In Educavox – le 19 juin 2013 :
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On peut souhaiter une Refondation qui soit (ou qui sera) un processus de résignation salvatrice. Ou comme un déplacement de centre de gravité. L’état se dépossèdera enfin de l’École au profit des établissements. Ce processus indispensable a été annoncé il y a assez longtemps déjà par un certain Lionel Jospin. Celui-ci voulait mettre l’élève au centre du système éducatif, et il avait instauré le Projet d’école (1989). Les deux allaient de pair.
L’élève, en effet, ne peut pas être au centre du système éducatif sans que l’établissement soit conçu comme le lieu où tout se décide et où tout se passe. À savoir que l’équipe éducative, réunie autour d’un chef, définit le programme d’apprentissage le mieux adapté à l’élève, en fonction de ses goûts personnels et de ses capacités, et adopte dans chaque cas un protocole qui inclut à la fois des acteurs (qui ne seront pas toujours nécessairement des professeurs, mais aussi bien des spécialistes appelés de l’extérieur, des étudiants, des bénévoles) et des outils et des méthodes appropriés. Après quoi la même équipe réalise ce programme, puis évalue son efficacité et juge s’il convient de le remplacer, de l’améliorer, de le poursuivre.
Le mot d’ordre qui engage à "mettre l’élève au centre du système éducatif" résonne comme une profession de foi humaniste. Mais il présente en même temps une implication hautement pragmatique, puisqu’il revient à ramener l’éducation à une question d’ingénierie locale.
Une fois placé au centre du système, l’élève n’est plus une abstraction. Il est regardé comme un sujet humain, toujours différent, dont l’enseignement est confié, ici et maintenant, à une équipe. Celle-ci, quand elle opère en France, le fait dans des lieux sains et confortables, heureusement protégés, dont l’équipement technologique s’est considérablement enrichi depuis l’époque où Lionel Jospin était ministre, davantage sans doute qu’il ne l’avait fait depuis l’invention de l’imprimerie.
Promouvoir l’élève à cette place (ou à ce rang) revient à adresser aux équipes le message selon lequel elles peuvent et doivent se sentir pleinement responsables (et comptables) de l’enseignement qu’elles dispensent, et donc de la pédagogie particulière qu’elles choisissent de mettre en œuvre, en fonction des aptitudes et des goûts de l’élève, et en fonction des matériels dont elles disposent et des méthodes induites par leur fonctionnement.
L’enseignement collectif et frontal était ce qui pouvait se faire de mieux avec de la craie et un tableau d’ardoise. La publication des manuels scolaires était coûteuse. Elle n’était réalisable que par de puissants éditeurs, bénéficiaires du marché public, qui concevaient (et conçoivent encore) leurs ouvrages en réponse aux décisions de la Commission des programmes, et qui les réalisent grâce au concours d’une élite de la profession.
Le mot d’ordre de Lionel Jospin venait trop tôt. Il intervenait à un moment où, avant de s’occuper de l’élève et avant de songer à opérer dans une équipe, l’enseignant devait se souvenir qu’il était un fonctionnaire d’état, dont la mission consistait à ne rien négliger des questions figurant au programme et qui, pour réaliser cette tâche, devait s’appuyer sur des livres qui les traitaient dans un ordre progressif, selon des itinéraires étroitement balisés, où chaque élève était censé apprendre pour son propre compte, les lèvres serrées, du bout des yeux, en mobilisant l’attention d’un esprit sérieux, plutôt que de manière active et ludique, avec toute son âme et tout son corps.
L’essor des nouvelles technologiques fait aujourd’hui de la recherche pédagogique l’affaire de tous. Non pas qu’il faille s’attendre à ce que chaque enseignant devienne l’ingénieur de ses propres outils, comme on l’affirme quelquefois, un peu à la légère, ni même que chacun choisisse les siens au gré de son humeur. Rien ne serait plus dommageable qu’une telle anarchie. Mais parce que des "machines à apprendre", de formes diverses, bidouillées au plus près du terrain, peuvent enfin proliférer, s’échanger, circuler, et que les équipes choisiront entre elles en fonction de l’efficacité qu’elles constateront dans la pratique, sans autre souci que le bénéfice de l’enfant, ce qui permettra de les améliorer sans cesse.
L’essor des technologies numériques va de pair avec une démocratisation du système éducatif. Il la rend possible en même temps que nécessaire. Il la provoque comme aucune volonté politique ne l’avait fait jusque là.