Les relations parents-école, Laurent Ott a pu les observer de différents points de vue. Parent lui-même, tout à tout, éducateur spécialisé, enseignant, directeur d’école, formateur, militant associatif et docteur en philosophie, il évoque un contexte général qui tend à éloigner les enseignants des parents.
Suffit-il d’ouvrir les portes de l’école aux parents pour que le courant passe bien avec les enseignants?
En tout cas, le parent qui n’ rencontré que des grilles ouvertes est rarement hostile! Il y a trois ans, j’étais directeur dans une école totalement ouverte aux parents et chacun d’entre eux avait, par exemple, mon numéro de portable. Cela n’ a jamais donné lieu à des abus. Les coups de fil que je recevais étaient liés à des projets en cours. Car on organisait des tas de choses avec les parents: des ateliers, des samedis de présentations des travaux des enfants…Il y avait une sorte de discipline naturelle qui se mettait en place entre parents. Ceux qui connaissaient le plus de difficultés personnelles ou qui avaient des comptes à régler avec l’école, étaient rapidement freinés par ceux qui prenaient des places positives, valorisantes, rationnelles…Contrairement aux idées reçues, je trouve que le soutien des parents est très facile à obtenir! La peur des parents est dans la tête des enseignants.
Les écoles qui fonctionnent comme vous le décrivez restent toutefois marginales. Comment expliquez-vous que les portes des écoles soient plutôt fermées?
C’est un contexte général. Le discours ambiant est à la faillite de l’autorité, à la multiplication des troubles précoces chez des enfants inaptes et revêches, à la démission parentale…Cette représentation, que je caricature bien sûr, est présente dans l’inconscient de nombreux profs qui s’apprêtent à vivre leur première classe. On est face à un grand paradoxe. D’un côté, les lois incitent les parents à entrer davantage dans l’école, donner leur avis, faire valoir leurs droits, manifester des exigences…De l’autre, les enseignants voient leur liberté et leur autonomie éducative rognée par des décisions ministérielles. Les profs se sentent désavantagés et tentent de retrouver l’autonomie perdue dans une forme d’opacité vis-à -vis des familles. Dans ce contexte, la solitude semble être une protection pour les profs. La classe devient leur seul lieu de légitimité et de liberté.
Si l’on veut que parents et enseignants s’entendent il faut que les profs ne soient pas dans la peur et le soupçon à chaque initiative parentale. Il faut qu’ils soient des adultes et des éducateurs autonomes. Or aujourd’hui leur marge d’initiative est réduite. Ils sont davantage considérés comme des techniciens que comme des ingénieurs capables de concevoir leurs méthodes, leurs dispositifs et leur cadre éthique. D’où leur repli frileux. Le problème, c’est qu’en tentant de conserver une forme d’autonomie, l’enseignant se coupe du reste de la société et donc de son public. C’est très rusé de la part de l’Administration!
Voulez-vous dire que l’Administration se réjouit de la distance entre parents et enseignants?
Quand les familles et l’école sont unies, elles peuvent obtenir des résultats face à l’Administration. Pour s’opposer à une fermeture de classe, par exemple. La relation directe parents-enseignants est un sacré contrepouvoir face à l’emprise du discours médiatique et politiques! Lors des grands mouvements de grèves des années 1980, les enseignants avaient le soutien des parents. C’est bien parce qu’ils échangeaient davantage avec eux à la sortie des écoles.
Aujourd’hui, quand les profs protestent, on entend davantage de critiques sur le corporatisme ou l’égoïsme de la profession. Et les choses ne vont pas s’arranger avec la suppression du samedi matin de classe. C’est aussi la suppression d’un rassemblement citoyen assez exceptionnel devant l’école. Un lieu de moins pour que l’expérience personnelle puisse contrebalancer les fantasmes parentaux.