VALEUR: Idée fondamentale sur ce qui est bon ou désirable, partagée par des personnes possédant la même socio-culture. D’un point de vue anthropologique, « l’homme, dit Nietzsche, est un animal évaluateur". Pour M. Weber, 1965, la connaissance est toujours le produit d’une orientation axiologique. C’est à partir d’elle que le savant pose des questions à la réalité, sélectionne un point de vue, privilégie une imputation causale. L’orientation axiologique ne doit pas intervenir dans l’établissement des faits (neutralité axiologique). « Les valeurs ne sont rien de plus que des préférences collectives qui apparaissent dans un contexte institutionnel, et qui par la manière dont elles se forment, contribuent à la régulation de ce contexte … Dès que l’on aperçoit la liaison entre les systèmes de valeurs et les traditions, on s’aperçoit que les systèmes de valeurs constituent des systèmes ouverts", Boudon et Bourricaud, 1982, Dictionnaire critique de la sociologie. Selon le Vocabulaire européen des philosophies, sous la direction de B. Cassin, 2004, la l’opacité du terme tient à la diversité des domaines où il trouve sa signification: 1. Valeur et vertu; 2. Valeur et vérité; 3. Valeur et sens; 4. Valeur et économie; 5. Valeur et esthétique. Les valeurs sont des croyances stables qui servent de critères pour adopter certaines conduites plutôt que d’autres et pour évaluer les personnes, les situations et les évènements. On fait largement appel à leur pouvoir explicatif en psychologie, sociologie et anthropologie, M. Wach et B. Hammer, 2003. On peut poser en principe qu’aucune valeur d’aucune sorte n’est objective et absolue, parce que rien, par définition, ne peut présenter de « valeur" qu’aux yeux de quelqu’un ou de quelques-uns. Valoir, c’est inévitablement valoir pour, toute valeur est en ce sens relative. Notre système démocratique, à l’inverse des systèmes totalitaires ou théocratiques, présuppose la relativité des valeurs. Nous vivons la « fin des certitudes" établies sur les « méta récits ", J.F. Lyotard, 1979. « Nous sommes la première civilisation sans valeur suprême", A. Malraux. L’ère post-moderne traversée par une sorte de fragmentation culturelle rejette l’idée d’une transcendance reconnue par tous: la Nature, la Raison, Dieu, l’Histoire. Seule nous reste la délibération démocratique pour construire des consensus ou des compromis a minima sur les finalités de nos actions. Selon D. Hameline, 1979, une finalité est une affirmation de principe à travers laquelle une société (ou un groupe social) identifie et véhicule ses valeurs. Elle fournit des lignes directrices à un système éducatif et des manières de tenir un discours sur l’éducation. Quelle est la finalité dernière que se donnent les interventions de type éducatif dans le domaine de l’orientation scolaire et professionnelle? « La finalité dernière est bien l’émergence d’un sujet libre, d’une volonté capable de se donner ses propres fins, d’effectuer le plus lucidement possible ses propres choix, de décider en toute indépendance de ses propres valeurs. Que signifierait, en effet, l’obtention d’un assentiment par la crainte ou le réflexe, si ce n’est la négation même des valeurs que l’on entend promouvoir. », P. Meirieu, 1991. Jusqu’aux années soixante, les théories du choix professionnel posaient a priori la signification de la valeur travail comme source de réalisation des individus. Les crises économiques, sociales et culturelles des dernières décades ont remis en cause un tel postulat, élargissant le cadre de référence de la représentation de soi, des professions et des interactions avec la société dans son ensemble. Les valeurs sont l’un des constituants du choix d’une profession. Elles reflètent les différences individuelles (de sexe, de milieu d’origine, etc.) et président au changement en cours de carrière. Les orientations théoriques appliquées au domaine des valeurs sont multiples: la psychanalyse, le behaviorisme, la phénoménologie, la psychologie sociale cognitive, la philosophie morale, etc. Comment l’action orientée par des valeurs détermine-t-elle le cours des choses? Les valeurs spécifiques à l’éducation ou au travail peuvent être l’objet d’une investigation systématique. Ainsi J. P. Descombes, 1980, a recensé les études portant