Le phénomène de préscolarisation s’inscrit dans des contextes socio-historiques, français et européen (besoin de main-d’oeuvre et expansion du travail féminin en dehors du domicile familial liés à la Révolution industrielle, paupérisme, prophylaxie et ordre social, influence de la philosophie des Lumières sur l’enseignement). Le phénomène d’éducation institutionnalisée des jeunes enfants est lié à l’émergence d’un processus de reconnaissance de l’identité de la seconde enfance (2-6 ans) et de la spécificité du jeune enfant. En France, durant la première moitié du XIXe siècle, le phénomène de prise en charge institutionnelle de la seconde enfance dans les [*salles d’asile*] (fondées en 1826), et particulièrement des enfants de deux ans, relève d’[*initiatives privées*] (Comités de Dames charitables, notables, nobles, hommes de foi, pédagogues…) et de l’intervention d’entités politiques publiques (État, municipalités), visant à venir en aide aux enfants issus des classes populaires. Ce phénomène repose sur des logiques philanthropiques, sociales et éducatives, mais aussi économiques. La politique d’accueil et d’éducation des enfants de deux ans dans les salles d’asile est socialement différenciée, puisqu’à l’origine elle s’adresse exclusivement à une [*population ciblée*] : les enfants des classes sociales populaires, pauvres ou laborieuses. Néanmoins, les salles d’asile, qui connaissent une généralisation progressive sur tout le territoire, s’ouvrent par la suite à l’ensemble des couches de la société : les classes moyennes et aisées y ont également recours. Les établissements préscolaires, notamment les[* écoles maternelles créées dans les années 1880*], bénéficient d’un processus réformiste nourri par les conceptions pédagogiques progressistes de M. Pape-Carpantier (1815-1878) et de P. Kergomard (1838-1925), relayées par le ministère de l’Instruction publique. En l’espace d’un demi-siècle, on passe d’un modèle hospitalo-éducatif de prise en charge de la seconde enfance (cf. les salles d’asile destinées à protéger les jeunes enfants issus de milieux populaires, et à corriger leur éducation), à un nouveau modèle éducatif, universaliste, représenté par l’école maternelle républicaine. Suite aux lois ferrystes, l’école maternelle devient gratuite et laïque, tout en restant une école non obligatoire. Dans les années 1880, les logiques de préscolarisation ne sont pas dégagées de la pression des rapports sociaux, des orientations de l’appareil idéologique d’État et des impératifs économiques de la société industrielle. L’histoire sociale et politique de la préscolarisation en France depuis le XVIIIe siècle rend compte de l’évolution des logiques de prise en charge institutionnelle des jeunes enfants. Cette histoire révèle les orientations, les finalités et les enjeux de la politique de préscolarisation, en explicitant notamment les questions de l’éducation du peuple, et des intentions sociales et éducatives des institutions d’accueil de la seconde enfance. Elle renvoie aux champs des perceptions sociales de l’enfant et des conceptions de l’enfance, ainsi qu’à la fonction des salles d’asile et des écoles maternelles. Elle est traversée par une logique institutionnelle de structuration progressive de la salle d’asile et de l’école maternelle, et par une logique politique de valorisation de la formation éducative antérieure à l’âge de l’instruction obligatoire, qui participent d’une volonté sociopolitique de légitimation de l’éducation précoce. L’histoire pluriséculaire de la préscolarisation est marquée par les questions de la lutte contre les inégalités, et de la prévention des difficultés scolaires ou des situations d’échec. À partir des années 1980, cette histoire s’ancre dans une [*logique politique d’éducation prioritaire portée par le principe de discrimination positive socioterritoriale*] qui, en matière de scolarisation des enfants de deux ans, conduit à l’extension préférentielle de leur accueil dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé (cf. la loi d’orientation sur l’éducation n° 89-486 du 10 juillet 1989). Les politiques publiques de préscolarisation se construisent, de la IIIe République au XXIe siècle, sur des fondements nationaux, universalistes et laïques, et coexistent, à partir de la décennie 1980, avec une logique étatique d’éducation prioritaire portée par une volonté politique de réduire les inégalités socio-spatio-scolaires (Warren, 2008b).
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