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Suite à la concertation actuelle sur l’école, François Hollande, lors de son discours à la Sorbonne (09/10/2012), a rétabli la formation des personnels de l’éducation : "Les écoles du professorat et de l’éducation ouvriront à la rentrée 2013".
Il envisage même de les regrouper dans une même école, liée à l’université : « Les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) doivent être des composantes de l’université, ce qui implique un nécessaire équilibre entre cadrage national et autonomie ».
Le Président de la République « imagine » même une "professionnalisation à la fois dans les contenus et dans les modalités". Il se situe ainsi en droite ligne de la concertation sur la Refondation de l’école : « La formation initiale des enseignants doit marcher sur ses deux jambes : académique et pédagogique. Sa vocation professionnalisante doit être affirmée. La formation des personnels doit en outre être pensée comme un processus continu tout au long de la carrière, de la formation initiale intégrant le concours à la formation continue, en passant par l’accompagnement dans l’entrée progressive dans le métier. »
Tout reste à mettre en place
Au delà des discours et des textes rassurants qui vont bien de l’avant, tout reste cependant encore à faire… Rien n’a été encore entrepris sérieusement pour tirer partie des réussites et des échecs des anciens IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) que ce soit sur les plans de la formation, de l’organisation ou de leur gouvernance. Ce qui avait été envisagé à leur création par la Loi Jospin (1989) comme une chance, le regroupement de personnels à statuts différents dans un même établissement -professeurs d’université, inspecteurs, conseillers pédagogiques, enseignants détachés /primaire, secondaire et professionnel-, s’est révélé calamiteux à l’usage.
Va-t-on recommencer de la sorte dans les futures écoles de formation ? Déjà lors des débats de la concertation, on a commencé à s’étriper sur le statut de ces écoles aux dépends d’une réflexion sur le contenu de la formation et sur ses modalités !
Rattacher ces écoles aux universités peut être une « bonne piste ».
Toutefois ces dernières, toujours enfermées dans leurs territoires académiques, n’ont pas la culture pour inventer des systèmes innovants de formation qui tissent savoirs disciplinaires et savoirs pédagogiques, encore moins savoirs professionnels[1]. Les personnels qui prennent en charge ce type de cursus de fait se trouvent immédiatement dévalorisés par rapport à ceux qui se consacrent exclusivement à la recherche.
De plus, ces institutions n’ont aucune expérience de l’enseignement primaire ou secondaire. Leur veille éducative, sauf exceptions, est aux « abonnés absents » ! Et la transmission frontale qu’elles professent de façon dominante ne constitue pas un « bon » modèle pour de futurs enseignants. Quant à envisager les savoirs de façon transversale, fort peu d’universités le pratiquent, toujours pour des questions institutionnelles. Pourtant toutes les réflexions contemporaines sur l’éducation mettent l’accent sur ces compétences transversales (compétences en matière de savoir questionner, d’imaginer, de changer, d’argumenter, de communiquer, d’anticiper, de négocier, d’apprendre, d’entreprendre,..) plutôt que sur l’accumulation de savoirs rapidement obsolètes.
Une réflexion à partager sur le métier
Actuellement, la carence la plus grande est une réflexion partagée dans la société –syndicats d’enseignants et de parents d’élèves y compris- sur ce que devient le métier d’enseignants… Toutes les professions évoluent, pourquoi celle de professeur resterait-elle figée, dans un contexte qui change profondément ?
Un professeur, y compris du secondaire, n’est plus en priorité un spécialiste d’un savoir, c’est d’abord un professionnel de l’apprendre. Le métier ne peut plus se limiter à « transmettre » au travers d’une suite de cours, à une classe, à heure hebdomadaire fixe ! De nos jours, les accès aux savoirs sont innombrables et s’il reste quelque chose à transmettre, c’est une passion pour le savoir, pour apprendre à apprendre.
Dans son quotidien, l’enseignant sera « metteur en savoir » pour des ateliers ou des séminaires de 15 élèves. A partir d’un environnement didactique qu’il aura conçu, il mettra à disposition des outils et des ressources pour interpeller les apprenants ; il les encadrera pour clarifier une situation, poser un problème ou trouver des solutions. Il sera consultant pour 50 élèves afin de répondre tour à tour à leurs questions dans le cadre d’un travail autonome. Il deviendra conférencier pour des centaines ou des milliers d’élèves parce que son cours est numérisé et mis à disposition. Il sera encore remédiateur pour accompagner quelques élèves en grande difficulté, seul ou en petits groupes. Capable de repérer leurs obstacles, il leur permettra de les dépasser ; etc. Bien sûr, il se doit de rester un ancrage, voire (re)devenir une personnalité.