sur la mesure des « valeurs professionnelles" de 1925 à 1975. Les valeurs évoluent avec l’âge et c’est à l’adolescence qu’elles constituent un facteur crucial dans la formation de l’identité et des prises de décision concernant l’avenir. le système de valeurs des jeunes s’établit par des expériences vécues dans des réseaux de socialisation tels que la famille, les pairs, l’école, les mouvements de jeunesse, la vie de quartier, les médias etc. Les aspects conflictuels (conflits de valeurs) ne doivent pas être négligés (à l’heure des taux de chômage élevés, de tensions aiguës dans le monde du travail, d’une cadence sans précédent des changements technologiques, d’une augmentation des divorces, d’une plus grande diversité des idéologies, d’un accroissement de la déviance sous toutes ses formes et d’une recrudescence de mouvements fanatiques de tous genres.» J. Perron, 1984. D’une manière générale, la formation des techniciens en orientation repose sur des choix axiologiques et les pratiques de counseling psychologique sont des pratiques d’intervention ou d’influence interpersonnelle des aspects éthiques qui, dans certains pays (Canada, France … ) s’expriment à travers un cadre de déontologie professionnelle. E.Spranger (1882-1963) a conçu une typologie des «manières d’être" qui sont des «formes de vie» en rapport avec (les différents types de conceptions du monde, l’homme théorique; l’homme économique; l’homme esthétique; l’homme social; l’homme de pouvoir; l’homme religieux. Ces dispositions fondamentales de l’esprit (qui ont inspiré (l’inventaire de personnalité» de Holland: RIASEC, Réaliste, Intellectuel, Artistique, Social, Entrepreneurial, Conventionnel s’actualisent en structures complexes dans les morales personnelles et collectives, en faisant une synthèse combinatoire des valeurs, qui seule, exprime la pleine réalité de la vie. Il n’y a pas d’orientation sans valeur. (Dire que nous inventons les valeurs ne signifie pas autre chose que ceci : la vie n’a pas de sens, a priori. Avant que vous ne viviez, la vie, elle, n’est rien, mais c’est à vous de lui donner un sens et la valeur n’est pas autre chose que ce sens que vous choisissez», J.P. Sartre, 1970. Pour M. Rokeach, 1973, (une valeur est une croyance persistante qu’un mode de conduite ou un but dans l’existence est personnellement ou socialement préférable à un autre [ … ] Progressivement, par l’expérience et par un processus de maturation, nous apprenons tous à intégrer dans un système organisé et hiérarchique des valeurs isolées et absolues apprises dans un contexte ou dans un autre". les significations attribuées au concept de valeur peuvent varier largement du sens commun aux disciplines universitaires, et entre les différentes disciplines. L’historien et le sociologue recherchent dans la mémoire des institutions ou dans la conscience collective ce qui fonde les règles d’attribution de significations, organise les préférences, détermine les choix, définit les règles de conduite propres à une époque ou à une communauté humaine et les règles de transmission de cette culture à ses membres. Le philosophe s’attache à identifier les modèles et les systèmes de valeur comme expression de la réflexion humaine. Le psychologue s’intéresse aux préférences exprimées par les sujets non seulement par rapport à des types d’activités, mais en fonction des styles de vie, des types de personnes, des manières d’être, et cherche à établir des relations entre les préférences exprimées et les comportements de ces sujets. En orientation professionnelle, on a cherché à expliciter les relations entre valeurs et travail dans la mesure où les choix professionnels sont vus, dans certaines formes de théorisation, comme des réalisations de l’image que l’on peut avoir de soi. Ainsi, comment peut-on expliquer les choix successifs que l’individu effectue au cours de sa trajectoire professionnelle lorsque ces choix ne sont pas dictés par des ruptures imposées de l’extérieur (chômage, mutations technologiques … ). Les études effectuées sur les parcours professionnels s’accordent pour distinguer les phases de transition et des périodes d’équilibre marquées par des formes différenciées de réalisation de soi. Selon J. Aubret, 1995, on distingue: – une période de