In Réseau National de Lutte Contre les Discriminations à l’école – le vendredi 22 novembre 2013 :
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6 membres du réseau national de Lutte Contre les Discriminations à l’Ecole ont participé à ce groupe de travail qui avait pour mission de réfléchir aux questions suivantes :
Comment mobiliser davantage les acteurs de la communauté éducative (enseignants, de la vie des élèves, rapports institutions / familles, travail des associations, formation de la communauté éducative) ?
Comment faire évoluer les pratiques pour améliorer l’estime de soi des élèves
(identi?cation des discriminations, valorisation des parcours) ?
Comment repenser les modes d’évaluation des élèves ’ ?
Comment favoriser des parcours scolaires réussis (scolarisation des plus petits, orientation, stages, ?lières sélectives, mobilités nationales et intemationales)
Quel rôle la maîtrise de la langue joue-t-elle sur l’échec scolaire ?
Comment faire progresser l’insertion professionnelle des personnes issues de la diversité, notamment via l’évolution des pratiques de recrutement, ou via la création d’entreprises ?
Quelles pratiques de recrutement et sanctions ?
Quel sens et quelles pratiques pour le « management de la diversité » (premier bilan du label diversité, développement de la démarche dans les PME, implication des partenaires sociaux) ? (extrait de la lettre de mission du groupe de travail)
- Extraits : Ce que nous préconisons
- Une approche politique de la question. 20 principes pour fonder une (…)
- Une approche stratégique de l’action. 7 leviers transversaux pour organiser (…)
- Une stratégie spécifique dans le domaine scolaire et universitaire
- Sommaire du rapport
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Extraits : Ce que nous préconisons
Une approche politique de la question. 20 principes pour fonder une politique publique
Principe général 1. Un engagement politique au plus haut niveau. Il n’y a pas de politique publique sans approche politique de la question, c’est-à-dire sans engager la manière de faire et de représenter la Cité. Il n’y a pas non plus de politique publique sans « problème public ». La (re)fondation d’une politique suppose donc de nommer clairement les problèmes et de définir une visée et un horizon explicites pour la collectivité.
Plus qu’une action spécifique, ce dont nous avons besoin est une ligne politique claire, dégagée des ambiguïtés, et reposant sur un référentiel global prioritaire et explicite : l’égalité des droits et de traitement assortie de la reconnaissance de la pluralité. Ce travail de représentation et d’explicitation des lignes directrices est un enjeu premier et majeur. Il relève d’une compétence de représentation de l’Etat à son plus haut niveau.
Principe général 2. Favoriser un Nous inclusif et solidaire, et agir sur les frontières de la société. L’enjeu de cette politique publique se décline simultanément à deux niveaux :
- D’une part, favoriser des identifications à un Nous inclusif et solidaire. Au niveau subjectif, il s’agit de construire une nouvelle manière de voir, de parler et de faire la société française, qui combine la pluralité des identités non- politiques des gens avec une communauté politique des citoyens. Au niveau objectif, il s’agit de favoriser et de soutenir les initiatives solidaires, les mobilisations, la vitalité sociale dans toutes ses composantes.
- D’autre part, il s’agit de s’attaquer vigoureusement aux frontières de la société française, dans leur formes diverses, pour limiter leur épaisseur, leur dureté, leur violence, leur essentialisation. Il s’agit tout particulièrement de s’attaquer à combattre la discrimination, la ségrégation, les inégalités sociales, et les rapports sociaux de racialisation, de genre, etc.
Principe général 3. Des mots pour donner le signal d’une nouvelle politique. Le terme d’« intégration » n’est pas approprié pour représenter cette politique publique. Il ne s’agit pas en soi de bannir un terme que beaucoup de gens utilisent sans arrêt (y compris dans les politiques européennes) ; la question n’est pas de l’ordre d’une police du langage. Mais il s’agit d’adresser à la société française, dans toutes ses composantes, un signal tout à la fois explicite (par les orientations politiques) et implicite (par le choix de termes appropriés) d’un renouvellement en profondeur des cadres politiques.
Principe général 4. Des valeurs fortes : une norme minimale en extensivité, mais maximale en intensivité. Les pouvoirs publics doivent réaffirmer de manière intransigeante le postulat de l’égalité, c’est-à-dire, au premier chef et indissociablement : l’égalité politique de droit, l’égalité concrète des droits des citoyens et l’égalité effective de traitement de tous les membres de la collectivité (et non l’égalité des chances). Ils doivent également réaffirmer le postulat de la liberté (d’opinion, religieuse…), avec le principe pratique de la laïcité, dans sa dimension inclusive, comme garantie donnée par l’Etat et les institutions d’une approche qui tend vers le respect de la pluralité.
Au-delà, les pouvoirs publics doivent rompre avec une logique extensive de normalisation, et privilégier au contraire l’affirmation d’un socle de valeurs normatives minimum communes (droits de l’homme, droits de l’enfant, doit antidiscriminatoire) qui, lui, doit être défendu sans faille. Le caractère minimal de la norme commune doit s’accompagner de son application intensive et intransigeante.
Principe général 5. Le rôle de l’Etat : une action « par le haut » au service d’une initiative sociale « par le bas ». Cette politique publique engage nécessairement d’abord l’Etat, en tant que niveau global de la représentation du Nous inclusif et solidaire. Mais, d’une part, il s’agit d’abord d’autoriser, d’accueillir et de favoriser
l’intensification des mobilisations sociales constitutives d’un Nous (concret, mobile, pluriel), plutôt que d’organiser de manière systématiquement descendante l’action. La logique « par en haut » doit se concentrer sur les cadres référentiels et organisationnels d’action et sur la sollicitation/facilitation des initiatives. D’autre part, en matière d’organisation du cadre politique, l’Etat doit jouer sa fonction d’intermédiaire, en recherchant sans cesse l’articulation de trois niveaux d’action : un niveau européen (duquel dépendent en grande partie les politiques migratoires, celles de prévention et de lutte contre les discriminations, etc.), un niveau national qui est l’un des niveaux de pilotage des grandes politiques et de grandes institutions, et les niveaux locaux – avec la multiplicité des acteurs et des registres d’action nécessairement concernés par ce type de politique.
Principe général 6. Affirmer un horizon commun, sortir de l’instrumentalisation électoraliste. Cette politique devrait idéalement être dégagée des jeux électoralistes, elle devrait reposer sur un nouveau consensus, non plus celui, indicible, qui fait de l’immigration et des jeunes un problème, mais un consensus explicite, qui la place simultanément comme un socle premier et un horizon commun.
En réalité, ces questions sont clivantes et le consensus doit être construit dans le temps ; l’on ne saurait donc attendre tel un préalable un improbable apaisement général pour engager cette politique. Celle-ci doit être engagée ici et maintenant et être assumée en dépit des désaccords. Ces derniers sont l’occasion de montrer un intérêt politique supérieur, tout en prenant acte de l’existence inévitable de conflits. L’enjeu majeur des pouvoirs publics, dans ces conditions, est de garder le cap de l’intérêt commun et de refuser systématiquement l’instrumentalisation de cette question.
Principe général 7. Vers un nouveau service public : des institutions réflexives. Cette politique vise à changer à terme les cadres politiques, cognitifs et symboliques sociétaux. Pour cela, elle doit agir en premier lieu sur les institutions et organisations (entendues au sens large : statut juridique public et privé, indissociablement). Car toute organisation instituée a, par délégation et de fait, une responsabilité première et majeure dans la structuration de la société, dans le respect et la promotion du droit et des valeurs communs, et dans la régulation des rapports sociaux qui traversent et influent sur toute organisation. L’action publique doit ici viser le développement de la réflexivité des institutions, en re-développant un plein souci du service public.
Cette politique s’adresse cependant à tou.te.s les citoyen.ne.s, dans une visée commune de faire société sur un fondement égalitariste, dans la mobilisation des énergies pour relever ce défi, et notamment dans la vigilance commune et démocratique à ce que les institutions respectent les conditions de la délégation qui leur est faite (respect du droit et des valeurs fondamentales).
