INSTRUCTION : Dans l’ancien droit français, procédure criminelle (Ancien régime). Droit pénal.
Par son origine latine, instruire signifie « équiper, élever».
« Ignorance est mère de tous les maux » F. Rabelais (1483-1553).
Pour M. Luther, 1524, in Libellus de instituendis pueris, comme pour J.B. de la Salle, 1720, in Conduite des écoles chrétiennes, il s’agit, par
l’instruction, d’édifier des âmes en modelant les moeurs enfantines au nom de la bienséance chrétienne.
Montaigne, 1595, dans Les Essais esquisse déjà l’idéal de « l’honnête homme» du siècle suivant qui aura « plutôt la tête bien faite, que bien pleine » (Livre l, chapitre XXV. De l’institution des enfants). L’essayiste s’adresse au « mieux savant» et non au « plus savant », l’érudit.
« L’ignorance est le partage de l’esclave et du sauvage. L’instruction donne à l’homme de la dignité et l’esclave ne tarde pas à sentir qu’il n’est pas né pour la servitude» D. Diderot (1713-1784).
« L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens », Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, dite « Montagnarde » du 24 juin 1793 (article 22).
« On n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est» J. Jaurès, Pour la laïque, 21 janvier 1910.
Dès le XVIIIe siècle deux visions vont s’affronter : celle d’une École fondée sur la séparation entre « éducation» (qui relève de la responsabilité de la famille) et « instruction» (sous l’autorité de la puissance publique) : « L’instruction civique se borne à régler l’instruction, en laissant aux familles le reste de l’éducation. La puissance publique ne peut même, sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités ; [ … ] son devoir est d’armer contre l’erreur [ … ] mais elle n’a pas le droit de décider où réside la vérité» (Condorcet, 1791) ; celle d’une approche que l’on qualifierait aujourd’hui de plus globale, conférant à l’Éducation nationale un rôle éducatif essentiel : « une éducation vraiment et universellement nationale», visant à « former des hommes, propager les connaissances humaines» et contestant la distinction formelle entre instruction et éducation (Robespierre, 1793).
Dans un pays comme la France, le contexte d’émergence de l’École républicaine était tel que c’est sur ce qui fut reconnu comme commun à tous, donc universel, qu’elle a été fondée, reléguant dans l’univers familial, tout ce qui pouvait s’apparenter aux choix d’opinions et d’intérêts privés. Les travaux de C. Lelièvre et de C. Nique ont montré les compromis que la Troisième république a dû faire pour imposer « l’instruction élémentaire » obligatoire décidée par l’autorité parentale (article 1 de la loi Ferry du 28 mars 1882 toujours en vigueur). Ce qui signifie que l’école laïque n’est pas le seul
endroit apte à diffuser l’instruction.
V. Hugo, 1872, distingue clairement deux faits, l’éducation et l’instruction : « L’éducation, c’est la famille qui la donne; l’instruction, c’est l’État qui la doit. L’enfant veut être élevé par la famille et instruit par la patrie. Le père donne à l’enfant sa foi ou sa philosophie ; l’État donne à l’enfant l’enseignement positif. De là cette évidence que l’éducation peut être religieuse et que l’instruction doit être laïque. Le domaine de l’éducation, c’est la conscience ; le domaine de l’instruction, c’est la science. Plus tard, dans l’homme fait, ces deux lumières se complètent l’une par l’autre».
« Je déteste tout ce qui ne fait que m’instruire, sans augmenter mon activité ou l’animer directement» (Goethe, cité par F. Nietzs -1874).
L. Tolstoï (1828-1910) a fait preuve d’un génie créateur nourri d’un vitalisme instinctif. Ce grand romancier russe mit au point une méthode et des principes d’éducation populaire : « C’est seulement quand l’expérience sera la base de l’école, seulement quand chaque école sera un laboratoire pédagogique, que l’observation pourra édifier sur des fondements solides la science de l’éducation». Admirateur de J.J. Rousseau, L. Tolstoï, 1875, publia un article important sur « l’instruction du peuple», tout en étant convaincu que « Non seulement, nous ne savons pas, mais nous ne pouvons pas savoir en quoi doit consister l’éducation du peuple ».
