Comment faire respecter l’obligation de neutralité religieuse des agents dans l’exercice de leurs missions, obligation consubstantielle du principe de laïcité ? Lors d’un colloque organisé le 4 juin par le CNFPT, plusieurs collectivités ont témoigné de leurs difficultés. La réponse passe avant tout par la formation, ont convenu les participants. La publication d’un ouvrage pédagogique consacré au sujet devrait être bien accueillie.
Les atteintes à la laïcité de la part d’agents territoriaux dans l’exercice de leurs fonctions demeurent relativement rares, mais ces cas peuvent poser d’énormes difficultés aux collectivités concernées, ont témoigné les participants à un colloque sur les valeurs du service public que le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) organisait le 4 juin à Paris, près de six mois après des attentats qui ont relancé les débats sur cette question.
« Depuis un an, une assistante arrive au bureau, tous les jours, en étant voilée », a témoigné un agent d’un conseil régional. « Le service des ressources humaines a convoqué plusieurs fois la personne, sans que la situation ne change. Or, aucune sanction n’a été prise », a ajouté l’agent. Qui regrette la « frilosité » de son employeur.
Difficile de trouver la réponse
Dans une ville des Hauts-de-Seine, des agents ont signalé au service des ressources humaines le cas d’une collègue musulmane portant le voile au restaurant municipal. La collectivité a alors adopté une attitude de tolérance, a déclaré la DRH. Le cas d’une assistante maternelle voilée gardant des enfants à son domicile a aussi été évoqué. « C’était au moment de ‘l’affaire Baby Loup’. J’avoue que je n’avais pas envie de faire la ‘une’ des journaux non plus », a indiqué une fonctionnaire territoriale. Sur ce sujet délicat, « personne n’a réussi à se positionner », a-t-elle dit.
Les réponses sont délicates à formuler, a reconnu Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, placé auprès du Premier ministre. « Il faut agir avec discernement et non avec une conception rigide. Il ne s’agit pas de déclencher la guerre, la panique, le communautarisme », at-il déclaré. En même temps, a-t-il ajouté, « il faut faire respecter la loi, car, sinon, on ne sait plus où sont les limites ». Comment faire ? Selon l’ancien ministre de François Mitterrand, « dans beaucoup de cas, si on explique pourquoi l’attitude en question est une atteinte à la neutralité, on peut convaincre la personne [qui est à l’origine des difficultés]. Si on n’arrive pas à convaincre, il faut contraindre ».
« Ne pas entraver les missions »
L’employeur doit notamment s’attacher à apprécier si la demande de l’agent (par exemple la pratique du jeûne ou la demande de jours de congés pour des motifs religieux) n’entrave pas le fonctionnement du service. S’il peut parvenir à un accord avec l’agent, autant qu’il privilégie cette piste, a déclaré en substance Eric Tison, sous-directeur des Libertés publiques au ministère de l’Intérieur. Mais, a-t-il ajouté, si l’autorité territoriale estime que cet accord risque d’aboutir à une dégradation du service rendu au public, « il faut en tirer des conséquences ».
La laïcité s’applique aussi, bien sûr, dans les relations des agents et de la collectivité avec les usagers, a-t-il été rappelé avec l’exemple bien connu des repas servis dans les cantines scolaires. Sur le sujet, Jean-Louis Bianco a estimé que « la laïcité, c’est offrir du choix. (…) Après, que les gens veuillent manger du porc ou pas, ils en sont libres. La laïcité ne consiste pas à obliger tous les Français à manger du porc ». Il a ainsi désapprouvé le maire de Chalons-sur-Saône, qui a récemment pris la décision de supprimer le menu de substitution qui était proposé dans les cantines de sa ville lorsque du porc était servi.
Dans un contexte de d’hyper-médiatisation de la question de la laïcité, le gouvernement a souhaité consacrer ce principe parmi les valeurs fondamentales de la fonction publique. La nouvelle version du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui sera présentée le 17 juin en Conseil des ministres, affirme que « le fait pour un fonctionnaire de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses croyances religieuses, constitue un manquement à ses obligations professionnelles ». En outre, il est écrit que « le fonctionnaire traite également toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience ».
Réflexion collective
Mais que va changer le projet de loi si les chefs de service n’ont aucune formation les aidant à mettre en œuvre les principes déontologiques, notamment la laïcité ? C’est la question qu’a posée Jérôme Deschênes, DGS de Villedieu-les-Poêles et chargé des questions de l’éthique et de la déontologie auprès du président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales. La formation et l’information sont « la clé pour que la laïcité soit vivante dans la vie quotidienne et pas simplement incantatoire », a corroboré le président de l’Observatoire de la laïcité. En faisant le constat que « beaucoup de concitoyens » ne savent pas la définir.
La publication par le CNFPT, à l’occasion du colloque, d’un ouvrage intitulé « Les fondamentaux sur la laïcité et les collectivités territoriales » (lien ci-contre) tombe donc à point. Les agents et les élus y trouveront une série de fiches techniques, réalisées avec le ministère de l’Intérieur, abordant les principaux sujets que les collectivités territoriales doivent gérer en lien avec le principe de laïcité. Dans une approche résolument pédagogique, le CNFPT a agrémenté l’ouvrage de QCM et de clips d’animation numérique. Les lecteurs apprécieront certainement.
Sur la laïcité et plus généralement les questions de déontologie, les collectivités ne doivent pas laisser les chefs de service se débrouiller seuls. Une réflexion collective doit être privilégiée, ont fait remarquer Jérôme Deschênes et Claire Le Calonnec, secrétaire nationale de l’Interco CFDT. Présents en nombre au cours de la journée, les responsables syndicaux ont aussi rappelé que le respect des valeurs déontologiques ne saurait être effectif sans que la sérénité matérielle des agents publics ne soit assurée. Un argument selon eux pour que le gouvernement fasse un geste sur les rémunérations, dans le cadre de la négociation en cours sur les grilles.
Thomas Beurey / Projets publics
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