crois, perdu le message essentiel de Jules Ferry. A l’époque, on suivait le parcours des élèves dans chaque canton.
Trouve-t-on ce type de formation dans toutes les formations des maîtres?
Loin de là . Et on se sait pas si cette formation aura une 11ème année. Malgré le rapport très favorable des inspections générales qui a notamment fait apparaître que les enseignants formés avaient conscience de l’importance des relations parents-enfants. La tendance est à la réduction de l’école à la théorie, à la connaissance. Et la pratique semble vouée à en sortir, par le dispositif d’accompagnement éducatif notamment. Avec la réforme de la formation des enseignants, j’ai des inquiétudes. Or l’approche disciplinaire réduit l’enseignant à celui qui fait cours. On est sur le modèle de l’agrémentation. Et le futur enseignant pourra avoir l’illusion qu’il peut faire cours parce qu’il aura bien fait sa leçon devant un jury. Il ne sera pas celui qui gère sa classe en se souciant de tous. Il ne pensera pas qu’il faut s’adapter à la diversité des élèves. Le problème, c’est que l’enjeu de la première année était d’avoir un vrai travail sur la polyvalence et de montrer la diversité des besoins. Car enseigner est un vrai métier, avec sa partie théorique et sa partie pratique.
Demain, les enseignants, ces bons élèves, risquent d’être bien malheureux et démunis face à des enfants qui ne leur ressemblent pas