Ainsi un professionnel de l’apprendre bien formé doit maîtriser non seulement la (ou les) matières à enseigner, mais tout ce qu’il faut savoir pour interagir avec efficacité avec des enfants et des adolescents. Il sait mettre en perspective chaque savoir pour lui donner du sens. Il sait décoder la situation d’apprentissage et ses contraintes, et notamment l’image de l’école, de l’apprendre pour les élèves. Il ne reste toutefois pas enfermé dans une discipline, il sait croiser les approches ou s’engager dans des démarches transversales, tout en se tenant au courant de l’actualité.
Notamment, il possède des outils pour comprendre les conceptions des apprenants, pour préciser les objectifs éducatifs et formuler un niveau d’exigence. Il maîtrise de multiples ressources didactiques et connaît leurs ressorts respectifs en fonction des obstacles de la pensée (précoces et jeunes en échec y compris). Il sait notamment diagnostiquer les problèmes, mettre en place des prises en charge différenciées, individualiser des parcours de formation, apprendre à apprendre, organiser un environnement éducatif… Il a donc acquis des bases de didactique, mais également d’épistémologie, d’histoire des idées, de psychologie, d’anthropologie, de sociologie et d’analyse institutionnelle.
De plus, il sait susciter le désir… d’apprendre et le goût de l’effort ; ce qui implique de savoir faire des détours pour raccrocher les décrocheurs. Il sait poser son autorité, organiser le travail de la classe, travailler en équipe, inscrire son action dans un cadre institué. Il a encore fait du théâtre, il sait placer sa voix, il est bien dans son corps et a de la présence, il n’a pas peur de dialoguer avec les familles et sa hiérarchie. Par dessus tout, il est curieux et avide de comprendre en permanence le monde, la société et les habitudes des quartiers s’il n’y vit pas. Enfin il a « travaillé » sa personnalité, parce que l’enseignant est avant tout une « personne » et un repère. Etc[2]…
Un métier complexe
L’accroissement des savoirs et la complexification du métier incite tous les systèmes scolaires à allonger et renforcer la formation des professeurs. Les pays les plus avancés (Finlande, Norvège, Québec, Suisse, Suède,..) forment leurs enseignants dans un parcours d’études combinant en parallèle théories et pratiques durant 4, 5 voire 6 années. Ce n’est pas par des masters disciplinaires qu’on préparera valablement à ce métier. L’institution universitaire risque même d’en dégoûter nombre d’entre eux sans leur donner les outils et les ressources indispensables.
Des cellules ah doc dans chaque université sont donc à imaginer en dehors des territoires habituels que sont les Département de Sciences de l’éducation ou des Didactiques, souvent enfermés dans une logique de territoire et sur la seule théorisation à cent lieux de la classe.
Au préalable, quelques questions clef méritent d’être travaillées au sein de ces cellules de conception et de mise en place :
– quels savoirs et quelles compétences spécifiques chaque département de l’université peut-il mobiliser pour contribuer au métier d’enseignants, en formation initiale et continue ?
– Quels autres cursus, en parallèle aux cursus académiques, sont à créer pour prendre en compte et développer les compétences spécifiques au métier ?
– Quelles précautions prendre pour éviter que le pilotage de l’université n’entraîne un retour à des formes archaïques de transmission des savoirs, voire aux seuls savoirs disciplinaires ? Comment transformer les savoirs pour la recherche en savoirs pour l’éducation ? Quelles autres dimensions introduire ?
– Comment mettre en place une liaison forte entre savoirs théoriques et savoirs pratiques[3] ? Quelles interfaces imaginer pour une mise en réseau des personnes qui assurent l’accueil et l’accompagnement des professionnels en formation ?
– Quelle évaluation et quel pilotage mettre en place pour réguler la qualité de la formation confiée à l’université ?
Les formations des cadres éducatifs (directeurs, proviseurs, personnels de Rectorat et ce qui remplacera les inspecteurs) si elles sont confiées également à ces Ecoles demandent aussi une réflexion spécifique. Elles ne peuvent continuer de la sorte[4]. Les fonctions elles-mêmes demandent d’ailleurs à être revues en profondeur.
Ne pas investir dans une formation de qualité est pour un pays un drame économique dont la nation paiera les frais dans 20 ou 30 ans. D’ici là, nos dirigeants seront à la retraite !
André Giordan et Jérôme Saltet
[1] Nombre de tentatives universitaires de ce style en Suisse, Espagne, Italie, Canada, Australie ont donné des résultats désastreux dont il serait utile de tirer partie.
[2] Pour plus de détails : A. Giordan, Une autre école pour nos enfants ? Delagrave, 2002, J. Saltet, A. Giordan, Changer le collège, Oh ! Editions, 2010.
[3] Le compagnonnage par des enseignants-formateur, s’il a le mérite d’enraciner la formation dans la pratique, demande quelques régulations préalables : créer une expérience du compagnonnage dans un milieu encore individualiste, savoir faire le lien avec la théorie et l’académique, apprendre à conseiller un adulte,… Il nécessiterait de former les « compagnons », or rien n’est prévu à ce niveau, contrairement aux footballeurs qui deviennent entraîneurs !
[4] Elle sera traitée ultérieurement dans une autre chronique.