In Centre Alain Savary – IFE – 9 avril 2014 :
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« Une école inclusive pour les élèves allophones nouvellement arrivés et les élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs », mercredi 9 avril 2014 au Centre national des arts et métiers (CNAM) à Paris, un séminaire national a été organisé par la DGESCO sous la responsabilité de Madame Ouanas sous directrice du socle commun, de la personnalisation des parcours scolaires et de l’orientation, de Madame Mzali chef du bureau des écoles, Madame Djilali et Monsieur Sebisch chargés d’études sur ce dossier. Marie-Odile Maire Sandoz, chargée d’étude au centre Alain Savary, Institut français de l’éducation (IFÉ) – ENS-Lyon était invitée à intervenir sur les enjeux et les démarches pour l’accueil et la scolarisation des publics scolaire EANA et EFIV.
Résumé
Après avoir situé son propos dans la logique de son activité professionnelle à l’interface entre recherche, formation et pratique, Marie-Odile Maire Sandoz pose la complexité de la diversité des situations scolaires non réductibles à des typologies d’élèves pour lesquelles il y aurait des réponses calibrées. Elle rappelle que l’École est aussi constituée d’une communauté d’enfants, de jeunes et d’adultes qui apprend à accueillir et à reconnaître à chacun une place. Puis l’intervenante aborde en trois points ce qui est ou pourraient être les leviers de d’actions : l’accueil de l’élève et des ses parents, l’entrée dans la forme scolaire, les apprentissages linguistiques des EANA et des EFIV. Il s’avère que très souvent les problématiques rencontrées par l’accueil et la scolarisation de ces élèves rejoignent celles de l’ensemble de la communauté scolaire ou pour le moins croisent fortement celles des élèves dont on dit que la culture familiale est éloignée de celle de l’école. Pour finir, la formation est convoquée dans une démarche construite à partir des « problèmes de travail » que rencontrent les enseignants dans leur classe ordinaire.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il me semble utile de préciser que mes propos sont amarrés à mes expériences professionnelles nourries des savoirs de la recherche en sciences du langage et en science de l’éducation.
Actuellement je suis chargée d’étude à l’Institut français de l’Éducation et directement responsable, des thématiques : « Relations École-Famille » et « Enjeux de la prise en compte de la diversité langagière à l’école ». Sur ce dernier sujet, j’appartiens à une groupe de recherche en sociolinguistique et didactique du plurilinguisme, au laboratoire LIDILEM de l’université Grenoble Alpes qui dialogue avec l’équipe d’ethnopsychiatrie de Marie-Rose Moro qui n’est plus à présenter dans cette assemblée.
Cette énumération pour indiquer les sources plurielles de l’intervention qui se situent à la croisée des savoirs de recherche et d’expérience, d’enseignement et de formation dans des contextes sociaux et scolaires variés. Ce positionnement d’interface permet peut-être de « dépasser certaines croyances : celle que la science, seule, saurait prescrire au terrain ce qui lui manque, ou que l’autonomie des établissements serait la réponse magique aux problèmes d’apprentissage des élèves » ainsi le formule Patrick Picard, responsable du centre Alain Savary.
De qui parlons –nous ?
D’enfants ou de jeunes « allophones », monolingues ou plurilingues, scolarisés en école maternelle, primaire, au collège et en lycée général ou professionnel, d’enfants ou de jeunes de familles itinérantes.
Nous parlons d’élèves nouveaux dans le système scolaire français qui connaissent une rupture dans leur scolarité du fait de leur parcours de migration. Il s’agit aussi pour eux de ruptures culturelle, linguistique, familiale qui nécessitent de nouvelles reconfigurations : à l’intérieur de la famille même du fait des changements de contextes et à l’extérieur. De nouvelles affiliations avec des pairs et avec les institutions, scolaire en ce qui nous concerne.