L’instruction peut prendre différentes formes : instruction civique (dispensée aujourd’hui sous l’intitulé : éducation civique, juridique et sociale, ECJS), instruction militaire, instruction publique, instruction religieuse ou instruction morale. Ainsi, dans sa lettre aux instituteurs du 17 novembre 1893, J. Ferry déclare : « S’il s’agit d’instruction morale, au moment de proposer un précepte ou une doctrine quelconque, il faut se demander s’il se trouve un seul honnête homme qui puisse être froissé par ce qui va être dit. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire». L’Instruction publique devient en France, un ministère à part entière, le 4 janvier 1828, qui deviendra le ministère de l’Éducation nationale en 1932 (A. de Monzie).
« Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison », Condorcet (1741-1794). Les républicains ont conçu une véritable politique scolaire qui a réussi parce qu’on ne pouvait la détacher d’un courant d’opinion qui croyait au progrès par les Lumières, dans la continuité de l’héritage révolutionnaire : « L’instruction est, à l’époque, un idéal collectif. De même qu’aujourd’hui la majorité des membres de notre société admet que la croissance économique est l’objectif essentiel de la collectivité, de même dans la seconde moitié du XIX’ siècle, on croyait à l’instruction. Encore largement rurale, la société n’avait guère été pénétrée par l’idéal du progrès technique et de la production, ou plutôt ces objectifs eux-mêmes étaient subordonnés à la diffusion des connaissances usuelles. Le progrès capital qui commande tous les autres, c’est celui de l’instruction. Et les familles en quête de mieux-être se tournent vers l’école », A. Prost, 1968.
S.Weil, 1943, la philosophe, déplore l’instruction telle qu’elle est conçue aujourd’hui : « La naissance a partout provoqué une coupure entre les gens cultivés et la masse [ …]. II en est résulté une culture qui s’est développée dans un lieu très restreint, séparé du monde, dans une atmosphère confinée … ».
« L’instruction ne rend pas toujours l’homme meilleur ». Pour C. Freinet (1896-1966), instruction et connaissances ne sont que des outils, leur emploi nécessite une initiation et une direction avisée qui suppose une vraie information et une authentique culture de la personne humaine pour « Former en l’enfant l’homme de demain ».
Le débat instruction versus éducation est un vieux serpent de mer. On peut admettre avec D. Hameline, 1994, que « l’éducation et l’instruction sont étroitement unies, comme éléments inséparables d’un même système ; mais l’instruction n’est qu’une branche de l’éducation et une branche subordonnée ». Enfin, rappelons avec H. Arendt (1906-1975), que « l’école ne peut instruire que des gens éduqués ». La solarisation suppose que des conditions préalables soient remplies, en termes d’éducation de l’enfant, de socialisation, de capacités d’expression. C’est l’instance familiale qui s’en charge, dans le but, implicite ou explicite, de rendre la scolarité possible.
P. Canivez, 1985, analyse les implications sociales, politiques et morales de l’action éducative en partant de la théorie weilienne de l’instruction. Notre société moderne croît à la rationalité calculatrice et au progrès par la valeur travail. Nous sommes engagés dans une compétition, une lutte pour les places, chacun cherchant à se faire une situation. Chaque individu doit pouvoir espérer dans l’avenir ; la question du processus de sélection étant de savoir qui se montrera le plus capable pour occuper correctement une fonction.
D’une manière générale, comme le précise B. Sandrin-Berthon, 1997, « Les connaissances transmises par l’instruction ne sont en principe ni remaniées par l’instructeur ni adaptées au sujet à instruire. Elles ne dépendent pas de la relation maître-élève. Elles sont établies à l’avance de manière précise, répondant, pour la société qui les établit, à des nécessités vitales ou idéologiques, voire à des normes. L’instructeur porte alors les valeurs de l’institution qui le mandate, même s’il n’en a pas conscience : les valeurs de l’État au travers de l’instruction civique, celles de l’Église au travers de l’instruction religieuse, celles de l’Armée au travers de l’instruction militaire … L’éducateur va plus loin : il prend position et pose ses propres valeurs en exemple ».
