In L’Express – le 31 mars 2013 :
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Habitué des colloques et rencontres autour de l’éducation, notre contributeur Marc Serrand s’agace: "On dirait que pour certains, il y a un risque à faire réussir tous les enfants!"
Je participais récemment à une rencontre sur l’aide aux devoirs, sur l’accompagnement à la scolarité… Une sorte de formation, destinée aux animateurs qui, le soir après l’école, tentent de remettre en selle des enfants qui peinent avec leur "métier d’élève", qui ne s’en sortent pas, n’ont pas confiance en eux, n’en peuvent plus de l’école, des devoirs.
Je pourrais parler de l’importance de proposer à ces jeunes autre chose que des devoirs. De les engager par exemple sur des projets à moyen terme, comme du théâtre, un voyage avec tout ce qu’il y a à préparer, à apprendre, à faire à plusieurs. Et tout l’intérêt de mettre ces enfants en situation de réussite, apparemment loin de l’école et en fait si près. Mais ce n’est pas le sujet que je veux aborder.
Il y avait dans la salle des gens venus d’horizons divers. Monde associatif, parents, élus. Des "conservateurs", des "progressistes"… un peu de tout. Et en écoutant les gens, (je n’avais pas grand chose à faire d’autre, un peu "en dehors-en dedans" comme souvent), deux évidences sont apparues, de plus en plus énormes, de plus en plus choquantes.
Comme si la réussite de l’un met en danger celles de l’autre…
La première est qu’une partie de la salle ne croyait pas à l’idée que tous les enfants pourraient réussir. Comme si cela justifiait l’échec des adultes à les y faire parvenir. Comme s’il y avait "les intelligents" et "les débiles". Comme si finalement toute une partie des enfants pouvait être abandonnée. A quoi? Au trottoir et aux aides sociales? A la rue? On en revenait à l’idée "des dons": ceux-là sont doués pour la course rapide, ceux-ci pour les études et puis eux pour faire de l’haltérophilie… Ces affaires là, ça date quand même du début du siècle. Je veux dire, du XXe siècle! Les années 50 et 60 sont heureusement passées par là.
La seconde évidence, qui est devenue quasi insupportable, c’était que pour une partie des participants, finalement, il y avait comme une espèce de risque à faire réussir tous les enfants. Comme si la réussite des camarades de mon fils mettait en danger la sienne. Du coup, j’ai repensé à l’hypocrisie parfois de certaines compétitions en sports individuels, où on se force à encourager les copains de son fils alors qu’on souhaite vaguement, coupablement, qu’ils fassent moins bien que sa progéniture.
Il faudra que je le lise, ce fameux livre de Bourdieu et Passeron: Les héritiers!