TABLE RONDE de 9h30 animée par Pascal NICOLLE, « Gestions Locales » intitulée :
« L’évolution des compétences et des problématiques de gouvernance dans le champ de l’Education »
Etant engagé dans le travail de publication des actes de la Rencontres organisée par la Ligue de l’Enseignement et le CAPE avec le soutien du ministère de l’Education Nationale les 7 et 28 novembre 2014 je n’ai pas pu préparer une véritable intervention mais je voudrais apporter quelques éléments sur ce bilan des deux premières années de la refondation de l’école tirés tout autant de la pratique collective que de mon expérience personnelle. C’était en effet l’objectif de la rencontre de novembre, lors du salon européen de l’éducation, que de faire un bilan d’étape de la réforme en cours avec de nombreux participants de toutes origines dont, Serge FRAYSSE qui y représentait le Commissariat général à l’égalité des territoires.
Nous avons voulu cette rencontre pour deux raisons principales. Tout d’abord parce qu’il nous semblait indispensable qu’une réforme aussi fondamentale soit accompagnée d’un débat public à la hauteur des enjeux qui sont ceux de l’éducation dans une période de profondes mutations économiques, sociales, politiques, techniques et culturelles. Mais aussi parce qu’il nous paraissait problématique que la principale mobilisation qui s’effectue autour de cette refondation, soit celle, « adversive » de tous ceux qui se sont saisis de la réforme des rythmes pour manifester leur opposition aux propositions gouvernementales : certains syndicats enseignants, soucieux de défendre leurs mandants, se sont illustrés par des positions particulièrement négatives, rejoints par des parents de gauche comme de droite, dont les enfants ont l’école huit jours sur sept, et particulièrement décidés à défendre l’organisation du temps qu’ils avaient pu aménager, se sentant peu concernés par la situation majoritaire que vivent la plupart des familles et de enfants. Face à cette mobilisation virulente, relayée par les médias, que peuvent peser la multitude d’initiatives positives qui sont prises sur le terrain mais sans véritablement visibilité si structuration collective.
Il y a donc urgence pour accompagner cette réforme qui, sur le papier en tous cas, offre des opportunités extrêmement intéressantes mais qui pose de nombreux problèmes dans sa mise en œuvre. Vincent PEILLON a été porteur d’un discours extrêmement intéressant. Mais la parole d’un ministre, si talentueux soit-il ne suffit pas si la machine gouvernementale dans toutes ses déclinaisons, y compris l’administration déconcentrée, les rectorats, les académies de sont pas en capacité de porter cette dynamique de transformation alors même que les responsables politiques sont confronté à cette atonie du corps social ou plutôt à cette contre mobilisation qui a grandement contribué à brouiller le message.
C’est donc fort de ce double constat que, me trouvant en situation de disponibilité grâce aux électeurs, j’ai décidé de m’engager encore plus pour cette grande cause de l’Education, question centrale posée aux sociétés humaines aujourd’hui. Comment donner aux enfants et aux jeunes les moyens de connaître, de comprendre et d’agir pour demain devenir des femmes et des hommes éclairés, critiques capables de faire valoir leur potentiel et de construire du « vivre ensemble ». La gauche cherche à redéfinir son identité. Qu’à cela ne tienne ! Qu’elle s’occupe de l’Education.
Donc l’idée de manœuvre était la suivante : comment accompagner cette réforme qui se trouve dans une phase cruciale, au milieu du gué ? Tout d’abord en relançant le débat public par l’instauration d’un rendez-vous citoyen pour l’organisation duquel j’avais dans un premier temps sollicité le ministère en proposant la réunion d’assises ou d’états généraux. Mais c’est finalement en discutant avec les responsables nationaux de la Ligue de l’enseignement qu’a pris corps notre initiative s’appuyant sur cette idée de rendez-vous citoyen, permettant de réaliser un véritable service après vote de la loi de refondation. Après réflexion je pense qu’une des conditions de réussite de ce rendez-vous citoyen dont nous souhaitons qu’il devienne annuel, est qu’il soit organisé par un consortium d’associations d’éducation populaire, de mouvements pédagogiques réunis au sein du collectif des associations partenaires de l’école publique (le Cape) , en partenariat avec le réseau français des villes éducatrices et en relation avec la participation des principaux ministères concernés.
