PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Dans la vie de tous les jours, élitisme et excellence sont synonymes. Pas dans l’enseignement. Il n’est pas question de jargonner, mais de préciser, parce qu’en l’occurrence, nous touchons là deux notions quasi-contraires.

En éducation, l’élitisme se définit comme le processus qui voit s’extraire d’un système les membres les plus performants. C’est une propension à les privilégier. La plupart du temps, ces élites font l’objet de valorisation ou accèdent à des fonctions reconnues socialement. En même temps, il leur est tacitement demandé de participer à l’élévation du niveau moyen, à partir de leurs efforts, reconnus comme supérieurs. Les vaincus de cette lutte sont tolérés dans leur existence, bénéficiant du « privilège » d’accéder aux ressources difficilement acquises par le travail des élites. C’est évidemment une forme d’assistanat par de la relégation qui dépend d’un principe discutable : les plus forts partagent naturellement le produit de leurs engagements avec tous les autres. Malheureusement, cette théorie ne tient ni empiriquement, ni philosophiquement. Platon (par son berger de Gygès) avait expliqué que l’humain doté d’un pouvoir recherche ses intérêts particuliers. Thomas Hobbes militait pour un pouvoir fort, qui puisse contraindre les individus à tendre vers l’intérêt général. Rousseau proposait un contrat social comme instrument de liberté et d’égalité. En somme, l’élitisme correspond à une forme d’oligarchie appliquée à l’école : seuls quelques-uns réussissent, au détriment manifeste de tous les autres, ou, pas forcément dans leur intérêt.

Une pédagogie de l’élitisme est facile à décrire pour nous en France, parce que c’est majoritairement celle que nous reproduisons depuis plusieurs décennies maintenant : des enseignements très souvent collectifs et uniformes, une demande implicite aux élèves de comprendre du premier coup, des évaluations qui servent surtout à rendre compte de performances spontanées, des activités dissymétriques dans l’intensité au rapport aux savoirs, une réalité de l’entre soi (dans un sens comme dans l’autre, fortement corrélé aux logiques urbanistes), un marché florissant des cours complémentaires (privés ou généreusement entretenus par des enseignants qui se satisfont de différencier par de l’aide individualisée et externalisée), des stratégies de contournement possible d’une école républicaine pour tous, …

L’excellence scolaire est d’une autre facture intellectuelle. Elle correspond à une volonté d’autoriser l’expression des talents individuels, de susciter les performances, d’autoriser l’expression des capacités ; pas dans une volonté de vaincre l’autre, mais avec l’intention de promouvoir le meilleur en chaque individu. L’excellence rejoint pleinement la conception éducative de Kant quand il prétend qu’éduquer, c’est développer dans chaque individu toute la perfection dont il est capable. L’excellence à l’école rappelle que l’essentiel n’est pas de se préoccuper uniquement de la difficulté scolaire, mais de parvenir à s’adresser également aux élèves qui n’en rencontrent pas (ou peu) et qui pâtiraient d’organisations qui attendent que tous les élèves aient atteints le minimum fixé pour enchaîner sur d’autres savoirs. Indéniablement, nous serions face à une pédagogie qui abaisse le niveau général des élèves. Le pire, c’est que cela ne garantirait pas la réussite des plus fragiles tant ils seraient reconnus par leurs manques et incapacités.

Que serait alors une pédagogie de l’excellence ?

D’abord, une pédagogie qui admet le théorème de Duru, du nom des travaux de Marie Duru-Bellat s’intéressant aux effets de la composition des groupes sur les acquissions scolaires : les classes homogènes creusent les inégalités entre les élèves, les classes hétérogènes peuvent, sous certaines conditions, prétendre à de l’équité scolaire.

Une pédagogie qui alterne les situations collectives de travail (pendant lesquelles l’enseignant accompagne la construction des apprentissages des élèves réunis en communauté réflexive) et les situations individuelles, où chacun effectue des activités à sa portée, c’est-à-dire ni trop éloignées de ses capacités, ni trop faciles.

Une pédagogie qui organise de manière rigoureuse les échanges coopératifs entre les élèves : ceux qui butent devant un obstacle peuvent obtenir des réponses aux questions qu’ils se posent, les experts de la classe peuvent exploiter ce qu’ils savent (et ainsi encore mieux les maîtriser), les enfants et adolescents accueillis dans les écoles découvrent que vivre avec d’autres ne correspond pas à une perpétuelle compétition. En somme, une organisation de classe qui enseigne aux élèves les conditions et les bénéfices de la réciprocité (Axelrod, 1992)

Une pédagogie qui conçoit les évaluations comme des situations pour densifier les apprentissages. Ainsi, on ne se satisfait pas d’un 12/20 (ou pire, d’un 6/20) pour passer à un autre champ de savoirs. On donne la possibilité aux élèves de reprendre leurs entraînements, de repasser des évaluations similaires, jusqu’à obtenir l’équivalent d’un 18/20.

Une pédagogie qui ne médiatise pas les manques, mais valorise les acquis. D’abord pour que ces acquis alimentent le réseau d’échange de savoirs au sein des classes. Ensuite pour ne pas générer des sentiments d’incompétences, sous prétexte que l’on n’a pas encore terminé d’apprendre. La classe est alors un lieu où chacun est en chemin parce que personne ne se sait incapable de progresser.

La distinction entre élitisme et excellence apparaît donc comme fondamentale pour la promotion d’une école véritablement démocratique : il ne suffit pas de donner les mêmes moyens à tout le monde pour que chacun profite de la scolarisation. L’activité éducative ordinaire est bien plus complexe. Il ne s’agit pas non plus de militer pour des utopies qui ne feraient qu’exacerber les antagonismes entre les grands papas ronchons et les petites poucettes : l’idée d’une réussite scolaire pour tous (accès aux diplômes les plus élevés, aux professions valorisées, à des loisirs intenses, …) en est malheureusement un exemple parce qu’effectivement inatteignable. C’est intangible que les personnes sont inégales face aux capacités nécessaires à ces formes spécifiques de réussite. Il s’agit dans les idées de simplement tendre vers des progrès pour chacun (que les temps d’école servent à ce que chaque élève soit le soir un peu plus grand que le matin). Il s’agit en pratique de construire, dans les détails, une organisation en appui sur les savoirs pédagogiques et didactiques, enrichie du potentiel de création des enseignants et adaptée aux environnements et à la personnalité des élèves concernés. Autrement dit, combattre l’élitisme par une pédagogie en actes et promouvoir l’excellence pour tous. 

Sylvain Connac (mai 2015)

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