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Le rapport "Vers une politique française de l’égalité" vient d’être rendu public. Ce rapport, à travers la question des mobilités sociales, pose la question des discriminations au travail mais aussi à l’école. Ce rapport s’interroge sur les frontières concrètes et symboliques de la société française qui empêchent et contraignent les mobilités, la confiance, les identifications positives à une société inclusive. Il préconise des solutions dont certaines devraient faire débat.
Le rapport Vers une politique française de l’égalité[1] provient d’une commande du ministère du travail et du ministère de la Réussite éducative sur les "mobilités sociales", dans le cadre de "la refondation de la politique d’intégration". D’une centaine de pages centrées sur l’emploi et l’Ecole, il est le résultat d’un groupe de travail ayant réuni une cinquantaine de personnes (représentants des deux ministères commanditaires, chercheurs, professionnels, partenaires sociaux, associations, élus, parents d’élèves…). Il a été rédigé par Fabrice Dhume, un sociologue spécialiste des discriminations, et Khalid Hamdani, fondateur d’Ethique et diversité, un cabinet de consultants en ressources humaines.
Le rapport s’articule en cinq chapitres :
– Le premier revient sur les termes du débat : selon ses auteurs, il n’y a jamais eu en France de politique d’intégration à proprement parler et le terme d’intégration est ambigu. Pour eux, l’injonction à l’intégration peut être sans fin et conduire à de l’exclusion. L’un des problèmes serait l’association de la notion d’intégration avec celle d’immigration, alors « que la démocratie s’inscrit dans les frontières d’une nation et que l’Etat soit territoire, n’implique pas qu’un lien de sang, reçu ou versé, avec ce sol, qu’une autochtonie, soit une condition d’accès à l’espace de droits et de devoirs mutuels qui la définit »[2]. L’un des problèmes leur semble donc être que la construction d’un « nous » inclusif et solidaire est assignée à l’Ecole alors que les discriminations y sont importantes.
– Le deuxième chapitre est un retour sur l’histoire récente des quarante dernières années, au cours desquelles émerge l’idée que l’immigration soit un problème en soi. Les années 1980 sont marquées par la montée de l’extrême droite, les revendications des enfants d’immigrés auxquelles on tente de répondre par la création du Haut conseil à l’intégration. L’intégration est vue comme une solution tout en entérinant un « eux » différent. L’Etat veut favoriser l’intégration, mais celle-ci doit être le fait des individus, jusqu’à l’assimilation. Dans le même temps l’Etat restreint progressivement les frontières à l’immigration. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premières tensions autour du foulard islamique. On assiste aussi aux premières mesures de lutte contre les discriminations dans le monde du travail mais il faut attendre la circulaire de rentrée 2008 pour que les questions de discrimination soient abordées à l’Ecole, la circulaire évoque cependant davantage les discriminations entre élèves que celles produites par l’institution. Cette logique est renforcée avec le discours sur la "diversité" et, pour les auteurs, la circulaire de la rentrée 2012 qui interdit le port du voile aux mères de famille qui accompagnent les sorties scolaires va y contribuer.
– Le troisième chapitre cherche à analyser ces processus de demande d’intégration et de discriminations dans les faits : « Les processus d’assimilation, au sens sociologique, se font avec le temps et de manière usuelle à travers les interactions sociales et l’expérience du lieu où l’on vit. Ce qui les limite par contre, ce sont les obstacles et frontières que dresse la "société d’accueil" afin de ne pas les reconnaître comme des membres légitimes et normaux de la collectivité. Les différences objectivement observables à un moment donné ne sont pas des éléments stables et primordiaux initialement importés par des populations immigrées »[3]. Ainsi les auteurs reviennent sur les discriminations, l’ethnicisation à l’école et dans l’orientation en notant « que les effets de ce jugement ethnique sont d’amplitude très générale (ils se retrouvent à tous les niveaux du système scolaire et dans toutes les dimensions que la recherche a explorés) ; par contre, cela n’est, sauf exception, pas systématique ni le plus souvent conscients »[4]. Ils s’appuient sur une recherche-action, en cours à Grenoble, qui montre que les appréciations sur les bulletins, à notes égales, différent fortement selon le genre et l’origine supposée. De même, ils reprennent les statistiques d’autres études comme avec ce tableau ci-dessous qui montre clairement l’impact de l’origine et du sexe sur le niveau diplôme atteint.
Elèves |
Baccalauréat |
CAP, BEP, BT |
Brevet collèges |
Sans diplôme |
|
D’origine maghrébine |
Garçons |
43% |
22% |
7% |
28% |
Filles |
74% |
11% |
6% |
9% |
|
D’origine française |
Garçons |
64% |
21% |
6% |
9% |
Filles |
74% |
16% |
5% |
5% |
Diplôme le plus élevé obtenu à la fin du secondaire par les élèves entrés en 6è en 1995
Source : Brinbaum et Kiefer, 2009, pp.585-586.