Comment avancer dans la gouvernance de cette refondation. Tel est le thème de notre table ronde. Je pense en effet que c’est un des problèmes cruciaux qui est posé pour la mise en œuvre effective de cette politique publique. Aujourd’hui ce ne sont pas les idées qui manquent. Elles sont sur la table. Il y a un débat, des controverses, des polémiques. Mais, sur le fond, le projet est là. Comment traduire cela dans la réalité ? Les évènements tragiques qu’a traversés notre pays en janvier dernier marquent un tournant. Non pas car auraient surgis des questions nouvelles qui mettraient en cause les orientations prises dans le champ éducatif. Mais parce qu’ils ont fait prendre conscience au plus grand nombre de la gravité de la situation et de l’urgence d’agir notamment dans le champ éducatif. Il est assez fascinant de voir comment de hauts responsables politiques peuvent découvrir la profondeur de fractures sociales que certains d’entre nous connaissent bien. J’ai ainsi lu quelques propos dans la presse d’un ministre qui avait été en banlieue et qui était étonné devant la réaction des jeunes. Ceux qui connaissent la banlieue, qui connaissent ce que vit au quotidien la population savent combien la situation s’est parfois dégradée ces dernières années, face à des inégalités et des discriminations qui ne cessent de s’aggraver.
Je salue d’ailleurs globalement l’action du gouvernement dans ces moments critiques parce que nous sommes resté sur la ligne de crête, sans sur réagir ni sous-estimer la gravité des problèmes posés. Je ne suis pas sûr qu’un gouvernement d’une autre sensibilité ait évité que le pays ne sombre dans une perception fantasmée, univoque et stigmatisante. Je viens de Belfort, proche de Montbéliard où les dernières élections législatives partielles ont révélée l’importance grandissante du vote Front national. Nous savons que dans notre population aujourd’hui il y a effectivement une demande très forte d’autorité, de retour à des valeurs sûres dans une société qui a perdu son sens et qui est minée par les inégalités et par le repli sur soi.
C’est un formidable défi que de vouloir reconstruire une société solidaire. Et la composante éducative de ce défi est majeure, avec, sans doute, un tournant dans la prise de conscience de l’importance de cet enjeu éducatif. A cet égard la situation actuelle comporte à la fois un risque et de formidables opportunités. Le grand risque est que l’on se focalise sur l’écume des choses, que l’on pense que tout passe d’abord par l’éducation civique et morale. Je suis très favorable à cette éducation civique et morale, mais redonner confiance aux jeunes dans le système éducatif, c’est aussi fondamentalement faire évoluer la posture du monde adulte, des enseignants, des parents, de l’ensemble de la communauté éducative vis-à-vis des élèves. Plus qu’à l’énonciation de quelques préceptes moraux sans doute nécessaires, comment concrètement modifier les conditions concrètes d’expression de cette citoyenneté ? Le risque, dans ces moments de crise, de se focaliser sur l’écume des choses est donc d’en oublier le travail de refondation plus fondamental. Or cette crise aura joué son rôle, et ce sont là les opportunités, si on s’en saisi pour approfondir tous les chantiers dans lesquels nous sommes engagés. Ces chantiers sont nombreux, et nous avons voulu les aborder lors de notre rencontre du 27-28 novembre dernier en identifiant un certain nombre de leviers ou de points cruciaux de la réforme. Qu’avons-nous retenu comme éléments essentiels pour réussir la refondation ? Je vais en citer rapidement les principaux, étant donné le temps imparti à mon intervention, m’excusant par avance de les aborder de façon parfois peut être un peu expéditive mais renvoyant aux actes de la rencontre pour une approche plus précise de ces différentes problématiques.