Principe général 8. Une politique qui vise à changer les « règles du jeu ». Concrètement, cette politique publique a pour objet majeur de travailler sur les normes, autrement dit sur les logiques réelles présidant aux processus de sélection, de différenciation et de mise à l’écart, dans le fonctionnement concret de la société et de ses organisations instituées. Il s’agit de faire en sorte que ces fonctionnements et logiques de sélectivité ne soient pas concrètement antinomiques avec les valeurs et normes minimum de référence de la société, de manière à ce que ces valeurs communes soient vérifiables en pratique, dans les expériences sociales que nous en avons.
Cette politique doit également viser à favoriser les compromis normatifs concrets, dans les situations de conflit engageant des principes et normes divers. Elle doit ainsi viser à garantir les valeurs fondamentales tout en recherchant en permanence des arbitrages pratiques susceptibles de répondre aux défis concrets.
Principe général 9. Ni public cible ni territoire prioritaire. A contrario, cette politique publique ne cible en aucun cas des publics ni des territoires. Elle ne peut être structurée ni à partir de la politique de la ville ni à partir d’une politique de l’immigration. Elle doit certes prendre en compte le fait que certains groupes et certains territoires sont plus que d’autres objet de discrimination et de disqualification. Cependant, elle n’est pas d’abord organisée par une logique de compensation, mais par une logique d’égalité de traitement. Cela suppose en premier lieu d’agir sur les mécanismes qui privent les personnes, les groupes et les territoires des ressources qui leurs sont nécessaires et des droits qui leurs sont dus.
Principe général 10. Hiérarchisation des enjeux et articulation des politiques. Cette politique doit être articulée avec toutes les autres, et leur imprimer son exigence propre d’égalité. Elle doit donc aussi s’articuler avec une politique de redistribution permettant d’assurer à ceux (publics comme territoires) qui en ont le plus besoin des ressources leur permettant de vivre décemment. Les politiques de compensation, d’insertion, etc., n’étant que secondes, dans cette approche, il est impératif de veiller constamment à ce que leurs logiques différentes voire contraires ne se substituent pas à l’approche première de l’égalité.
Principe général 11. Une politique délibérément pragmatique. Cette politique publique doit être pragmatique. Cela signifie qu’elle doit rompre avec une approche idéologique qui est aveugle à la réalité sociale des rapports ethniques et raciaux, qui cristallise sur une représentation idéalisée de la société, et qui stigmatise par conséquent les tactiques identitaires ou politiques des personnes et des groupes minorisés.
Pragmatique ne veut en aucun cas dire sans référence ni fidélité à des valeurs. Le pragmatisme ne se confond pas non plus dans une politique gestionnaire et de gouvernance par la seule efficacité supposée des outils. Cette politique doit à l’inverse être très clairement fondée sur un référentiel et des valeurs (qui font référence pour juger de la pertinence et de l’efficacité), tout en étant toujours soucieuse de prendre en considération la réalité, dans sa complexité et sa multiplicité, comme point d’ancrage et de départ de l’action.
Principe général 12. Une politique qui articule reconnaissance et légitimité. Il s’agit en fait de travailler sur un double principe de reconnaissance et de légitimité :
- Une reconnaissance des personnes dans leurs singularités, leurs expériences et leur droit à conduire leurs vies comme elles le souhaitent – dans le respect des cadres sociétaux minimums communs – et pour cela, il s’agit d’assurer une reconnaissance des problèmes sociétaux qui empêchent l’égalité et contraignent injustement cette liberté (non-droit, inégalités effectives, discriminations, ségrégation…).
- Une légitimité des personnes à être ici chez elles, et comme elles sont ou se sentent être, et en conséquence une légitimité des acteurs et des organisations à agir sur les problèmes qui empêchent la normalisation des statuts sociopolitiques et la réalisation d’une égalité effective des droits et de traitement.
Principe général 13. Dédramatiser l’altérité et décrisper le rapport à l’immigration. La politique publique doit favoriser un climat social pacifié et « familier », pour que chacun puisse se sentir chez soi dans la communauté nationale, et souhaiter en rester partie prenante voire désirer s’y investir activement. Les pouvoirs publics, tout particulièrement, ont la responsabilité de développer un discours inclusif, qui dédramatise l’altérité et qui encourage des sentiments d’équivalences entre des vécus individuels ou collectifs divers (un sentiment de fraternité, si l’on veut).
La normalisation de la situation des « héritiers de l’immigration » (leur reconnaissance comme des Egaux) se distingue de la question du droit de l’immigration. A ce titre, le portage de cette politique globale ne relève pas de la compétence du ministère de l’Intérieur (comme cela a été le cas). En revanche, l’organisation d’un Nous inclusif et solidaire ne peut avoir pour contrepartie une politique d’immigration inhospitalière, tendue vers le soupçon et la précarisation des « immigrés ». Car l’ordre interne de la collectivité fonctionne en lien avec les frontières externes. Un climat social pacifié à « l’intérieur » suppose une décrispation globale de la question de l’immigration.
Principe général 14. Agir avec/dans l’hétérogène et le conflictuel. Un climat pacifié ne veut pas dire la négation ou la minimisation des conflits, ni la promotion d’un discours unitaire et éthéré sur « ce qui nous rassemble ». Bien plutôt, c’est le souci de trouver des manières de coopérer qui doit animer la politique publique, c’est-à-dire construire des compromis à partir de nos conflits et nos désaccords. Les conflits sont une opportunité concrète de mettre nos principes communs à l’épreuve, et donc d’éprouver notre capacité collective à reformuler des accords pratiques pour vivre ensemble. L’un des enjeux majeur, pour tout citoyen mais plus encore pour les institutions, est en conséquence l’apprentissage d’un savoir faire avec l’hétérogénéité et dans la conflictualité.
Principe général 15. Articuler l’action sur les divers rapports sociaux. Cette politique publique ne peut opposer et jouer l’une contre l’autre la question dite des inégalités sociales, celle des discriminations et des ségrégations, et celle de l’antiracisme et de l’antisexisme – entre autres. Elle doit être à la fois globale, spécifique et articulée : globale en prenant simultanément en considération la pluralité des rapports sociaux ; spécifique en reconnaissant la singularité historique et concrète de chacun d’entre eux, ainsi que les différences entre la question des discriminations et celles du racisme ou du sexisme par exemple ; elle doit être articulée, dans le sens où il faut concevoir un cadre général susceptible de travailler la façon dont ces rapports sociaux se différencient et se combinent en même temps.
Principe général 16. Combiner contrainte externe et auto-engagement. Cette politique doit reposer sur une articulation indissociable entre une logique de contrainte et une logique d’engagement vérifié en pratique. La contrainte d’abord, car le droit de l’égalité, et celui de la liberté de pensée (opinion, religion…), constituent un socle minimum commun qu’il s’agit de faire appliquer ; le non-respect de ce droit doit logiquement entraîner des sanctions appropriées. Un engagement vérifié en pratique, ensuite, par une incitation forte à des formes d’engagement concrets pour vérifier et réaliser l’égalité ; ces engagements ne peuvent être seulement moraux et de principes, mais ils doivent être pragmatiques (i.e. partir de la réalité telle qu’elle est), concrets, vérifiables et donc évalués et contrôlés.
Principe général 17. Un cadre politique et financier à moyen terme. Cette politique publique doit être pérenne et inscrite dans le moyen et long terme. Elle doit, pour cela, bénéficier d’une priorité gouvernementale politique et économique à la mesure de l’importance sociétale de cet enjeu. Une politique de l’égalité doit assurer la pérennité et la légitimité du cadre de travail sur son objet. Elle doit accompagner cet engagement des moyens, ses ressources nécessaires, ainsi que fournir aux acteurs engagés (les professionnels chargés de traduire en pratique cette intention politique, notamment) la légitimité et la valorisation nécessaires pour ce faire. Cela suppose de faire de l’égalité un axe normal et attendu (donc aussi évalué) du travail de chaque institution et de chaque professionnel.
Principe général 18. Ramener toujours au droit commun. Une politique d’égalité n’est pas une politique d’exception – même si les circonstances qui président à son instauration sont assez exceptionnelles par l’ampleur des problèmes et des défis. Elle doit être au contraire une politique guidée par le souci permanent d’assurer le droit commun, dans le double sens du terme : un enjeu de droit, et une banalité des mécanismes.
