Entretien paru il y a un an sur le site des parents écolemania
– Suite à un article paru sur le site rue89 qui a fait grand bruit et intitulé « Chers parents d’élèves vous nous emmerdez », on peut se demander d’abord comment de façon générale, les parents sont perçus par le corps enseignant. Et si ces dernières années, une méfiance s’est développée , voire une hostilité, entre école et parents ?
Ce qu’on peut dire c’est que l’attitude critique des parents vis à vis de l’école est relativement récente et c’est encore plus récemment qu’elle s’exprime ouvertement. Je situe ce changement autour des années 1970. Il est probable que la diffusion des idées nouvelles sur l’éducation comme celles de Françoise Dolto y soit pour quelque chose. Elles ont au moins permis à quelques-uns de s’interroger.
Jusqu’à ces années 1970, l’immense majorité des parents ne se posait pas de question par rapport à l’école et n’interpellait pas les enseignants quant à leurs pratiques… sauf quand celles-ci étaient radicalement différentes (pédagogies actives, pédagogie Freinet). Dans ce dernier cas, cela se traduisait par des « affaires » auxquelles prenait part l’administration quand ce n’était pas elle-même qui les provoquait. Une de ces affaires la plus célèbre étant « l’affaire Freinet » en 1933.
Les rapports enseignants/parents se limitaient aux moments où un enfant avait de mauvais comportements et où il était demandé aux parents d’agir de leur côté. « Quand je recevais une claque à l’école, j’en recevais deux à la maison ! ». Il était rarissime qu’un enseignant soit remis en question, voire même interrogé sur ses conceptions pédagogiques. Le ghetto scolaire faisait l’objet d’un consensus général. « Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées » disait-on à la campagne ou encore « On ne se mêle pas d’apprendre au garagiste comment réparer une voiture »
Ce contexte a profondément changé. Autrefois ce n’était pas l’école qui assurait l’avenir social des enfants mais la situation des familles. Fils de paysan devenait paysan, fils de commerçant devenait commerçant… les filles dépendant, elles, de leur futur mariage. L’école pouvant quand même être un ascenseur social pour quelques-uns.
Depuis quelques années ce n’est plus le cas, et du coup l’école a pris une autre importance et elle interroge d’autant plus qu’elle avoue elle-même ses échecs. Contrairement à ce qu’on dit, des travaux ont montré que jamais les parents ne se sont autant occupé et préoccupé de leurs enfants. Ils ont donc de plus en plus tendance à vouloir savoir ce qui se passe à l’école, comment cela se passe, pourquoi telle ou telle pédagogie. Ils ne se contentent plus d’entériner des résultats comme inéluctables et dont seul l’enfant est responsable. De ce fait, ils sont aussi perçus par les enseignants comme venant demander des comptes, ce qui est tout nouveau dans le système scolaire où, jusqu’à ces dernières années, les enseignants n’avaient de comptes à rendre qu’à leur hiérarchie. Si on ajoute que chaque parent n’a pas les mêmes aspirations quant à ce qu’il attend de l’école pour son enfant, on peut comprendre les réticences croissantes, plus que la méfiance, des enseignants qui ne savent plus comment se comporter.
L’école doit faire face à une nouvelle donne qui nécessite de changer un certain nombre de comportements, d’abandonner les habitus instaurés par plus d’un siècle scolaire et qui protégeaient le monde enseignant.
– Quels sont les freins selon vous qui empêchent les parents d’élèves d’être plus actifs au sein de l’institution ?
Je citerais une réflexion très souvent entendue « Je ne retourne plus au conseil de classe ou d’école : tout ce qu’on peut y dire ne sert à rien et en plus on se fait rembarrer si on ose parler d’autre chose que de la cantine ou du voyage scolaire! ». Il est vrai que ces créneaux institutionnels ne sont le plus souvent que des instances d’approbation. Il n’est pas de bon ton d’émettre critiques ou réserves, voire suggestions, et la crainte, justifiée ou non, que les propres enfants des délégués en subissent les contrecoups incite à la prudence. Dans les instances où le parent est convié, il s’y comporte souvent encore comme un élève face à ses maîtres alors qu’il y ait investi du statut de représentant comme un député est lui représentant du peuple (en principe !)
