La violence au lycée
Analyse publiée par l’AEF du 4 février 2010 sous le titre « Faire de l’engagement associatif des lycéens un élément nécessaire à l’obtention du bac ? »
Georges Fotinos, Universitaire, membre associé de l’Observatoire International de la Violence à l’Ecole, Ancien Inspecteur Général de l’Education nationale, Conseiller du Président de la MGEN
Contrairement à ce qu’affirment certains (chercheurs, responsables du système éducatif, journalistes…) avec ou sans arrière-pensées, les tragédies qui se sont déroulées au lycée Darius Milhaud (Kremlin-Bicêtre) et au Lycée Adolphe Chérioux (Vitry sur Seine) ne peuvent être considérées comme des événements totalement imprévisibles dus à la seule fatalité.
D’abord il faut l’admettre, nous nous trouvons confrontés à une situation où toutes les mesures de sécurité étaient en place (portail de sécurité, vidéo surveillance, dotation en nombre de médiateurs, solide équipe de direction et d’éducation, équipes d’enseignants reconnues et stables, plan de sécurité validé par les autorités et mise en oeuvre …) et où les résultats scolaires sont dans la bonne moyenne et dans une moindre mesure au Lycée Adolphe Chérioux du fait de sa configuration exceptionnelle 22 bâtiments sur 36 hectares.
En effet, à la lumière de l’expérience (1) trois catégories de mesures, menées conjointement, se sont montrées efficaces pour lutter contre la violence en milieu scolaire. Les mesures de types sécuritaire, identitaire et partenariale. Le sécuritaire est fortement marqué par les actions de protection et de répression ; c’est le syndrome de « la citadelle assiégée ». L’identitaire repose sur des priorités d’action qui maintiennent et améliorent l’identité de l’établissement où la prévention pédagogique et éducative est dominante ; c’est le type de « l’établissement sanctuaire ». Le partenarial est construit sur la recherche d’un équilibre en osmose avec l’environnement ; c’est le modèle de « espace éducatif concerté ». En prenant appui sur cette grille d’analyse, nous rejoignons directement la préoccupation de mieux comprendre ce drame et d’agir. Une grande partie des solutions possibles se trouve certainement sur le registre de la création et/ou de l’affirmation du caractère identitaire et partenarial du projet d’établissement.
Pour nous, le problème de fond, et cela au vu et au su de tout le monde, se situe en complément et en lien constant avec les enseignements disciplinaires. Il s’agit d’une part de développer chez le jeune lycéen le respect de l’autre, de la communauté éducative, des règles de vie citoyenne, d’apprendre à vivre ensemble et d’autre part, à pouvoir se décentrer de sa part de « nombrilisme » et d’ « égoïsme » fortement tournée vers la société de consommation et à se détacher le plus souvent de ses problèmes « existentiels ». N’est-ce pas là le rôle fondamental de l’école ?
« La tâche primordiale d’un professeur capable », écrivait Max Weber, dans « le Savoir et la Politique « est d’apprendre aux élèves à reconnaître qu’il existe des faits extrêmement désagréables pour chaque opinion y compris la mienne ». Sur le plan opératoire, ne serait-il pas temps de redonner ses lettres de noblesse et de développer le champ de la « Vie Scolaire » et celui de la « pédagogie pluridisciplinaire ». Sans ces types d’actions menés à tous les niveaux que ce soit au niveau des personnels d’éducation et de surveillance mais aussi des personnels enseignants, des formes et des contenus des actions éducatives, que par une véritable reconnaissance et un développement effectif des TPE, PPCP, et ECJS (Travaux Personnels Encadrés, Projet Pluridisciplinaire à Caractère Professionnel, Education Civique, Juridique et Sociale) activités fondées sur la pédagogie du débat argumenté, la recherche personnelle et collective, la justesse du raisonnement et des gestes …, toutes les actions décidées et menées régulièrement lors de ce type de drame seront en grande partie vouées à l’échec. Et pourtant les événements se sont produits et ont fortement marqué l’opinion publique et la communauté éducative locale et nationale. Une évidence s’impose : c’est bien parce que ces événements se sont déroulés dans une enceinte scolaire que s’est créée et développée cette émotion nationale. On peut se poser alors la question : hors de ce contexte, les médias en auraient-ils autant parlé ? Sans trop de risques, on peut affirmer que non. Ce qui signifie à cette occasion que notre espace scolaire est quoiqu’on en dise toujours considéré par la nation comme un « sanctuaire » dans l’acception première de ce terme. Il faut aussi rappeler à ce propos que les différents moments du drame se sont bien inscrits dans les lieux et les moments du fonctionnement ordinaire de ces lycées. Ces quelques rapides observations pour mettre en évidence que le caractère scolaire se trouve au cœur de l’événement. Evidence qui conduit à penser que cette situation porte en elle des pistes de prévention.