Ainsi, plutôt que de se singulariser par des dispositifs spécifiques, cette politique veillera à investir prioritairement les dispositifs existants – en comprenant pourquoi ils ne sont parfois pas appliqués et ce qui ne fonctionne pas – plutôt que de produire de nouvelles dispositions et de nouveaux dispositifs qui risquent de rester à leur tour en déshérence, de générer des effets pervers ou de dévier vers d’autres logiques.
Principe général 19. Libérer les énergies créatives et inventives, et s’appuyer sur celles qui sont déjà à l’oeuvre. Elle gagnera donc à investir sur les expérimentations, mais à condition de leur conférer les moyens (de cadre, de temps et d’accompagnement par la recherche, notamment) et d’assurer leur légitimation politique ainsi que leur valorisation pratique. Dans tous les cas, la politique publique doit investir sur une stratégie systématique d’évaluation – en privilégiant une évaluation constructive, réalisée chemin faisant et à même de réorienter l’action en même temps qu’elle dégage des principes, logiques et leviers plus généraux.
Principe général 20. S’appuyer sur la recherche en sciences sociales. Pour étayer et vérifier son pragmatisme et sa pertinence, la politique publique a besoin des savoirs produits et accumulés par les sciences humaines et sociales, concernant tant la connaissance des processus sociaux et sociétaux, que l’analyse des logiques d’action. Ces savoirs doivent être encouragés, financés, valorisés, portés à connaissance et discutés publiquement, afin d’irriguer l’action publique et la société plus généralement.
Une approche stratégique de l’action. 7 leviers transversaux pour organiser l’action publique
Plutôt que de proposer une longue liste d’outils et d’actions possibles, nous privilégions ci-après une approche stratégique, en pointant ce qui nous semble être des grands leviers relevant au premier chef de la responsabilité des pouvoirs publics. L’objectif majeur n’est pas, rappelons-le, une action descendante, mais la construction d’un cadre favorable à la pluralité, incitatif et accueillant à l’égard des mobilisations sociales (efectives ou potentielles), mais aussi normatif et prescriptif quand c’est nécessaire à l’égard des organisations instituées.
Levier transversal 1. Le pilotage global de la politique nationale tournée vers les organisations instituées.
Celui-ci suppose d’être rattaché au plus haut niveau de l’Etat. Concernant son administration globale, il s’agit d’en faire une compétence directement assurée par le Premier ministre au titre de l’interministérialité. Elle doit se traduire dans un plan d’action interministériel, avec des objectifs clairs et des moyens adaptés.
Sur ce volet, la politique doit s’inscrire et s’ancrer dans toutes les organisations et institutions, et elle doit traverser et se décliner dans tous les dispositifs et les actes. Cela signifie premièrement que le pilotage interministériel doit correspondre à une exigence expresse à l’égard de chaque ministère et administration, et non une inscription flottante qui caractérise trop souvent l’interministérialité. Cela signifie ensuite que chaque ministère a non pas la responsabilité d’initier des outils et dispositifs spécifiques, mais qu’il est redevable de montrer que tous les axes de travail engagés et chaque dispositif prend en considération la vérification et la réalisation de l’objectif d’égalité. Autrement dit, cette dimension doit être systématiquement nommée, prescrite, organisée et évaluée. Elle doit être incorporée non seulement dans les actes de l’administration (son action externe), mais aussi toujours dans son fonctionnement interne : gestion des ressources humaines ; cadres et organisation de l’action ; principes, règles et normes ; systèmes professionnels et action des agents. Sur ces deux registres, interne et externe, chaque ministère doit décliner un plan d’action avec des objectifs explicites évalués aux différents niveaux.
Levier transversal 2. L’engagement et la diffusion dans toutes les organisations instituées. La politique publique doit être systématiquement investie dans les différents secteurs d’action et auprès des différentes catégories d’acteurs concernés. Il s’agit bien entendu des collectivités locales et territoriales, de chaque organisme public ou parapublic, de toutes les entreprises, les associations, etc. Chaque acteur est concerné potentiellement à trois niveaux :
- dans son fonctionnement interne (normes du travail, ressources humaines, rapports de travail, etc.) ;
- dans sa production de biens et de services externes ; – dans sa production extérieure de normes (réglementation, appels d’offres, etc.). Sur le plan de l’engagement, la politique publique doit diffuser le plus systématiquement possible. Pour ce faire, la gouvernance gagnerait à investir tout particulièrement les relais potentiels que sont les réseaux et collectifs susceptibles de diffuser et de se réapproprier les normes et logiques de cette politique publique : partenaires sociaux, groupements intermédiaires, réseaux ou associations professionnels [1], etc. Ces réseaux et collectifs sont en effet souvent bien placés pour assurer tout à la fois : une expertise globale des enjeux et des fonctionnements du secteur ou du métier ; une stratégie adaptée et pragmatique ; un soutien politique, technique et d’expertise pour mettre en œuvre ces politiques ; une capitalisation et une valorisation des expériences ; une diffusion d’information dans les milieux professionnels.
Levier transversal 3. Une stratégie efficace de contrainte et de sanction par/avec le droit. Sur le plan de la contrainte, il s’agit de clarifier, d’activer et de développer une politique de contrôle, assortie d’une répression et d’une sanction des délits (discrimination directes, mais aussi violences racistes, etc.) et/ou d’une incitation à régler par voie civile ou par voie de médiation les litiges relatifs à l’égalité. Le recours juridique ne constitue pas en soit la politique publique, ce d’autant moins que son efficacité est limitée et qu’il n’est souvent pas un moyen privilégié par ceux qui subissent la discrimination. Par contre, il relève de la collectivité de rappeler, de maintenir et d’assumer la primauté du droit comme socle minimum commun.
Le droit doit jouer d’une part comme limite ultime sanctionnant le plus efficacement possible les délits (donc des situations de discrimination ou de racialisation intentionnelle) ; sur ce plan, un net progrès est à faire.
Le droit doit jouer d’autre part plus efficacement comme principe de règlement des litiges, ce qui suppose d’investir sur les juridictions civiles (Prud’homme, tribunal administratif, etc.). Dans un cas comme dans l’autre, la volonté politique de condamner les inégalités et de promouvoir l’égalité suppose d’investir le droit comme marqueur, notamment en recensant et en faisant publicité de toutes les condamnations.
La question doit être incorporée dans la politique des services concernés, et notamment dans une politique pénale. Celle-ci doit prendre appui sur les pôles antidiscrimination des Parquets, en ayant le souci de faire progresser l’usage concret du droit antidiscriminatoire, et d’investir pour ce faire sur la connaissance et la réflexion sur les mécanismes discriminatoires (avec de la formation des agents) et les moyens juridiques d’établir la preuve. Un groupe de travail spécifique au niveau national, autour de ce chantier – gagner en pertinence stratégique dans l’usage du droit antidiscriminatoire – est nécessaire.
Levier transversal 4. Une adaptation pragmatique et stratégique du cadre juridique. Le dispositif juridique antidiscriminatoire est globalement suffisant. Le problème réside plutôt dans les conditions de sa mobilisation, et dans la volonté politique de faire de la loi un outil efficace en matière de discriminations. De ce point de vue, des améliorations – marginales – de la loi semblent pertinentes, et notamment :
- L’introduction des « class action » ou d’un équivalent, autrement dit de la possibilité d’ester collectivement en justice. Cela permettra aux plaignants une meilleure préparation par la mutualisation des moyens, et donc cela agira comme une nécessaire modification du rapport de force. Cela favorisera par ailleurs la reconnaissance du caractère collectif des mécanismes discriminatoires. Deux propositions de lois ont été récemment déposées au Sénat et à l’Assemblée nationale à ce sujet.
- Un renforcement significatif des montants des indemnités de réparations pour faits de discriminations dans le droit du travail (article L.1134-4 du code du travail), en plus des dispositions actuelles concernant l’annulation contractuelle et le rétablissement de la victime dans ses droits. Cela permettrait d’accroître le risque financier pour les entreprises ou administrations qui discriminent.