Ils font aussi référence à un rapport de l’Inspection Générale sur les discriminations, remis en 2000 et jamais publié qui conforte ces analyses. Une étude menée sur l’ensemble de l’académie de Bordeaux a montré que la ségrégation ethnique à l’école est au final plus forte que celle du territoire[5]. La ségrégation entre établissements et à l’intérieur des établissements est aussi très forte. Dans le prolongement de l’Ecole, les auteurs rappellent que la recherche de stage est un moment sensible de discriminations avec le risque que les discriminés potentiels se limitent dans leur recherche de stage ou d’emploi. Cependant, pour les auteurs, la discrimination ne se réduit pas à des actes individuels racistes conscients et punissables au pénal, ni même à l’effet des seuls stéréotypes et préjugés (…). Au contraire, la discrimination est structurellement incorporée au fonctionnement du marché du travail, elle est « utile » aux logiques du marché[6]. Ainsi les auteurs pointent le fait que la fonction publique et dix-sept professions privées soient interdites aux étrangers (7 millions d’emplois, 30 % du total)[7]. Ils expliquent ainsi une part du fait que le taux de chômage des personnes perçues comme d’origines étrangères soit plus élevé, avec plus d’emplois précaires et mal payés pour ceux qui ont un emploi.
– Le quatrième chapitre passe en revue les tentatives d’actions antidiscriminatoires en France. Il pointe en matière de discrimination en France l’expérience d’une « action publique sans problème public reconnu »[8] car l’affirmation du principe d’égalité leur semble empêcher de reconnaître comment les discriminations sont produites dans les pratiques. Pour la plupart ces actions n’ont pas eu les résultats escomptés notamment à cause de l’instabilité du référentiel politique : insertion, intégration, sécurité, égalité des chances, antiracisme… et « la cohabitation de grands discours de principe avec une expérience concrète qui dément fréquemment que ces valeurs soient effectives a des effets en termes de désidentification des élèves au cadre que l’on voudrait promouvoir »[9]. Le droit leur semble montrer ses limites (les plaintes pour discrimination sont peu nombreuses et aboutissent rarement à des condamnations (541 plaintes en 2008, 17 condamnations). La HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) qui avait reçu de nombreuses réclamations, a depuis été fusionnée avec le défenseur des droits et a vu son rôle diminuer. Le bilan des ZEP dans la lutte contre les discriminations est mitigé et les réseaux spécialisés de l’Education nationale (CEFISEM puis CASNAV, etc.) leur semble encore trop souvent pris dans une approche dont la bienveillance n’empêche pas l’altérisation des publics.
– Face à ces constats le rapport propose de changer de paradigme dans le cinquième chapitre, à travers vingt principes fondamentaux pour une nouvelle politique publique et sept leviers transversaux pour organiser l’action publique. Pour ce qui concerne spécifiquement l’Ecole le rapport propose sept leviers d’actions :
1. Avoir un discours clair sur les discriminations, ne pas taire le problème et dans le même temps ne pas mener des actions focalisées sur un public qui le stigmatiserait.
2. Mettre en place un observatoire des ressources humaines pour lutter contre la discrimination à l’embauche et dans le parcours des agents.
3. Développer la formation continue de l’encadrement de l’Education nationale sur les discriminations.
4. Investir massivement sur la formation initiale des enseignants notamment sur la question des discriminations.
5. Avoir des centres de ressources régionaux et des « équipes mobiles de réflexivités » sur ces questions.
6. Mener un travail spécifique sur l’enseignement de l’histoire qui évite le roman national excluant.
7. Faire alliance avec les publics de l’école.
Dans ce dernier levier le rapport propose « un changement de la réglementation sur le voile » à l’Ecole ce qui risque de soulever de vifs débats dans le contexte actuel…
[1] Fabrice Dhume, Khalide Hamdani, Vers une politique française de l’égalité, Rapport du groupe de travail «Mobilités sociales» dans le cadre de la «Refondation de la politique d’intégration», novembre 2013, 93 p.
[2] p.8 citation de Dominique Colas, Citoyenneté et nationalité, Paris, Gallimard, 2004, p.217-218.
[3] p.27.
[4] p.32.
[5] Georges FELOUZIS, Françoise LIOT, Joëlle PERROTON, L’apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Paris, Seuil, 2005.
[6] p.36 et Danièle LOCHAK, « Loi du marché et discrimination », in Daniel Borrillo (dir), Lutter contre les discriminations, Paris, La Découverte, 2003.
[7] Le décret du 23 aout 2013 qui interdit l’accès des étrangers au concours de l’enseignement privé a été suspendu le 19 novembre 2013 par le Conseil d’Etat.
[8] Marie-Christine CERRATO-DEBENEDETTI, Action publique sans problème public reconnu. La lutte contre les discriminations ethno-raciales en France dans les années 2000, Thèse de sciences politiques, Université Aix-Marseille, 2013.
[9] p.54.