A l’occasion de la tragédie du Kremlin-Bicêtre, nous avons assisté à un grand mouvement de solidarité de la part des lycéens qui se sont transmis le message suivant par SMS : « Vendredi vers 10 h 30 un jeune homme de 18 ans nomé Hakim a été poignardé dans son licé du val de marne et est décédé quelques heures plus tard. Touts a pour une histoire de petite copine. Si tu as du coeur rend lui hommage en envoyant de message à tout tes contacts. Une minute de silence aura lieu mardi dans tout les établissements de France. Merci à toi pour ta gentillesse ».
En regard de cette mobilisation générale des lycéens, ne serait-il pas opportun de redonner vie à une structure qui s’étiole, le Conseil de Vie Lycéenne, par un soutien et une aide à la création d’une dynamique collective :. Deux axes paraissent pouvoir les restructurer et donner cette impulsion. Ils se fondent tous les deux sur un principe essentiel ; rendre les lycéens acteurs de la prévention ; les faire passer de « l’indifférence à la responsabilité ».
Le premier développer ce qui existe déjà dans certains lycées et sur la base du volontariat les « Comités de prévention » pour 2 ou 3 établissements qui responsabilisent élèves et communauté scolaire vis-à-vis des phénomènes de violence. Ces instances fonctionnent en règle générale en commissions qui se répartissent par exemple : l’étude du racket, les agressions verbales et physiques, des conduites déviantes… Les résultats enregistrés sont particulièrement probants.
- Le second : leur offrir la possibilité, au sein du lycée de créer et/ou de s’insérer dans des dispositifs tournés vers l’aide aux enfants et jeunes les plus déshérités par des actions de type solidaire et humanitaire. Là aussi toutes les expériences menées notamment avec UNICEF/France et les Ambassadeurs jeunes dans les lycées démontrent l’efficacité de telles actions tant sur le plan personnel des élèves : épanouissement, autonomie, responsabilité, respect que celui du fonctionnement du lycée : diminution des comportements agressifs, climat d’établissement nettement plus serein.
- In fine, ces exemples dramatiques nous incitent quoi qu’on en dise, à ne pas baisser les bras et ne pas le considérer comme le fruit de la fatalité. Il permet d’affirmer que nos lycéens, dont une bonne partie sont majeurs, détiennent en eux le pouvoir de changer « le cours des choses » encore faut-il les aider et leur donner les moyens de comprendre et d’agir. Ce que nous nous sommes efforcés de faire par ce point de vue.
Pour conclure, une dernière proposition : la réforme des lycées insiste sur l’importance de l’engagement associatif et le bénévolat des lycéens reconnus par un livret de compétences. Pour aller jusqu’au bout de cette orientation, ne faudrait-il pas à l’exemple de plusieurs autres pays considérer cet engagement comme un élément nécessaire à l’obtention des diplômes généraux et professionnels de l’enseignement secondaire… nous aurions alors considérablement avancé sur le chemin de la prévention de la violence et celui de l’avenir citoyen de nos lycéens.
● La Violence à l’école : Etat de la situation, analyse, recommandations
Rapport au Ministre de l’Education nationale – Georges Fotinos (1996 – Documentation française)
● Le Climat des lycées et collèges : Constat, analyse et propositions – Georges Fo
tinos2005 – MGEN