Levier transversal 5. En finir avec les discriminations légales. De façon nettement moins marginale que les adaptations juridiques précédentes, il s’agit de faire évoluer systématiquement le cadre du droit pour assurer l’égalité, en supprimant les dispositions légales et réglementaires créant des discriminations légales :
- La suppression des conditions de nationalité pour accéder à un emploi, tant dans les fonctions publiques que dans les secteurs public et privé, y compris les nouvelles dispositions comme celles qui font obstacle à l’accès à l’enseignement privé sous contrat (Décret MEN n°2013-767 du 23 août 2013). La réglementation européenne y tend (de l’article 39 du Traité instituant la Communauté européenne jusqu’à la directive 2003/ 109/CE du Conseil du 25 novembre 2003, qui n’a été que partiellement transcrite). La HALDE a également proposé la levée systématique de ces obstacles, à l’exception des emplois liés à la souveraineté nationale ou à l’exercice de prérogatives de puissance publique aux nationaux (Délibération n° 2009-139 du 30 mars 2009).
- La suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires, concernant notamment le « voile », conformément au sens des dispositions internationales ratifiées par la France (Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, article 18 notamment) : il s’agit particulièrement de la loi du 15 mars 2004 créant l’article L.141-5 du Code de l’éducation, et des dispositions de la circulaire de rentrée n°2012-056 du 27-3-2012 concernant l’accompagnement aux sorties scolaires. Ces réglementations, outre de comporter elles-mêmes de manière implicite une logique discriminatoire, qui joue au final sur la perte de confiance dans l’institution scolaire, servent de justification pour une extension des pratiques discriminatoires dans de nombreux secteurs (entreprises, universités et centres de formation, cantines scolaires, structures de la petite enfance, services publics…).
Levier transversal 6. Une « Cour des comptes de l’égalité ». La réforme qui a conduit a faire disparaître la HALDE dans le Défenseur des droits a eu des effets négatifs sur l’identification et la pertinence de l’objectif politique antidiscriminatoire. Pour des raisons d’efficacité et de lisibilité de la politique publique, il apparaît donc nécessaire de sortir la compétence antidiscriminatoire et de promotion de l’égalité de l’indistinction actuelle. Ceci dit, il ne s’agit pas simplement de revenir à une situation antérieure, qui à bien des égards était insuffisante. Par ailleurs, le rôle aujourd’hui joué par le Haut conseil à l’intégration n’est pas favorable à la promotion d’un Nous inclusif et solidaire, à commencer par l’appellation de cet organisme. Il y a donc lieu d’y mettre fin.
Ces réformes architecturales constituent l’opportunité de donner à ces questions le statut qu’elles appellent, en faisant des problématiques d’égalité, de non-discrimination/ségrégation, etc., la prérogative propre d’un nouvel organisme indépendant aux pouvoirs étendus : une sorte de « Cour des comptes de l’égalité ». Le nom proposé prend en considération la triple dimension symbolique de la Cour des comptes qui existe à ce jour en matière de finances et d’économie publiques : l’indépendance réelle et les pouvoirs globaux d’enquête de cet organisme ; son poids politique en matière de formulation de problèmes publics et de recommandations ; l’idée que l’égalité appelle à faire les comptes et mécomptes des voix et des places. Statutairement, il ne s’agit pas nécessairement d’une juridiction administrative (comme l’est la Cour des comptes) ; cela peut être une autorité indépendante (comme l’était la HALDE).
Par contre, cet organisme doit avoir des compétences étendues, reprenant et améliorant celles précédemment dévolues à la HALDE (mission d’information, habilitation à mener auditions et enquêtes, à transmettre des dossiers au procureur, à dresser des procès-verbaux en cas de discrimination prouvée par testing, à proposer des transactions, à faire des recommandations…), mais les complétant par ailleurs par une fonction étendue d’observation et d’interpellation politique :
- une mission d’observation avec habilitation à mener diverses auditions et enquêtes en matière de politique d’égalité et de non-discrimination des ministères et des administrations ; – une fonction de veille, d’alerte et d’anticipation, avec une capacité de recommandation de toute modification législative, réglementaire ou de stratégie politique en matière d’égalité et de non-discrimination, et avec la capacité de rechercher des techniques et stratégies juridiques permettant d’améliorer l’effectivité du droit ;
- une fonction d’observation globale de l’état des discriminations illégales dans le secteur privé, dans les fonctions publiques [2] , ainsi que l’évolution des discriminations légales ; – une fonction d’observation nationale des procédures judiciaires en matière de discrimination, capable de faire remonter, centraliser et analyser l’ensemble des jugements et ainsi dégager les tendances de la jurisprudence, et capable de médiatiser systématiquement l’effet comme les fragilités de la politique publique et des institutions chargées de l’application du droit en la matière ;
- une fonction d’observation nationale de l’ethnicisation et de la racialisation des discours politiques et médiatiques, capable de renvoyer aux professionnels du discours publics et aux citoyens l’image de la façon dont la responsabilité des discours publics est assumée en matière de représentation du Nous inclusif et solidaire ;
- une mission d’animation d’un programme d’études et de recherche en matière d’inégalités, de discriminations et de ségrégation ; – la remise tous les deux ans d’un rapport, rendu public, faisant les comptes de l’égalité dans la société française.
Levier transversal 7. Une évaluation nationale tous les cinq ans. La politique publique doit faire l’objet d’une évaluation globale, donc nationale. Nous proposons un rythme d’une fois tous les cinq ans – donc, en temps ordinaires, une évaluation calée sur le rythme du mandat électif du président. Ceci, afin de favoriser l’intéressement politique à faire progresser cette question, et également afin de soumettre régulièrement ces questions au débat public. Cette évaluation nationale doit bien entendu mobiliser des chercheurs et se référer d’une exigence scientifique – on bénéficie sur ce plan en France d’une importante littérature et de normes globalement adéquates. Mais elle ne doit en aucun cas échapper aux citoyens, sans quoi c’est sa logique politique d’explicitation de ses valeurs qui fait défaut (Viveret, 1989). Les citoyens doivent être au cœur d’un dispositif évaluatif qui est l’occasion de repartager les enjeux pour la Cité, et de re-créditer la politique publique d’une légitimité, en vérifiant collectivement sa pertinence. Il s’agit donc de mettre en place un dispositif combinant les niveaux locaux et nationaux, multipliant les scènes où se joue l’évaluation, et fondé sur des méthodes de confrontation de la pluralité des points de vue.
Une stratégie spécifique dans le domaine scolaire et universitaire
Principe école 1. Eviter la scolarisation des enjeux. Si l’école a un rôle à jouer en matière d’égalité, ce n’est pas d’abord par sa fonction éducative. C’est avant tout, comme toute autre institution, parce qu’elle contribue à produire des inégalités, des discriminations, de la ségrégation, de l’ethnicisation. C’est ensuite parce que, lieu accueillant en principe tous les enfants, elle doit réguler les relations et rapports d’altérisation, de racialisation et d’exclusion – qui ne sont jamais à proprement parler des discriminations [3]. C’est enfin parce que cette institution a pour programme l’éducation et l’apprentissage qu’elle doit assurer l’acquisition de savoirs (sur la discrimination, le racisme, le droit, l’histoire des immigrations et de la colonisation, etc.), la transmission de valeurs, et l’acquisition de savoir-faire et savoir-être propres à favoriser la coopération et régulation des conflits.
Cette hiérarchie des trois niveaux de responsabilités est cruciale, dans la mesure où l’incorporation des valeurs suppose que l’on puisse les expérimenter concrètement, et donc l’on peut apprendre à respecter les autres si l’on se sent soit-même bien-traité et respecté à et par l’école. Cette remarque sur les limites de la scolarisation de l’enjeu antidiscriminatoire vaut plus généralement : d’une part, l’école n’a pas vocation à résoudre tout le problème des discriminations en général (qui se produisent aussi ailleurs), et d’autre part les enfants (et les « générations futures ») n’ont pas vocation à régler par leur éducation les problèmes qui engagent ici et maintenant la responsabilité des adultes (et des générations « actuelles »).