Il ne faut pas confondre l’instruction de base, la culture générale et les compétences professionnelles. « Le but de l’instruction est la fin de l’instruction, c’est-à-dire l’invention », M. Serres, 1992. Pour le philosophe et épistémologue, entre 1900 et aujourd’hui, tout a changé pour les écoliers qui vivent à présent dans le virtuel, dans une société multiculturelle, et un pays qui ne compte plus que 1 % de
paysans. Il faut aider l’école à prendre la mesure de ce changement d’ère, une des plus grandes ruptures dans l’histoire depuis le néolithique, qui modifie notre « être-au monde ».
Il est illusoire de penser que l’enfant, peut par sa propre activité, reconstruire seul les savoirs accumulés par l’humanité depuis des millénaires. Aucun esprit sérieux ne l’a jamais prétendu. Par contre, comme l’a souligné avec juste raison pédagogique, A. Prost, 1985, la problématique des études « place au centre de ses préoccupations l’élève en tant qu’il apprend … des savoirs laborieux et pénibles, sans cesse complétés et précisés par l’élève qui les apprend, les construit et finit par s’en emparer pour les utiliser à sa quise». C’est en ce sens que la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, dite loi Jospin, affirme que le système éducatif doit être conçu et organisé « en fonction des élèves et des étudiants, contribuant ainsi à l’égalité des chances».
Les appellations ministérielles varient en fonction de la coloration politique du régime en place. D’abord ministère de l’Instruction publique sous la III’ république jusqu’en 1932, le ministère de l’Éducation nationale redeviendra « Instruction publique » sous le régime de Vichy, pour se limiter à l’appellation ministère de l’Éducation pendant le septennat du président V. Giscard d’Estaing (1974-1981). L’instruction prend en compte le connu ; l’éducation s’insère dans un contexte de changement.
Pour H. Pena-Ruiz, 2005, « La concentration, la culture de la réflexion et la capacité de recul que l’instruction met en oeuvre, l’exigence de méthode, et le souci du travail bien fait, entre autres, ont une portée humaine et morale qui déborde la simple formation intellectuelle. L’instruction comme telle peut donc être un fondement essentiel de l’éducation».
Le pédagogue P. Meirieu, 2006, faisait le constat d’une inflation des missions confiées au système éducatif d’aujourd’hui : « L’École est écartelée entre des fonctions multiples et contradictoires : enseigner la maîtrise des langages traditionnels et initier aux nouvelles technologies, transmettre un patrimoine et permettre la compréhension des situations contemporaines, prendre en compte les différences et garantir une culture commune, faire réussir aux examens et apprendre la vie en société, former au respect de l’environnement et à la sécurité routière, éduquer à la santé, prévenir le sida, informer sur les dangers des toxicomanies et bien d’autres choses encore» (dont l’éducation à l’orientation, ajouté par nous).
M. Safra, inspecteur général de l’Éducation nationale, 2009, s’est attachée à souligner le défi auquel sont confrontés les enseignants dans le quotidien de leur classe face à la transmission éducative. Les apprenants ne progressent pas tous à la même vitesse, n’ont pas le même niveau d’acquis, ne sont pas prêts à apprendre en même temps, n’utilisent pas les mêmes stratégies de résolution de problème, n’ont pas le même répertoire de comportement, n’ont pas le même profil d’intérêts, de motivations et de valeurs, etc. L’hétérogéneité des élèves est devenue la norme dans le système éducatif français.
But ; École primaire ; Éducation ; Enseignant ; Enseignement ; Hétérogénité/Homogénéité …
Orientation bibliographique
• Prost, A. (1990). Éloge des pédagogues. Paris : Seuil.
• Serres, M. (1992). Le Tiers-Instruit. Paris : Gallimard.
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