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Dans le rapport de la concertation remis au ministre le 9 octobre, le premier chapitre « Pourquoi refonder l’école ? » comprend un paragraphe remarquable, sous le titre « Une école qui peine à entrer dans le 21ème siècle », qui justifie à lui seul l’exigence d’une refondation.
On y retrouve des constats et des pistes souvent évoquées sur Educavox. On peut lire pages 19 et suivantes des phrases fortes qui devraient bousculer sérieusement nos schémas et nos certitudes. En voici quelques bribes :
La refondation doit aussi penser l’Ecole dans une vision prospective. La situation sociale, économique, technologique de notre pays évolue et va évoluer plus rapidement encore dans les décennies à venir. L’Ecole doit donc se transformer en lien avec ces mutations actuelles et aussi futures ;
Depuis deux décennies, ce sont d’abord l’enfant, l’adolescent, le jeune et leur contexte de vie qui ont fortement changé, dessinant de nouvelles opportunités…
Plus généralement, on observe des changements majeurs dans la culture juvénile que l’Ecole peine à analyser. Au respect des normes édictées par les adultes se substitue un modèle de transmission moins vertical…
On voit bien pourtant tout le profit que l’institution scolaire pourrait tire à s’appuyer sur les nouvelles pratiques des jeunes notamment en termes de capacités de communication entre pairs, de fabrication de solidarités horizontales et donc de collaboration, de maîtrise des nouvelles technologies.
La concertation appelle l’ensemble des acteurs à une réflexion profonde pour mettre l’Ecole en accord, en harmonie, avec les mutations de fond qui touchent notre société.
Le troisième chapitre « Vers l’école du futur » consacre une page et demie, pas plus, au « numérique, une priorité pour la réussite ». On y relève aussi des phrases fortes et justes :
· Parce que notre monde vit une mutation de nature à ce qui s’est passé avec l’imprimerie, parce que toute la société, les sciences ; la vie quotidienne et économiques ont aujourd’hui conditionnées par ces bouleversements, l’Ecole doit aujourd’hui pleinement entrer dans l’ère du numérique
· Tous les domaines de l’éducation sont concernés…
Tout ceci est de nature à rassurer les progressistes qui pensent que, comme l’avait fait Freinet avec l’imprimerie à l’école, les pédagogues d’aujourd’hui n’ont pas le droit d’ignorer la mutation profonde en marche et de prendre le risque d’une explosion ou de la disparition de l’école. Mais ils n’ont pas le droit non plus de ne l’utiliser que pour l’administration, la gestion, la communication externe ou de se limiter à l’utiliser pour moderniser les apparences sans changer le fond.
Or les propositions qui suivent les constats et analyses sont à l’évidence d’une grande faiblesse par rapport aux enjeux :
Apprendre le numérique avec une loi et un plan « numérique au primaire »
Former au numérique avec des propositions pour la formation des enseignants
Encourager l’autonomie et la créativité des enseignants dans la production de ressources
Mettre en place une politique de recherche
Démocratiser le numérique avec une carte d’aménagement territorial numérique
On cherche en vain la cohérence des premières propositions avec l’exigence d’une vision saine du présent et d’une vision prospective ambitieuse. On sent bien que les auteurs du rapport dans ce domaine se sont retenus pour être en harmonie avec les autres groupes, pour ne pas effaroucher les conservateurs, pour ne pas paraître trop audacieux.
On cherche en vain la réflexion sur la mise en cause des modèles pédagogiques persistants, par exemple le modèle de la transmission magistrale avec exercices d’application, exercices de contrôle (à ne pas confondre avec l’évaluation), exercices de remédiation (essentiellement de nouveaux exercices d’application avec de nouvelles explications magistrales), re-contrôle, révisions, etc… C’est le modèle pédagogique dominant que certains continuent, envers et contre tout, de considérer comme étant éternel, universel, incontestable.. même quand la majorité des élèves le rejette, qui reste en filigrane dans les propositions
On cherche en vain la prise en compte des savoirs, des compétences, des représentations initiales des élèves, alors qu’à l’évidence, ils savent utiliser les machines et communiquer sans avoir appris à l’école, ils ont accès à des quantités de savoirs hors l’école qui permettent des gags de plus en plus fréquents d’élèves qui contestent les affirmations des professeurs en se référant à ce qu’ils ont pu voir sur Internet.
Osera-t-on dire que c’est la notion même de cours qui va voler en éclats (une heure, une discipline, une classe, un prof), que le professeur posera un problème, ouvrira un dossier, demandera aux élèves de rechercher, de réfléchir, de formuler des hypothèses à partir de ses représentations et de ses savoirs, puis travaillera sur ces apports, en construisant des outils mentaux, en permettant la pensée divergente, en favorisant la construction des savoirs par une démarche active personnelle ?
Osera-t-on dire que la notion de classe et celle de discipline scolaire antique voleront aussi en éclats au profit de travail en groupes, de transversalité, de globalité, de priorité à l’intelligence plutôt qu’à la sédimentation provisoire de savoirs impossible à réinvestir, de changement des missions des profs ?
Osera-t-on dire que cette école du futur sera nécessairement ouverte à d’autres publics, que les échanges réciproques de savoirs et les activités intergénérationnelles dans des établissements transformés en maisons des savoirs et de l’éducation tout au long de la vie, comme le propose la Ligue de l’Enseignement, contribueront aussi à la réussite scolaire ?
Et si l’on n’ose pas, pourra-t-on vraiment parler de refondation ?
Pierre Frackowiak