Principe école 2. Travailler sur l’expérience socio-scolaire des valeurs. Les remarques précédentes s’appliquent aussi à l’objectif de favoriser une identification positive à un Nous inclusif et solidaire : si l’Education nationale a bien sûr son rôle à jouer à l’égard de cet objectif de socialisation, ce ne sont pas les discours moraux d’ordre prescriptif qui assureront cet enjeu. L’apprentissage doit pouvoir être fondé sur l’expérience. Cela veut dire que l’école doit évoluer plus généralement vers des logiques et pratiques de coopération (et non de concurrence, de distinction, d’élitisme), et vers un principe de responsabilisation (et non, comme trop souvent, vers une logique d’infantilisation [4]. Cela ne signifie pas, par contre, qu’il faille au préalable que l’école – ou toute autre institution – soit « exemplaire », au sens de jamais humiliante, jamais discriminatoire, etc. Car ce préalable de perfection risque bien de ne jamais être atteint… Et aussi, car la plupart des gens ne croient tout simplement plus à ces discours vertueux. Là où l’institution et ses agents doivent apprendre à « faire exemple » (plutôt qu’à le « montrer »), c’est dans la capacité pratique – et vérifiable – à assumer les limites mêmes de l’école et du travail, et donc à prouver en acte la responsabilité de l’école de nommer, de mettre un terme et de sanctionner les situations d’injustice, d’humiliation, de discrimination, etc. qui s’y produisent. Cette éthique de la responsabilité est en réalité bien plus difficile à tenir que de simples discours, et pour ce faire les agents auront besoin d’espaces appropriés, collectifs et peut-être accompagnés, pour travailler à rendre effective cette exigence.
Principe école 3. Développer un rapport d’opportunité pédagogique. Concernant l’enseignement, l’école doit combiner le respect de la singularité et de la croyance de chaque élève et chaque famille, avec une haute ambition politique de former des citoyens émancipés, donc capables de penser librement par eux-mêmes et respectueux les uns des autres. « Pour cela, note la Ligue de l’Enseignement (2012), l’enseignement ne doit pas s’en tenir à l’apparence de valeurs partagées (…). L’école ne doit rien s’interdire (…) » pour travailler de tels enjeux. Elle se doit au contraire d’investir les interrogations et des problématiques qui sont cruciales pour la construction d’un Nous inclusif et solidaire, et qui taraudent justement souvent les enfants, les adolescents comme les adultes : les religions, les histoires coloniales et migratoires, le racisme et les discriminations, mais aussi la sexualité, les hiérarchies sociales, etc. Ce n’est pas en créant artificiellement des occasions de communier, par exemple face au nazisme [5], que l’on fait progresser les valeurs, mais en potentialisant les situations et questions réelles qui meuvent et concernent les enfants. Les conflits et controverses, dans la société comme au sein de l’école, représentent de ce point de vue des opportunités pédagogiques concrètes.
Principe école 4. Développer une culture de l’égalité et de l’attention à la pluralité. Si les enseignants sont souvent convaincus des enjeux antiracistes et favorables en principe à la « diversité culturelle », les rapports d’enseignement sont très largement tournés vers une conception normative des élèves, et vers des attendus homogénéisant à l’égard des classes. L’un des principes forts de la politique publique doit donc être de favoriser et développer chez les agents et dans les équipes une culture concrète de l’égalité et une attention effective au respect de la pluralité. Cela rejoint un objectif général d’apprendre à travailler en contexte hétérogène, ce qui suppose de transformer à terme les référents du métier et d’outiller les professionnels.
Principe école 5. Donner aux enseignants la légitimité et les ressources pour pouvoir faire ce travail. Développer un rapport d’opportunité, un savoir-faire de coopération, une capacité à réguler les conflits, savoir argumenter sur des controverses, ou encore mieux accueillir les parents, etc…. Ces objectifs existent déjà peu ou prou dans l’école, qui est censée former à débattre (en éducation civique), à la connaissance de la colonisation (en histoire), à la prise de responsabilité (délégués élèves, conseils de la vie lycéenne), parfois même à la médiation des conflits… Ou encore, les établissements sont censés avoir des « espaces-parents », les agents travailler en « équipe » et en « partenariat », etc. Seulement, ces objectifs ne sont fréquemment pas appliqués, ou de façon seulement formelle. Imposés « par en haut » mais peu valorisés en réalité par l’institution, voire objets d’une incitation expresse à la prudence (en ce qui concerne les « questions sensibles ») ou à ne pas faire de « vagues », ils se heurtent à des peurs professionnelles autant qu’à un manque concret de savoir-faire pédagogique.
Les agents ne sont pas à blâmer ; ils ne sont pas formés à cela ni pour cela, et ils ne disposent généralement pas des cadres de légitimité ni des espaces professionnels pour élaborer collectivement des pratiques pertinentes sur ce plan. Une politique publique à l’égard de ces questions doit donc investir massivement dans la reconfiguration de la formation professionnelle initiale et continue des agents, en même temps qu’elle agit sur les cadres et structures d’action (la classe, l’établissement…) pour favoriser des dynamiques pédagogiques adéquates.
Des leviers d’action dans l’institution scolaire
Levier école 1. Un discours politique et institutionnel autorisant. La nouvelle orientation politique doit d’abord se décliner dans la représentation et dans le discours de l’institution scolaire, en particulier à l’attention de ses agents. Il s’agit notamment de :
- Reconnaître explicitement et nommer les problèmes et les difficultés (un discours clair sur les discriminations, la ségrégation, et la responsabilité de l’institution scolaire dans ces processus d’inégalités) ;
- – Rompre avec une logique de stigmatisation et/ou de focalisation sur les publics et sur leurs défauts ou besoins supposés spécifiques pour parler de l’action de l’institution ;
- Développer des arguments et des justifications relatifs à la manière dont l’institution et ses agents sont concernés par ce travail et ont la responsabilité d’agir ;
- Légitimer l’action, en autorisant et incitant à analyser, à penser, à expérimenter sur ces problèmes, ce qui passe notamment par une revalorisation des discours concernant la pédagogie.
Levier école 2. Des logiques d’observatoires : ressources humaines et orientation. Concernant les ressources humaines, il s’agit de mettre en place au niveau de l’administration scolaire un groupe de travail et d’analyse, disposant de la capacité d’observer la situation tant aux niveaux de l’administration centrale que de celles, locales, et jusqu’aux établissements. Ce groupe aura pour fonction d’identifier les éventuels mécanismes d’inégalités de traitement (on connaît à ce jour surtout la part genrée du « plafond de verre », par exemple), et d’identifier des points clés de la discrimination lors du recrutement (dans les établissements, entre autres), de l’affectation des agents, des évolutions de carrière, etc. Cette fonction d’observation doit déboucher sur des préconisations identifiant des leviers d’action pertinents pour agir sur ces mécanismes. Elle doit en conséquence se traduire dans une stratégie d’adaptation de l’administration pour prendre en compte les discriminations (prévention, régulations systémiques, sanction, etc.).
Concernant l’orientation scolaire, une fonction d’observation est déjà dévolue aux centres d’information et d’orientation. Les CIO et les conseillers d’orientation-psychologues sont dans une position intermédiaire, entre l’administration, les familles et les établissements, notamment, et de ce fait ils ont une capacité d’expertise des formes de sélection et de traitement mises en œuvre par l’institution scolaire dans l’orientation et l’affectation des élèves. Il serait pertinent d’activer cette fonction d’observatoire et la capacité d’expertise des professionnels sur la problématique de l’égalité de traitement ; mais cela suppose de former les conseiller.e.s et d’inclure explicitement cet objectif dans la mission des directions [6].
