In Le Café :
Accéder au site source de notre article.
"Il faut garder le décret sur la gouvernance". Ancien directeur d’IUFM, ancien recteur, il y a peu encore responsable de la revue de Sèvres, Alain Bouvier n’a pas peur d’aller dans le sens contraire du vent. Appuyé sur les rapports du Haut Conseil de l’Education (HCE) il plaide l’autonomie et une nouvelle décentralisation au nom de la confiance…
Quelles mesures devraient être prises par le nouveau gouvernement ?
Ce qu’il faut attendre ce sont des changements sur la régulation au niveaux national, académique et local.
Au niveau national, on gagnerait à avoir un Etat moins prescripteur et plus régulateur. Un Etat qui accorde sa confiance et de l’autonomie à ses services et aux établissements scolaires. On a surtout besoin d’un management par le sens. La nouvelle équipe doit dire où elle veut conduire le système éducatif, pas à coup de circulaires mais par sa communication. On n’a pas besoin non plus de réformes tous les trois mois. Il y en a eu beaucoup trop. Le seul changement qui me semble nécessaire c’est sur l’évaluation. Le rapport du HCE de 2011 a mis en évidence le fait que les évaluations nationales ne sont pas fiables. Or le Parlement a besoin d’indicateurs sincères. Ils sont à construire et je pense qu’il faut en confier la confection à une agence indépendante du pouvoir politique en place.
Au niveau académique, je suis très favorable aux démarches contractuelles. Il faut renforcer la confiance et je ne pense pas qu’il y ait urgence à changer les recteurs. Dans le passé on a vu des recteurs traverser l’alternance. Le gouvernement aurait tort de perdre ce personnel de qualité. Il aurait tort aussi d’annuler le décret sur la gouvernance académique. Ce décret va dans le bon sens à condition que l’on fasse confiance aux recteurs. Pour cela je conseillerais de na pas publier de circulaire d’application du décret car cela tuerait la confiance.
Au niveau de l’établissement, je pense qu’il faut aller dans la même direction. Il faut une démarche contractuelle avec les établissements et favoriser la responsabilité collective. Le moment me semble venu d’aller vers des contrats tripartites Etat, collectivité territoriale et établissement. Il faut bien voir que les collectivités locales paient un quart de la dépense intérieure d’éducation et cette part va croissante alors que celle de l’Etat (la moitié) diminue. Il est normal de les associer à ces contrats. D’autant que François Hollande dit vouloir aller vers une nouvelle décentralisation.
Dans l’enseignement primaire on a oublié le rapport de 2007 du HCE qui montrait que l’enseignement primaire est un maillon faible du système éducatif. Il n’est pas piloté. Il ne s’est pas remis de la réforme Darcos qui a amputé les horaires d’enseignement. Puisqu’on n’arrive pas à créer des établissements publics d’enseignement primaire, je suggère qu’on se tourne vers l’école du socle.
Peut-on vraiment parler d’autonomie en période de pénurie ?
Le recteur comme tout cadre sait où faire des économies d’échelle. C’est ce que permet son autonomie.
Le décret Chatel sur la gouvernance ne renforce-t-il pas la caporalisation dans l’éducation nationale ?
Je dirais l’inverse. Avant ce texte, les inspecteurs étaient déjà sous l’autorité du recteur. Ce qui change c’est que le recteur désigne ceux à qui il délègue l’autorité et qu’il peut mettre fin à la délégation.
Peut-on encore avoir une politique nationale dans ce cadre ?
Ca repose la question du rôle de l’Etat. Il ne doit pas s’occuper des détails mais dire quels objectifs doivent être poursuivis et donner des indicateurs. Ensuite les acteurs locaux feront au mieux. C’est ce que fait l’enseignant dans sa classe me semble-t-il… Il faudra aussi que l’Etat régule ce qui demande du courage.
Vu du terrain, cette nouvelle gouvernance se traduit par plus de contrôle et d’injonction, moins de liberté. Est-ce aller dans le bon sens ?
C’est vrai que cela pose la question de la responsabilité de l’enseignant. C’est un fonctionnaire et à ce titre il a des comptes à rendre.
Les cadres vous semblent-ils formés à cette autonomie ?
Il faut leur faire confiance. Ceux qui n’en sont pas capables s’arrêteront d’eux-mêmes.
Faut-il officialiser les équipes éducatives, leur donner une existence officielle ?
Dans mon esprit, le rôle du chef d’établissement et de l’IEN sont essentiels. On sait que le mot équipe recouvre des réalités très différentes d’un établissement l’autre et qu’il ne mobilise qu’une minorité des enseignants.
En accordant plus d’autonomie locale réduit-on les inégalités ?
C’est un enseignement des études internationales. Il ne faut pas décentraliser le pilotage mais il faut faire confiance aux acteurs locaux en leur donnant des responsabilités. Le faire c’est aller dans le sens du progrès collectif.
Propos recueillis par François Jarraud