C’est d’abord l’implication des parents. Nous sommes dans ce domaine confrontés à un nécessaire changement de paradigme. Il n’est plus possible aujourd’hui de vouloir développer une éducation nationale, de masse, et visant la réussite de tous sans reconsidérer les parents comme premiers éducateurs de leur enfant, pour le meilleur comme pour le pire. L’école républicaine à la française s’est historiquement constituée contre la famille et contre les parents. Je n’ai pas le temps de développer et ne peux que provoquer au débat, mais il y a dans cette assemblée de nombreuses personnes qui ont travaillé sur cette question et la députée Valérie Corre a fait un très beau rapport. Mais que fait-on pour mettre en œuvre les 25 mesures préconisées ? Comment met-on au cœur de la refondation de l’école cette relation avec les parents ?
Deuxième levier, l’ouverture de l’école sur son environnement. Dans l’éducation des enfants et des jeunes, l’école peut beaucoup mais l’école ne peut pas seule et l’école ne peut pas tout. L’école ne va pas miraculeusement, à elle seule, régler des problèmes qui relèvent d’une intervention sociale et économique plus globale et que la société doit prendre en charge. L’école peut beaucoup parce qu’elle est d’abord une institution. Elle mobilise d’importants moyens. C’est une politique publique. Mais elle ne peut pas seule et un des enjeux de l’école c’est aussi son ouverture sur un environnement qui joue un rôle éducatif de plus en plus important, positif ou négatif. Sortir d’une vision trop scolaro-centrée de l’éducation nécessite donc que les enseignants s’ouvre sur l’ensemble des dimensions éducatives dans une relation plus intégrée avec ce qui se passe dans le temps hors scolaire.
Cela pose notamment le problème de la formation initiale et continue des enseignants mais aussi de l’ensemble des professionnels de l’éducation. C’est le troisième levier de la refondation. C’est le problème des ESPE. Le concept des Espé, en remettant l’accent sur une vrai formation professionnelle des enseignants et en s’ouvrant à la formation de l’ensemble des éducateurs est prometteur. Mais il y a encore aujourd’hui loin de la coupe aux lèvres et il faudra sans doute du temps avant que ces structures remplissent leurs objectifs. Il y a pourtant là un enjeu majeur non seulement pour la formation initiale mais aussi pour la formation continue. La formation initiale ne pourra produire ses effets qu’à moyen et long terme. Or la refondation a également besoin de résultats à court terme. La formation continue a l’avantage d’intervenir de façon beaucoup plus rapide. Encore faut-il la réorienter en privilégiant les formations sur site, en relation avec le travail en équipe. D’autres en parleront sans doute beaucoup mieux que moi. Mais je souhaite également mettre en exergue la nécessité de promouvoir à grande échelle la démarche de recherche –action en lien avec la formation initiale et continue. En tant que maire, très sensible à l’innovation dans tous les domaines, j’ai toujours pensé qu’il ne pouvait pas y avoir de dynamique exigeante dans ce domaine sans accompagnement des équipes dans leur capacité réflexive, pour leur permettre constamment d’améliorer leurs interventions. Et ceci est valable pour toutes les équipes de l’Education nationale, des collectivités territoriales et des associations
Voilà très rapidement quelques pistes, il y en aurait bien d’autres encore mais je dois limiter mon intervention. Je voudrais pour terminer indiquer qu’aujourd’hui, avec la Ligue de l’enseignement et le Cape, nous œuvrons pour installer de façon pérenne dans le paysage cette conférence nationale de l’Education qui pourrait réunir de façon annuelle dans le cadre du salon de l’Education l’ensemble des composantes de la communauté éducative. Nous avions quatre de ces composantes en novembre 2014, l’Education Nationale, les associations complémentaires de l’école et les mouvements pédagogiques, les parents et les collectivités territoriales. Mais nous pensons qu’il faut en rajouter une cinquième : les élèves et les jeunes qui sont parties prenantes de cette démarche non seulement en tant que bénéficiaires mais également en tant qu’acteur de leur propre éducation. Et là aussi le regard qu’on porte sur les enfants et sur les jeunes doit changer.
Nous sommes aujourd’hui face à des mutations de paradigmes extrêmement profondes. Auteur du tsunami numérique, Emmanuel DAVIDENKOFF nous rappelle que la révolution numérique modifie substantiellement même la pratique et le métier d’enseignant et que de ce point de vue la refondation c’est l’adaptation positive et volontariste porteuse de valeurs à ces nouveaux changements de paradigme.
Lire la suite : Intervention Prisme EB Corr