Levier école 3. La formation continue de l’encadrement. Les cadres de l’administration (centrale comme locale), les corps d’inspection, les chefs d’établissement, etc. doivent être la cible privilégiée d’une stratégie de formation continue. En effet, la diffusion de la politique publique suppose que les professionnels censés garantir que les « règles du jeu » soient claires et respectées sont réellement en capacité de le faire. Cela signifie la capacité de promouvoir un nouveau discours (donc, de changer les cadres symboliques de référence), mais surtout de mettre en œuvre cette logique nouvelle, et pour cela de développer une sensibilité aux problématiques, une expertise professionnelle dans l’analyse des processus (d’ethnicisation, de discrimination et de ségrégation), de développer des savoir-faire de régulation des pratiques, des processus et des organisations… et d’oser le faire.
Cela suppose corrélativement de transformer à terme les rapports de travail au sein de l’institution, qui sont très largement organisés par une conception hiérarchique et autoritaire, laquelle empêche souvent de solutionner réellement les problèmes et de favoriser la mobilisation des équipes.
Levier école 4. Investir massivement sur la formation initiale des professionnels. Environ 300.000 personnes devront être remplacées d’ici 2025 dans l’Education nationale (soit près d’un tiers des salariés actuels). Cela représente un formidable défi, mais aussi une occasion d’enclencher une stratégie de réforme des pratiques et des modèles pédagogiques. Investir sur la formation signifie d’agir particulièrement sur ses objectifs, ses formes et ses contenus (cf. Levier université 2, concernant la formation en ESPE, pour ce qui est des enseignants). L’investissement attendu sur la formation des enseignants doit en outre être décliné pour tous les autres métiers : conseillers d’orientation-psychologue, conseillers principaux d’éducation, etc.
Cela doit s’accompagner d’une reformulation des enjeux et des référents des métiers, et se traduire dans les logiques d’évaluation du travail. Concernant la formation initiale des enseignants, d’autres pays, comme le Québec ont inclus dans les formations initiales des modules sur l’immigration et la diversité, qui peuvent constituer un point d’appui utile et important pour réfléchir aux objectifs de formation, au référentiel et à l’évaluation de ces savoirs, savoir-faire et savoir-être enseignants [7].
Levier école 5. Une grande fonction ressource régionalisée. Les transformations précédentes, visant les métiers et les processus de régulation dans l’institution, doivent s’accompagner d’une mobilisation et d’une diffusion de ressources : formation continue, savoirs, expériences pédagogiques, supports et outils professionnels, etc. De nombreux circuits, centre-ressources et pratiques existent déjà (CNDP-CRDP-CDDP, CASNAV, CAREP, etc. sans parler des CDI dans les établissements). Par contre, l’organisation actuelle pose trois questions :
1° celle de la prise en compte des problématiques d’ethnicité et de discrimination, qui reste souvent dans le cercle restreint de diffusion d’une revue comme Diversité-VEI ;
2° celle de la cohérence entre plusieurs centres ressources thématiques ou relatifs à des segments spécifiques du système scolaire (ZEP, etc.) ;
et 3° celle de l’usage des ressources dans une stratégie d’outillage des professionnels, encadrants comme enseignants ou autres agents locaux.
Nous proposons donc d’expérimenter dans quelques académies une refonte globale de la fonction ressource. Celle- ci ne doit pas avoir pour horizon une réforme gestionnaire de l’ordre de la fusion des structures, mais répondre au contraire à une stratégie politique coordonnée de montée en compétence et d’appui aux professionnels. Cela suppose, dans la méthode expérimentale de gouvernance, de penser et construire avec les professionnels les objectifs intermédiaires et les modifications structurelles pertinentes pour assurer la coordination régionale d’une fonction-ressource tournée vers le soutien aux pratiques et aux équipes. On peut ainsi imaginer que cette fonction ressource globale combine plusieurs types d’outils mobilisables à destination des établissements, des équipes, et des administrations locales :
- De la formation continue réflexive centrée sur la pédagogie à partir d’objets professionnels (la question de la langue, etc.) et non sur des publics-problèmes, comme cela est mis en œuvre par exemple dans l’académie de Lyon par le Centre Michel Delay (dont l’expérience singulière et reconnue pourrait être diffusée) ; – De la diffusion de savoirs et d’outils pédagogiques actualisés, notamment sur les questions d’enseignement de l’histoire et d’éducation civique, autour des questions d’ethnicité, de discrimination, de religions, etc. Il s’agit en particulier de rendre plus accessibles des savoirs qui, pour une part, existent déjà y compris dans d’autres réseaux (revues comme les Cahiers pédagogiques, universités, etc.) [8]
- Des Equipes mobiles de réflexivité, pour accompagner les équipes et intervenir dans les établissements confrontés à des situations problématiques mettant en jeu par exemple des rapports ethniques, des discriminations ou du racisme. Ce type de situations est fréquent dans toutes les académies, et cela génère des tensions et conflits d’autant plus durs que les professionnels sont peu armés face à ces questions et que les équipes sont peu régulées. Cela nécessite alors la mobilisation d’une expertise collective pour résoudre les problèmes et progresser. Cette stratégie d’action suppose par contre de former des formateurs en capacité d’aider les équipes à travailler sur les processus de régulation des conflits, à développer de l’analyse des pratiques et de l’analyse institutionnelle afin de les aider à appréhender les tensions et les problèmes professionnels et institutionnels en relation avec les rapports sociaux et les mécanismes d’ethnicisation, de discrimination, de ségrégation, d’inégalités.
Levier école 6. Un travail spécifique sur des enseignements clés.
- Les programmes d’histoire représentent un enjeu important pour prendre en compte la pluralité de la société et favoriser une identification à un Nous inclusif. Les programmes récents, de 2008, représentent de ce point de vue une régression vers le « roman national », en comparaison de ceux de 2002. Les futurs renouvellements des programmes gagneront donc à s’inspirer de l’esprit de ceux de 2002 (quant à un décloisonnement, à la prise en compte de l’histoire du genre ou celle de minorités, etc.). Ceci dit, il faut se garder d’une tendance forte à la sacralisation des programmes – qui constitue une des dimensions du problèmes pour l’école. D’une part, les programmes français d’histoire sont globalement assez ouvertes (comparativement à d’autres pays), et ils ont évolué de façon importante depuis les années 1980 [9]. D’autre part, la réforme des programmes ne règle rien en soi, quelle que soit la qualité des contenus, si elle n’est pas accompagnée d’une adaptation des pratiques pédagogiques aux nouveaux contenus, et d’une évolution des rapports des enseignants à la discipline. Une stratégie d’accompagnement est nécessaire – nous avons de ce point de vue en France des exemples dont on peut s’inspirer, parmi lesquels l’accompagnement du programme de français « Lire et écrire, cycle 3 » de 2002.
- Un nouveau « panthéon » pour une histoire plurielle. D’un côté les travaux historiens montrent avec force que la structuration de la société (comme de la langue, etc.) repose toujours sur des porosités et des échanges multiformes et incessants avec d’autres sociétés. Mais de l’autre, l’histoire enseignée se réfère à des figures incarnées qui demeurent très largement des « grands hommes » mâles, blancs et hétérosexuels, pour ainsi dire. Il y a donc un enjeu fort à faire évoluer le « panthéon » des figures censées incarner les grands mouvements, les époques et les dynamiques plurielles de la société. Contrairement à une théorie du « reflet » héritée des médias (« représenter la société » selon l’idée que les consommateurs s’identifient par homophilie), l’enjeu n’est pas celui de proposer à chaque catégorie d’élève un représentant supposé de « son origine », mais de proposer à tous les élèves (et de donner à tous les enseignants les supports nécessaires pour) une représentation plurielle et réaliste des hommes, des femmes, des enfants et des collectifs qui ont vraiment « fait l’histoire ». La mise en place d’un groupe de travail national composé notamment d’historiens, d’enseignants, d’élèves et de parents permettra d’avancer en ce sens. Ce groupe pourrait être chargé de proposer une pluralité concrète de figures historiques, de produire des supports pédagogiques pertinents (du genre de l’ABCD de l’égalité des genres, actuellement développé), et de faire des propositions en direction par exemple des éditeurs de manuels, de revues, etc.