Parfois ce sont des enfants ou des jeunes en situation d’immigration investie ou subie car c’est le choix de leurs parents auquel ils adhèrent ou pas. Comme tous les parents d’élèves, ces parents souhaitent que leurs enfants réussissent à l’école et fondent leurs espoirs de réussite de leur mobilité à l’aune de la réussite scolaire de leurs enfants.
Parfois, ce sont des enfants nés en France turcophones, par exemple, avec une vitalité de la langue dans les pratiques langagières familiales, se présentant à l’école maternelle en situation de monolinguisme et pour lesquels il s’agit avec eux de construire leur bilinguisme.
Parfois, ce sont des enfants ou des jeunes dont les parents (ou l’un des parents) ont une histoire migratoire et une histoire scolaire singulière non partagée avec d’autres parents d’élèves. La relation à l’école ne va pas de soi. Les valeurs de respect et de confiance ne s’expriment pas de la même manière et sont sources de malentendus entre les familles et l’école. (Ne pas questionner l’enseignant qui serait la marque d’un manque de confiance).
Parfois, ce sont des enfants et des jeunes dont les parents n’ont pas suivi de scolarité ici ou ailleurs comme ce petit Serge rencontré il y a peu dans une classe de CP. enfant de famille de voyageurs récemment sédentarisée il est en situation de première scolarisation. Serge n’a pas connu l’école maternelle, à quelles conditions peut-il réussir son CP ?
Parfois ce sont aussi ces enfants et ces jeunes, résilients ou excellents élèves, là-bas et ici, avant et maintenant, incarnant l’élève nouvel arrivant idéal qui en 3-6 mois rejoint la communauté d’apprentissage. Ces élèves sont souvent montrés en exemple comme une preuve que notre système permet de s’affilier sans problème à notre institution scolaire. Les difficultés d’autres qui peinent sont alors attribuées à des phénomènes extérieurs à l’école.
Cet inventaire serait sans fin tant les situations personnelles, familiales, géographiques, économiques et politiques sont singulières. Il s’agit justement de poser cette complexité de la diversité des situations non réductibles à des typologies d’élèves pour lesquelles il y aurait des réponses calibrées.
Finalement de qui parlons-nous ? Nous parlons d’élèves comme d’autres, aussi divers, aussi hétérogènes que les autres, dont certains peuvent concentrer plusieurs obstacles pour leur entrée dans les apprentissages scolaires.
Nous parlons de « nous », institution scolaire, avec ce choix fondamental de refuser la marginalisation et de situer les élèves nouvellement arrivés et les enfants issus de familles itinérantes ou de voyageurs dans la cohérence d’ensemble de l’école. « Ce sont des publics qui demandent plus, qui demandent autrement, mais qu’il ne s’agit pas d’isoler ». (Coste 2010)[1].
De quoi parlons-nous ?
La loi pour la refondation de l’École de la République réaffirme le principe d’une École inclusive. Il revient donc à l’École de créer les conditions d’inclusion des nouveaux arrivants. La réussite de ces élèves demande des dispositifs de scolarisation et des pratiques pédagogiques adaptées. L’École, c’est aussi une communauté d’enfants, de jeunes et d’adultes qui apprend à accueillir et à reconnaître à chacun une place.
Et puis, si l’école est une chance pour tous, dont les enfants et les jeunes étrangers nouvellement arrivés sur les territoires français, c’est une chance pour l’école française d’accueillir ces enfants et ces jeunes. Dans un contexte de mondialisation et de mobilité géographique, de nouveaux défis se posent dans les domaines de l’éducation où les citoyens sont voués à agir collectivement avec des personnes venues d’horizons différents. Les enjeux sont multiples pour l’ensemble des élèves et des acteurs éducatifs. La mixité linguistique et culturelle d’un établissement scolaire est un atout supplémentaire de formation pour l’ensemble des membres de la communauté.
J’aborderai en trois points ce qui est ou pourraient être les leviers de nos actions : l’accueil, l’entrée dans la forme scolaire, les apprentissages linguistiques.