développement dans laquelle se décide et se prépare un type de réalisation sociale et professionnelle (qui pourrait bien correspondre à une phase psychologique de prise de conscience et d’expression des valeurs personnelles, proches de l’expression des intérêts et des besoins); – une période d’expression sociale où l’individu conçoit son activité professionnelle comme un moyen de se faire reconnaître socialement ou d’agir sur la collectivité (période faite à la fois d’adhésion et de contestation des valeurs du milieu); – une période d’expression personnelle où l’activité professionnelle est située par rapport à des objectifs de réalisation personnelle (équilibre constitué sur des principes de « sagesse» dans laquelle les valeurs sont en quelque sorte « rationnalisées ». Loin d’être contradictoires, les approches disciplinaires évoquées ci-dessus pourraient correspondre à trois formes d’expression des valeurs par rapport au travail et à l’activité professionnelle dans la vie de l’individu: les valeurs comme expression des besoins propres (approche psychologique) ; les valeurs comme expression des influences culturelles (approche historique et sociologique); les valeurs comme système rationnel et sagesse (approche philosophique). Ces formes d’expression se succèdent-elles dans la vie de chaque individu où représentent-elles des formes d’expression simultanées, génératrices, le cas échéant, de conflits de valeurs? On peut admettre que chaque individu en raison de ses caractéristiques personnelles, de ses appartenances culturelles, sociales, professionnelles a une manière bien spécifique d’intégrer ces trois dimensions. En bref, quelles soient d’origine <<interne» (objets préférés ou buts désirés parce qu’ils sont valorisés comme moyen d’expression de soi) ou d’origine « externe» (objets valorisés en raison d’influences sociales), les valeurs sont des éléments susceptibles d’orienter les conduites de décision et de susciter des motivations vers des réalisations en conformité avec ses décisions. Ne faut-il pas disposer d’un patrimoine pour avoir des valeurs à défendre? À partir d’une enquête menée entre 1965 et 1983 auprès d’une cohorte d’étudiants finlandais, Hayrynen, Yrjo-Paavo, 1991, a souligné la nature sociale de l’orientation professionnelle dans l’expression des valeurs et des intérêts des jeunes. Des déterminants sociaux pèsent sur le choix des professions créatives ou influentes, encore marqué par des facteurs tels que le « capital culturel familial». Ce qui constitue un défi pour la psychologie du conseil en orientation. C. Taylor a noté que les valeurs qui sous-tendent un mode de vie ne sont que très rarement ouvertes à une « remise en cause radicale». Elles font intimement partie de l’identité personnelle, en même temps qu’elles situent un individu dans une culture, J. Bruner, 1991. les systèmes de valeurs sont des repères normatifs à partir desquels les sujets s’orientent et déterminent leur conduite. « Savoir qui on est, c’est pouvoir s’orienter dans l’espace moral à l’intérieur duquel se posent les questions sur ce qui à ses yeux a du sens, sur ce qui est bien ou mal, ou ce qui est futile ou secondaire. Cela implique que la personne s’interroge sur les valeurs guidant ses choix. L’idée d’accomplissement de soi dans l’activité conduit le sujet à s’interroger sur ses valeurs et ses intérêts», C. Taylor, 1998. Représentatives des traits personnels, les valeurs influencent les choix et déterminent le mode de traitement de l’information. Elles sont déterminantes dans la compréhension des parcours, R. Verquerre, G. Masclef, A. Durand, 1999. Selon l’enquête mondiale d’Inglehart, interprétée par R. Boudon, 2002, « l’accélération du changement social» n’a provoqué ni « déclin de la morale», ni « déclin des valeurs» ; il y a continuité entre la société moderne et notre société actuelle post-moderne et donc transmission des valeurs entre générations. « le concept de valeur, plus que tout autre concept, devait occuper une position centrale… dans la mesure où il est susceptible d’unifier des intérêts apparemment divers de toutes les sciences concernées par le comportement humain», Rokeach Milton (1918-1988).
~ Adolescence; Éthique; Identité; Intérêt; Normativité; Parcours de vie; Sagesse; Sens de la vie;