- Un investissement sur la langue. La question de la langue et des langages est un levier important, à la fois parce qu’il s’agit d’un domaine de compétences très déterminant dans la vie sociale en général, et parce que cela représente l’un des vecteurs concrets de la pluralité. L’un des problèmes réside dans le statut dévalorisé des langues des migrants et ou des « langues et cultures d’origine » des élèves (qu’elles soient nationales ou régionales). Un effort particulier est à faire pour développer les Langues vivantes en question (notamment ; l’arabe, le turc, etc.), et ce ni dans une stratégie ethnique (qui consisterait à développer l’offre là où l’on pense qu’il y a des publics « d’origine ») ni dans une stratégie de distinction (ou l’enseignement de l’arabe au lycée Henri 4, par exemple, sert des stratégies de contournement de la carte scolaire). Il faut à la fois banaliser la pluralité des langues et encourager leur réappropriation potentielle par tous les élèves, en tant que véhicules donnant l’accès à des univers et rapports cognitifs constitutifs d’une pluralité de civilisations, qui font notre richesse, notre histoire et notre culture commune [10].
Levier école 7. Faire alliance avec les publics de l’école. Sur ce plan, il est difficile de ne pas faire dans les vœux- pieux, tant la question de « l’ouverture de l’école » est un poncif des propositions de réforme depuis les années 1970 au moins. Il faut néanmoins insister sur le fait que la question du rapport qu’entretient l’institution scolaire avec ses publics – élèves et parents – est centrale. Les mécanismes de discrimination trouvent en effet souvent leur justification professionnelle ou institutionnelle dans un souci de « gérer » des publics pensés comme extérieurs voire comme menace pour l’intégrité de l’école « républicaine ». La problématique du « voile » en est une illustration parmi d’autres ; aussi le changement de réglementation en la matière (cf. Levier transversal 5) ne trouvera pleinement son sens que dans la capacité de l’institution scolaire à regarder les parents autrement que comme un risque, et les élèves autrement que comme des objets à éduquer. Il faut sur ce plan :
- Construire un discours politique et institutionnel qui change la représentation du rapport scolaire et du rapport au savoir de l’école, en plaçant au centre des attentions et des interactions non pas les élèves mais les enjeux d’apprentissage. Ce sont eux qui peuvent être éventuellement objet commun d’un travail coordonné entre élèves, parents et enseignants. Car, comme le dit Yves Reuter, « ce n’est pas l’enfant qui est au centre, c’est l’élève et son rapport au savoir. C’est l’élève qui apprend, nul autre ne peut le faire à sa place » [11].
- Travailler dans la formation des enseignants sur le sens de l’institution et du métier et sur des manières de travailler en coopération (cf. Levier école 5).
- Favoriser les expérimentations conduisant à la coopération et la régulation des conflits entre enseignants, élèves et parents autour du fonctionnement de l’école (en travaillant avec les publics sur les discriminations, notamment) et autour des apprentissages (sans focaliser sur les parents « immigrés » [12] ou ceux de « classe populaire »). Les conflits sont d’autant plus inévitables qu’il existera toujours des « malentendus » sur le sens et le fonctionnement de l’école ; ceux-ci ne seront jamais résolus par les dispositifs de normalisation qui cherchent à influer en amont sur la manière des parents de se comporter vis-à-vis de l’école et de la scolarité de leurs enfants. Il ne s’agit donc pas de « donner aux parents les codes » de l’école pour qu’ils s’y conforment par avance, mais de leur « donner les clés » (ce qui suppose, métaphoriquement, qu’ils soient en capacité d’entrer dans l’école) afin qu’ils puissent élaborer dans l’interaction avec les agents scolaires des stratégies plus efficaces en fonction de leur attentes propres. De ce point de vue, l’information stratégique sur les mécanismes réels d’orientation et d’affectation, au- delà d’une communication de l’ONISEP sur la forme l’architecturale des circuits possibles, est un exemple des points de crispation/des enjeux stratégiques qu’il est nécessaire de travailler.
- Sensibiliser les élèves et les parents à la discrimination et au droit, et constituer localement des pôles de vigilance face à la discrimination. Il s’agit d’autoriser et de solliciter la parole sur ces processus, afin d’avancer ensemble dans l’exigence d’une prise en compte de ces mécanismes. Contrairement aux peurs qui s’expriment fréquemment, les expériences (comme celle du Collectif « Vivre ensemble l’égalité de Lormont », ou celles d’associations de parents d’élèves mobilisées sur les phénomènes de maltraitance et d’humiliation des élèves en Belgique) montrent que le développement de l’attention aux discriminations et autres formes de maltraitance scolaire ne se fait pas contre l’institution, mais au contraire dans la construction d’une exigence commune d’une école réellement émancipatrice. Parler des problèmes avec les publics n’affaiblit pas l’école ; c’est au contraire le silence et l’aveuglement qui minent la confiance.
Des leviers d’action dans les formations supérieures
Levier université 1. Une production de savoirs externe et interne. L’une des fonctions de l’université est bien de produire du savoir. Or, si la connaissance des processus de discrimination progresse, cela demeure un axe important de travail. Par exemple, nous ne savons rien ou presque des mécanismes de discrimination, de racialisation, etc. dans l’enseignement supérieur, dans l’orientation scolaire, ou encore dans de nombreux secteurs et domaines du monde du travail.
- Les pouvoirs publics doivent favoriser en général des enquêtes et recherches qualitatives et quantitatives permettant une meilleure compréhension, tant des mécanismes d’inégalités de traitement et de discrimination, que de la manière dont fonctionnent les dispositifs et politiques censés les combattre.
- La question des discriminations doit être inscrite dans les obligations de recherche et d’objectivation des Observatoires de la vie étudiante des universités (nous disposons de l’exemple de l’enquête statistique menée dans le Nord-Pas-de-Calais), et de façon équivalente dans les cahiers des charges des grandes écoles.
- Il est nécessaire de faire un bilan critique des dispositifs dits de « discrimination positive » dans les grandes écoles et/ou dans les Préparations aux grandes écoles. Car, s’agissant par exemple de l’Institut d’études politiques de Paris récemment étudié, plusieurs travaux ont montré que l’ouverture limitée de l’accès à l’entrée de l’établissement se payait par la suite de mécanismes sociaux discriminatoires puissants à l’intérieur de celui-ci. Si bien que les trajectoires professionnelles des diplômés ne sont pas les mêmes selon qu’on a bénéficié ou pas de la discrimination positive. Cette connaissance affinée permettra plus généralement de prendre de la distance avec une stratégie de gouvernance par les outils, qui montre partout ses limites.
Levier université 2. Les ESPE et la formation initiale des futurs enseignants. La responsabilité de former les futurs enseignants du primaire et du secondaire repose en large part sur les universités ou les Pôles recherches de l’enseignement supérieur, à travers les Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). L’enjeu est d’intervenir sur les objectifs, les contenus et les formes pédagogiques. Il faut notamment apprendre à coopérer, à construire pédagogiquement des situations d’apprentissage à partir des opportunités, à développer une attention à la pluralité des rapports aux savoirs et aux mécanismes de production des inégalités, etc. Un objectif majeur devrait être celui de développer un savoir-faire d’enseignement en situation hétérogène (entendue non pas comme hétérogénéité de « cultures étrangères » mais plus généralement comme l’inverse de la représentation d’une classe homogène), dans la mesure où l’on sait que le tri par niveaux à des fins d’homogénéisation des groupes (classes de niveaux) a des effets très inégalitaires, tandis que l’inverse n’est pas vrai. Du point de vue disciplinaire, la formation gagnera à mobiliser de façon articulée des références et des ressources de l’ordre de :
- la pédagogie et la didactique, avec des savoir-faire pratiques pour organiser la classe et les savoirs, pour développer la coopération, pour réguler les conflits, etc. ;
- la psychosociologie, et l’analyse des processus de catégorisation, de stéréotypage, d’attendus et de projections (type effets « Pygmalion »), etc. ;
- la sociologie (des inégalités scolaires, des rapports sociaux de genre et d’ethnicité, etc.) ;
- le droit (droits de l’enfant, droit antidiscriminatoire, etc.) ;
- l’histoire (notamment celle de l’institution scolaire et du métier, pour permettre aux professionnels de se situer et d’inscrire leur positionnement professionnel et leur travail dans une perspective).
