Est-ce une question suffisamment provocatrice pour qu’une table ronde s’y consacre au salon Educatice ce jeudi matin. L’origine professionnelle des intervenants avait de quoi permettre d’apporter des éclairages suffisamment variés et riches. A notre étonnement, les participants ont surtout fait montre d’une certaine proximité dans leurs analyses.
Michel Perez, Inspecteur général, chargé de la commission du numérique au sein de l’inspection a d’abord noté que les recommandations proposées dans un rapport de l’igen sur la filière du numérique avaient trouvé un commencement de mise en œuvre au sein du ministère en particulier au travers de la Direction du Numérique pour l’Education. L’inspection est soucieuse de suivre les expérimentations en cours – collèges connectés, tablettes et autres dotations numériques – et d’en tirer des enseignements pour l’avenir. Il a toutefois rappelé qu’il est toujours difficile de prévoir, dans le domaine du numérique, ce qui sera dans dix ans. Indiquant que l’inspection n’était pas favorable à l’introduction du code comme « discipline » en particulier au primaire. Par contre il a insisté pour signaler qu’il faut former les élèves et que le socle commun en cours de définition était une bonne base. Il ne s’agit pas de former des codeurs et des geeks, mais d’amener les jeunes à comprendre le monde numérique pour pouvoir y travailler sans faire des objets numériques des objets magiques. Il insiste alors sur les projets transdisciplinaires comme particulièrement opportuns pour développer ces connaissances et compétences.
A l’opposé, a priori de l’éducation national, le délégué général de Cap Digital, Patrick Coquet a déploré que l’école ne forme pas assez au numérique et qu’elle mise trop sur les usages et pas assez sur le code. Il donnera par la suite des échanges un éclairage complémentaire en expliquant que dans le domaine du code le monde informatique manque de bras. Ce fait a été amplifié par une personne de la salle qui a questionné la tribune sur la place des femmes dans les formations informatiques, en déplorant leur faible nombre. Patrick Coquet a rappelé les enjeux d’insertion professionnelle autour du numérique. Il a situé en particulier ce problème dans le cadre du développement rapide des données et de leur traitement, mais aussi la multiplication des objets connectés. Il a appelé à ce que l’école réagisse vite et qu’elle accepte aussi de casser les frontières en lien avec les entreprises.
Sophie Pene, qui a mené le travail du groupe éducation du Conseil National du Numérique qui a abouti à la publication de rapport Jules Ferry 3.0, a abordé la question de manière virulente évoquant la crise scolaire qui semble ne pas savoir faire face aux jeunes qui la questionnent mais aussi face à « l’appétit extraordinaire d’une économie numérique mondialisée qui tend aussi à penser l’éducation comme un marché ». Pour Sophie Pene, il ne faut pas se questionner sur ce que doit faire l’éducation nationale mais plutôt sur comment elle peut aider à préparer une société de la connaissance. Il est urgent que l’Ecole vive au diapason du monde numérique qui s’appuie lui sur des réseaux sociaux, des ressources produites par tous ses membres, bref que l’école change. Elle a signalé qu’il y avait des chances qu’on la change de l’extérieur avant qu’elle se change de l’intérieur, mettant en exergue une certaines difficulté de l’institution à évoluer.
A sa suite, Benoit Thieulin, président du même Cnnum a élargi l’approche en rappelant que nous vivons une transition écologique et numérique et que c’est un enjeu majeur que de la réussir. Insistant sur la dimension culturelle associée au numérique, et rappelant un rapport antérieur du Cnnum sur l’inclusion numérique, il a insisté pour que l’éducation nationale intègre ces deux problématiques dans une approche aussi bien technique qu’humaine, ce qui sera rappelé ensuite par Sophie Pène à propos de la suggestion d’un bac « humanités numériques ». La question pour l’éducation nationale pourrait être de se trouver confronté à une éducation à la périphérie qui la mettrait en cause, voire en concurrence.
En tant qu’enseignant en informatique et président de l’assemblée des chefs de département Informatique des IUT, Jean Hugues Réty a rappelé que le réseau des IUT formait 4500 jeunes par an dans ce domaine, pour lequel ils offrent une jonction forte entre l’entreprise et l’université. Il a expliqué que les jeunes sont surpris par l’informatique enseignée à l’IUT, en tant que science autant qu’en tant que technique. Même s’il considère que ce n’est pas à l’école primaire qu’il faut enseigner le code, il a insisté pour une autre posture de l’école qui pourrait aussi bien préparer à ce monde du codage qu’au monde plus complexe du numérique qui ne peut se réduire au code mais qu’il faut envisager comme un travail d’équipe avec des profils variés. Il rejoint en cela Patrick Coquet qui déplore la méconnaissance des métiers de l’informatique dans le monde scolaire et chez les jeunes. Enfin Jean Hugues Réty a rappelé qu’il faudrait qu’il y ait un corps d’enseignants formés à l’informatique qui pourraient travailler au lycée, en allant bien sûr au-delà de l’option Informatique et Sciences du Numérique d’une part et les filières technologiques d’autre part. Pour lui la reconnaissance.
Blandine Raoul-Réa, de la Direction du Numérique pour l’Education au Ministère, a surtout insisté pour que l’on sorte d’une vision trop pessimiste du monde scolaire en faisant l’inventaire de ce que l’Ecole fait actuellement au numérique, de l’incitation envers les écoles primaires à l’option ISN au lycée. Au-delà de ces dispositifs institutionnels elle a évoqué l’esprit dans lequel travaille le ministère, bien conscient du double enjeu, mais priorisant celui du développement de la capacité des jeunes à « prendre en compte ce que le numérique fait à la société et aux objets qui nous entourent ». Elle a aussi rappelé que le monde scolaire n’était pas enfermé mais qu’au contraire des possibilités sont offertes comme les micro-entreprises en collège qui permettent aux jeunes de commencer à prendre conscience du monde qui les entoure.
En conclusion de cette table ronde, une sorte de consensus relatif s’est confirmé autour de la bipolarité technique et humaniste. Même si Sophie Pène a clairement indiqué que le monde scolaire lui semblait encore trop éloigné des questions vives qu’a soulevé le rapport qu’elle a conduit, elle a rejoint l’ensemble des participants sur le fond. Une question posée dans la salle concernait la place de la recherche, qui n’avait pas été initialement évoquée. Il a été rappelé que les appels à projet e-Education imposaient des partenariats entre l’éducation nationale, les entreprises, les collectivités, mais aussi les laboratoires de recherche. A la fin de cette table ronde on peut noter deux points essentiels : le lien entre le numérique et l’emploi est à travailler, il faut arrêter les plans qui se succèdent au risque de répéter les mêmes divergences de manière récurrente toutes les vingt ou trente dernières années. En effet cette table ronde rappelait étrangement certains échanges des années 1980 autour du numérique éducatif et de l’enseignement de l’informatique…
Bruno Devauchelle
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