Il y a bien une barrière qui isole l’école. Une barrière physique (renforcée par le prétexte des plans pirate), réglementaire et psychologique. Les parents qui doivent y laisser leurs enfants ignorent ce qu’est ce lieu, ce qui s’y passe, ce qu’y font leurs enfants et les profs, comment les uns et les autres s’y comportent. Ils n’ont pas le droit de regard, ne serait-ce que le regard curieux. Ce qui leur est demandé, c’est la confiance aveugle, au sens propre du qualificatif.
Ce qui est paradoxal, c’est que le parent, reconnu comme responsable affectivement, matériellement et juridiquement de son enfant est complètement déresponsabilisé pendant cet espace-temps qui capture son enfant la plus grande partie de sa vie où il se construit en adulte. Ce qui n’empêche pas l’institution de l’accuser d’irresponsabilité quand il ne se comporte pas comme il convient ou que sa progéniture n’est pas conforme à ce que la même institution attend.
Il est bien difficile alors aux parents de s’investir réellement dans une entreprise dans laquelle il n’a aucun pouvoir, dont il est exclus en tant que tel en dehors de l’annexe (cantine, périscolaire, voyages scolaires…) où il lui est demandé de palier aux conséquences induites par l’Institution.
– Le fonctionnement de l’école est il selon vous, méconnu des parents ?
Ils n’en connaissent que la partie émergée de l’iceberg. Souvent ils méconnaissent même les textes qui régissent le fonctionnement des différents conseils où ils siègent. Bien sûr, l’information leur est donnée ou ils peuvent la trouver. Mais on sait que toute information doit être traduite, explicitée dans les conséquences, droits et pouvoirs qu’elle induit.
C’est surtout le fonctionnement interne de la machine éducative qui est méconnu. Quels sont par exemple les rapports entre les enseignants et leur hiérarchie, les pouvoirs des uns et des autres et les abus de pouvoirs qu’ils se permettent, à quels textes législatifs supérieurs doivent se conformer toute réglementation ou toute demande de l’institution (par exemple la convention internationale sur le droit des enfants), comment, par qui, pour quoi sont élaborées telles ou telles instructions, comment un enseignant obtient ou n’obtient pas tel ou tel poste, que risque-t-il s’il ne se conforme pas aux exigences de sa hiérarchie (méthodes par exemple), qu’est-ce qui confère à cette hiérarchie l’expertise dont on la pare, comment fonctionne un conseil de discipline, etc. etc.
Cette méconnaissance contribue au fait que l’école est pratiquement un État dans l’État devant lequel les parents sont impuissants.
On connaît beaucoup mieux le fonctionnement du système de santé que l’on connaît celui du système éducatif !
– Les enseignants devraient ils être formés à la communication avec les parents d’élèves, comme certains directeurs d’école l’ont évoqué ?
Sans aucun doute, c’est même une partie fondamentale de leur profession.
Le parent que l’on transforme en parent d’élève est affectivement et psychologiquement encore une partie de l’enfant auquel s’adressent les enseignants. Il n’est pas propriétaire d’un objet mais il est encore partie de l’enfant dont il ne sera complètement séparé qu’une fois l’état d’adulte atteint. Beaucoup de parents sont eux-mêmes touchés dans leur chair lorsque leur enfant est sanctionné ou malmené, ou s’enorgueillissent de leurs réussites. Il est un fait qui ne peut plus être ignoré : l’élève est un enfant qui a des parents !
Cette communication qui doit être instaurée est beaucoup plus large et complexe que ce qu’on en entend généralement. D’abord parce qu’il n’y a pas communication s’il n’y a pas interaction, ce qui demande réciprocité et liberté dans l’expression. Or notre société dite de communication est devenue de moins en moins… communicante. Il va s’agir pour les enseignants de libérer cette expression (tout en l’acceptant), permettre aux parents d’oser ! Par exemple il va leur falloir demander, provoquer et accepter la critique. Il faut que celle-ci ne soit plus considérée comme un désaveu mais comme un élément essentiel de discussion dans la recherche de l’amélioration ou de la transformation des pratiques, dans la recherche d’un consensus et non pas d’un compromis. Il y a des techniques pour cela qui s’apprennent. Ce qui manque, ce sont souvent les lieux et temps pour le faire, mais rien n’empêche de les instaurer. Dans mon école, il y avait une ou deux rencontres par mois, et tout le monde était présent : la vraie communication induit aussi l’élimination des tensions lorsque chacun est reconnu et respecté.