Levier université 3. Le développement des formations en sciences sociales. Il existe à l’heure actuelle peu de formations en sciences sociales, notamment au niveau master, qui prennent les discriminations et les rapports ethniques pour objet de recherche ou qui conduisent à des carrières dans les institutions publiques ou de la société civile, de professionnels spécialisés en matière de luttes contre les discriminations et d’inégalités. C’est pourtant une condition essentielle à toute politique publique dans ce domaine, afin d’accompagner les dispositifs existants et futurs, d’en comprendre et d’en accepter l’esprit et d’en permettre le développement. Le soutien aux formations existantes et l’incitation à développer l’offre peut être un levier important.
Levier université 4. L’accès à l’enseignement supérieur. Malgré les successives « massifications » du système scolaire, plus de la moitié d’une classe d’âge demeure exclue de l’accès à l’enseignement supérieur. Compte-tenu du poids de la formation dans l’accès ultérieur au monde du travail, il y a là un mécanisme inégalitaire indirect à travailler. Plusieurs pistes de travail méritent d’être explorées :
- Un travail sur les mécanismes d’autocensure, en investissant l’action en amont dans les bassins territoriaux principaux de recrutement. Un levier possible, expérimenté par exemple par l’université Paris 8 avec l’association AFEV, consiste à intervenir par une information élargie (à la fois générale, sur l’université et ses voies, et stratégique, sur les obstacles et usages possibles de l’offre) dans les parcours des étudiants y compris dans les activités associatives ou civiques périphériques. Par ailleurs, l’ouverture aux parents des collégiens et des lycéens des établissements universitaires, au-delà même des journées portes ouvertes, pourrait favoriser cette « mise en relation ». Cela met en jeu plus généralement les stratégies d’accompagnement à l’orientation.
- L’investissement étudiant dans des associations pourrait être reconnu, au même titre que l’investissement syndical à l’heure actuelle, dans des stratégies de validation des acquis permettant de convertir en diplômes des expériences de terrain.
(…)
Sommaire du rapport
Introduction
I – Eléments d’un nécessaire cadre politique
« L’intégration », une mauvaise base pour (re)fonder une politique publique
Quel est l’enjeu d’une telle politique publique ?
Travailler le sentiment d’appartenance : un Nous inclusif et solidaire
Travailler sur les frontières de la société : pour une égalité concrète et vérifiable
II – Ce que nous enseigne l’histoire
Les années 1970 : l’invention du « problème de l’immigration »
Les années 1980 : émergence de nouveaux acteurs et requalification politique du problème
Les années 1990 : de la normalisation vers la reconnaissance ?
Les années 2000 : un changement de cap politique avorté
De grandes constantes et répétitions, malgré les variations de l’histoire
III.Ce que nous savons des processus
Le rapport de la société française à l’immigration : la fabrique de minorités
Ce que nous savons des processus de discrimination
Ce que nous savons des processus de ségrégation
Expérience de la discrimination et rapport à la société française
IV.Ce que nous avons appris de l’action antidiscriminatoire
Les limites d’une absence de politique publique
Intérêts et limites de quelques approches
Quelques conditions de pertinence des programmes d’action contextualisés
V.Ce que nous préconisons
Une approche politique de la question. 20 principes pour fonder une politique publique
Une approche stratégique de l’action. 7 leviers transversaux pour organiser l’action publique
Une stratégie spécifique dans le domaine scolaire et universitaire
Une stratégie spécifique dans le domaine de l’emploi et du travail
VI.Bibliographie et indications de lecture
Annexes
Lettre de mission du groupe de travail « Mobilités sociales »
Liste des participants au groupe de travail
Auditions et contributions spécifiques
Feuilleter et télécharger l’intégralité du rapport
Documents joints
- Vers une politique française de l’égalité, Rapport du groupe de travail « Mobilités sociales »dans le cadre de la « Refondation de la politique d’intégration », Fabrice DHUME et Khalid HAMDANI, novembre 2013 (PDF – 2.9 Mo)
Rapport au ministre de l’Emploi, du travail, de la formation professionnelleet du dialogue social, et à la ministre déléguée à la réussite éducative
Notes
[1] Par exemple, dans les domaines de l’éducation et de l’emploi : Conseil national et Unions ou Associations régionales des missions locales, Unions régionales des entreprises d’insertion, Réseau national de lutte contre les discriminations à l’école, Inter-réseaux du développement social urbain, réseaux relatifs à des groupes professionnels (à l’école : chefs d’établissements, conseillers principaux d’éducation, conseillers d’orientation- psychologues…), fédérations des centres sociaux, etc.
[2] Cela rejoint et inclut la proposition n°1 du rapport d’Alain Touret (2012) sur la discrimination dans la fonction publique.
[3] Une discrimination suppose l’exercice d’une fonction de pouvoir, donc une asymétrie instituée propre à une logique de sélection, ce qui n’est par définition pas le cas des élèves (ni des parents) à l’école : la discrimination dans l’éducation, c’est l’affaire des adultes à l’égard des enfants, l’affaire des agents scolaires et des administrations à l’égard des publics, ou l’affaire de l’administration et des hiérarchies à l’égard des salariés.
[4] Pour éviter tout malentendu sur le terme de « responsabilisation » : la logique d’infantilisation fait injonction à la « responsabilité » et à « l’autonomie », mais cela renvoie à une forme de contrôle exercé par un discours surplombant sur des publics tenus pour subalternes. Une logique de responsabilisation suppose, à l’inverse, de considérer que les interlocuteurs sont également capables (politiquement) et qu’on les traite donc comme des personnes dignes d’une exigence commune de responsabilité. La responsabilisation, en ce sens, c’est une commune et réciproque exigence démocratique.)
[5] Par exemple en faisant lire la lettre de Guy Môquet (2007), ou en « confiant » aux enfants en dernière année à l’école primaire la mémoire d’un des 11 000 enfants juifs de France tués pendant l’Holocauste (2008)…
[6] Une recherche-action expérimentale sur les discriminations dans l’orientation scolaire, appuyée sur la compétence d’observatoire d’un CIO, a été conduite dans le 18ème arrondissement de l’académie de Paris, à la demande de la Ville. Elle confirme à la fois le potentiel d’expertise des équipes, mais la faible légitimité de la problématique et donc l’importance d’une formation initiale et continue des professionnels et d’un cadre politique de légitimation pour s’approprier les « lunettes sociales » adéquates.
[7] Au Québec, ces cours sont obligatoires et s’articulent autour de certaines des 12 compétences du référentiel développé par le Ministère de l’Éducation, pour évaluer la formation théorique et pratique (en stages). L’université du Québec à Montréal a en outre adopté une 13è compétence spécifique à la dimension « interculturelle » et a construit, en adéquation avec celle-ci, une formation et une grille d’évaluation pour accompagner le travail des « superviseurs » assurant sur le terrain le suivi des stages professionnels des futurs enseignants ;
[8] De ce point de vue, les CRDP ou CDDP sont pris dans un injonction à l’autofinancement, qui impacte l’objectif d’accessibilité des ressources (coût) et qui les conduit à privilégier la valorisation des productions internes.
[9] Dans d’autres matières aussi, l’évolution est notable. Il faut se rappeler par exemple que jusqu’en 1988, les programmes de biologie du secondaire (Terminale C ou D) abordaient le thème des « races »…
[10] L’école ne doit pas avoir peur des polémiques racistes, comme celle déclenchée dans une école du Sud de la France suite à l’apprentissage par les enfants de la chanson en arabe du film Azur et Asmar. L’institution scolaire est forte de sa capacité à faire des choix éducatifs au nom de « l’intérêt général », et cela passe aujourd’hui par la valorisation et la réappropriation de la pluralité, même s’il n’y a pas de consensus sur ce plan.
[11] http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/86_icem_des%C3%A9colesfreinetsurlaloupedel%27universit%C3%A9.aspx
[12] Comme le fait le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour réussir l’intégration » du ministère de l’Intérieur, qui, sans cela, semble montrer des effets plutôt intéressants de modifications de l’investissement réciproque école-parents (ceci dit sous réserve d’une évaluation, qui est en cours).