L’école a besoin de cette communication interactive pour qu’elle devienne une œuvre collective…et paisible. Elle doit être transversale, aussi bien entre les parents et les enseignants, qu’entre les parents, qu’avec les élus, le tissu socioculturel… et les enfants et adolescents. Les enseignants y ont un rôle central, neutre et professionnel, comme provocateurs, comme organisateurs, comme animateurs, comme médiateurs, comme coordinateurs. Oui, sans aucun doute, cela demande vraiment une formation… et de nouveaux habitus.
– Pensez-vous, de par votre expérience, que les parents sont réticents aux changements et préfèrent « s’accrocher » aux préceptes de l’école telle qu’ils l’ont eux mêmes connus ?
Ce n’est pas d’aujourd’hui ni spécifique à la France. Je vous cite les propos de l’urugayen Jose Pedro Varela qu’il tenait en…1879 ! « Chaque maître, et notamment chaque vieux maître, avait un groupe de parents qui lui étaient acquis, des élèves et des assistants qui le soutenaient. Ainsi, chaque école était une sorte de forteresse où le maître était retranché ; méthodes nouvelles, idées nouvelles, transformations, réformes que l’on tentait de réaliser, tout était condamné et sombrait dans les fossés dont la tradition entourait l’école. » (La educación del pueblo – Montevideo)
Mais ceci est normal. Enseignants comme parents avons tous été formatés par l’école traditionnelle, elle nous a même socialement institués : « c’est grâce à l’école que je suis ce que je suis » ce qui signifie en réalité « c’est grâce à l’école que j’occupe telle situation sociale » .Nous sommes emprisonnés dans nos représentations des apprentissages, qui se transforment en croyances. Il est très difficile de se défaire des représentations qui nous constituent. Beaucoup d’enseignants eux-mêmes m’ont raconté qu’ils avaient réellement et psychologiquement souffert lorsqu’ils ont compris qu’il fallait qu’ils changent leurs pratiques et leur conception de l’enseignement et qu’ils se sont engagés dans cette transformation. Pour eux, cela correspondait à une déstructuration puis à une restructuration de leur personne.
Il faut donc admettre que tout changement doit s’inscrire dans un processus, celui-ci devant être aussi collectif. Les collègues qui visitaient ma classe me demandaient « Mais comment as-tu fais pour que les parents acceptent cela ? ». En réalité, si nous étions arrivés à ce qu’un journaliste appelait une autre planète, c’est ensemble que nous l’avions fait, peu à peu. Au fur et à mesure des constats que tout le monde pouvait faire, nous avancions. Chaque changement était conforté par les témoignages « Ne t’inquiète pas, mes enfants suivent parfaitement en 6ème … Ils ont plaisir à venir à l’école… Ma fille s’est mise à beaucoup lire… ». Seuls les constats successifs et partagés valident les essais successifs. Chaque avancée en permettant une nouvelle. Ce que j’ai appelé l’école du 3ème type à laquelle nous étions arrivés n’avait pas été préconçu à l’avance.
On ne peut donc faire l’impasse d’un tâtonnement expérimental, même lorsqu’on sait où l’on veut aller et ce que l’on sait nécessaire d’abandonner ou de transformer. Ceci est corroboré par tous les collègues travaillant à la transformation de leurs pratiques dans le sens d’une école du 3ème type et échangeant quotidiennement. Si je me réfère à la dite « réforme des rythmes scolaires » et qui fait lever les boucliers, son principal défaut est d’avoir voulu imposer un changement au lieu d’inciter à un tâtonnement expérimental collectif pouvant aboutir à un changement que tout le monde admet comme nécessaire.
Seule la Finlande a compris cela. Les finlandais sont bien partis de l’état aussi traditionnel que le nôtre de leur système éducatif. Il a fallu plus de vingt ans pour que les conceptions et les représentations aussi bien des enseignants que des parents deviennent radicalement différentes. Le seul problème, c’est que pour nous il y a maintenant urgence. Cependant, ce devrait être beaucoup plus facile aujourd’hui qu’au temps de Varela parce que nous pouvons nous appuyer sur près d’un siècle de l’expérience des mouvements pédagogiques qui ont fait leurs preuves (pédagogies actives, pédagogie Freinet…) et sur tous les apports de la neurobiologie qui corroborent justement les approches de ces praticiens.
– Quels conseils donner aux parents qui se heurtent encore aujourd’hui à une institution qui ne laisse aucune place aux parents ? Les parents ont ils l’école qu’ils méritent ?
On pourrait aussi bien dire que nous n’avons que la société qu’on mérite, mais ce serait plutôt la société que l’on accepte !
Je n’en donnerai que deux :
– S’informer ! Il ne faut pas attendre l’information de l’Institution, celle-ci ne donnant naturellement que celles qui lui conviennent. Nous avons aujourd’hui les moyens de chercher de l’information, de confronter des informations, puis d’échanger des informations. Ce site est un de ces moyens. La disposition d’informations, c’est ce qui permet de ne pas être inconditionnellement soumis à des administrations, fussent-elles service public. Le « public » de l’école, se sont les enfants, les adolescents… et leurs responsables, les parents. Le proverbe dit « un homme averti en vaut deux ! »
L’information à rechercher ne concerne pas seulement les fonctionnements et les droits. Elle concerne aussi ce qui se fait, s’est fait. Lorsqu’on est malade, on n’hésite pas à accumuler des informations, même contradictoires, qui vont aider à faire des choix, à discuter avec son médecin qui ne fait alors que proposer, voire à se prendre en main. En matière d’école et d’apprentissages, cette recherche, est le plus souvent absente. Elle est même parfois absente chez les enseignants.
Mais une information en elle-même n’est rien si elle ne peut être discutée, confrontée à d’autres. Il n’y a pas de vérité absolue, surtout en matière d’éducation, surtout aujourd’hui. C’est la fin des certitudes sur la transmission simpliste des savoirs. Mais cette incertitude nouvelle qui fragilise les enseignants et l’école est une chance. C’est une chance si elle ouvre sur de vraies concertations, induit des échanges, implique une certaine humilité de part et d’autre. Il faut admettre que l’école est en recherche, donc doit tâtonner, mais ce tâtonnement concerne tous ses acteurs et ne peut être « sécurisé » que s’il est collectif.
– Le second conseil, c’est que les parents, face à l’institution, se considèrent comme des citoyens, certes paisibles mais ni ignorants, ni soumis. Un inspecteur ou un directeur quelconque n’ont aucun pouvoir sur eux. Leurs pouvoirs ne sont que psychologiques lorsqu’on se place dans la posture d’un inférieur. Bien sûr le sentiment d’impuissance crée l’agressivité qui paraît le dernier recours. Les altercations dans les cours d’école qui font toujours la une des médias ne s’excusent pas mais s’expliquent. Mais j’ai toujours observé que les rapports changent quand les parents s’affirment tranquillement comme parents-citoyens responsables ayant le droit eux aussi à l’appréciation des actions de l’école. Ce droit, il faut l’imposer, imperturbablement.
Cette posture de parents-citoyens, c’est dans les associations de parents d’élèves qu’elle peut se forger. Celles-ci jouent rarement ce rôle, on y évite de parler… de pédagogie et de son enfant dans l’école, comme dans les différents conseils ! Probablement de crainte d’avoir à affronter des désaccords, à s’exposer à l’affrontement d’opinions. Or, si on ne le fait pas librement en ce lieu, comment ensuite s’affirmer posément face aux « experts » ? La nouvelle incertitude partagée dont je parlais précédemment devrait rendre plus facile l’abord entre parents des problèmes de l’école. C’est en marchant qu’on apprend à marcher, c’est en parlant qu’on apprend à parler, c’est en discutant qu’on apprend à discuter, c’est en réfléchissant ensemble qu’on apprend à réfléchir ! Oui, il faut s’éduquer en parents citoyens. Les échanges sur ce site peuvent aussi y contribuer !
Ce dont l’école et nos enfants ont besoin, c’est que les adultes, enseignants et parents, s’élèvent aussi dans leur adultarité.
Derniers ouvrages parus aux éditions de l’Instant Présent : « La pédagogie de la mouche » et « Chroniques d’une école du 3ème type »
Ouvrages chez TheBookEdition.com : « Parents d’élèves, éveillez-vous », « Eduquer, coéduquer, une question de pouvoirs » et « L’école de la simplexité »
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