L’accueil
La première rencontre des enfants et de leurs parents avec l’institution scolaire est fondatrice de la relation de la famille avec la scolarité en France de l’élève. Si l’École, dans un souci d’efficacité, cherche d’emblée à poser un diagnostic des connaissances et des compétences scolaires dans le but de « positionner » l’élève dans un établissement et dans une classe, il semble également indispensable, simultanément, de prendre le temps de l’accueil qui a pour finalité de construire une relation pérenne. En effet, le premier contact avec l’institution scolaire conditionne la constitution d’un capital de confiance pour les parents et d’estime de soi pour l’élève. Avec un tel objectif, il est difficile d’envisager de mettre les parents dans une situation de non expression et de compréhension approximative. Oserai-je dire que dans bien des situations un interprète a pleinement sa place.
Un des enjeux, est « notre regard » porté sur ces parents. Les manières d’être parents il y en a autant que l’on puisse imaginer. Nous sommes souvent tentés de penser ou de laisser entendre que certaines seraient meilleures que d’autres. Il est difficile de faire vivre l’idée qu’il y a des manières de faire et d’être avec ses enfants, inscrites dans une culture ancestrale, qu’on ne peut imaginer changer en imposant de nouvelles normes (Moro, 2013)[2].
Concrètement, comme pour tous les élèves et les parents d’élèves, il s’agit d’engager une relation à « parité d’estime » avec une reconnaissance de leur légitimité. Sur le long terme, ils sont les garants de la continuité du parcours scolaire de leur enfant. La famille et l’école sont deux institutions interdépendantes et l’enfant/le jeune, seul, n’est pas toujours en capacité d’en décoder les complexités pour établir des liens, d’autant quand la culture scolaire est éloignée de la culture familiale (immigrés ou pas). Il est donc nécessaire que les adultes dialoguent et se comprennent pour, l’étayer dans la construction de ses apprentissages et, l’aider à trouver sa place en tant qu’élève et futur citoyen. Pour l’élève, il s’agit de le rassurer, autant que faire se peut, et de l’accompagner dans un parcours scolaire en total transformation conditionné à l’apprentissage d’une nouvelle langue de scolarisation et de socialisation scolaire. Il s’agit aussi de considérer que le rapport au savoir est différent voire en opposition : pour reprendre l’exemple de Marie-Rose Moro « un enfant peut se retrouver dans la situation d’ apprendre à son corps défendant qu’à la maison il ne doit pas poser de question au risque de paraître stupide alors qu’à l’école il doit générer une curiosité sous forme de questions à poser, comme marque d’intelligence. »
Autrement dit selon quelles modalités notre école est en capacité d’accompagner chaque élève et ses parents à s’engager dans son processus d’acculturation scolaire.
L’entrée dans la forme scolaire
Patrick Rayou (2014)[3] présente les composantes interdépendantes de la forme scolaire, en précisant que pour tous les enfants quelle que soit leur origine, les normes de l’école et celles de la famille ne se recouvrent pas, parce que l’école a des fonctions sociales spécifiques :
- A l’école on apprend, c’est ce qui relève de la cognition.
- A l’école il y a des pratiques culturelles et des transmissions culturelles
- A l’école il faut construire un certain type de comportement pour « être un sujet qui s’engage dans la tâche scolaire ». Pour ce faire, il est difficile d’être dans une école où vous êtes à part, où vous n’êtes rien. Il y a donc nécessité de développer une « identités positive ».
Accompagner et soutenir les élèves en fonction de ces registres c’est les accompagner sur un chemin qui indique que l’école, les apprentissages, la réussite scolaire c’est aussi pour eux.
Lorsque le chercheur tient ses propos, il ne s’adresse pas aux enseignants scolarisant des EANA et des EFIV mais à tous les professionnels éducatifs qui ont pour mission d’engager les élèves dans les apprentissages scolaires. Il insiste sur l’action conjointe de ces différents domaines au risque de ne pas réussir à traiter les difficultés.
Ces propos me semble-t-il rentrent tout à fait en résonnance avec ceux qui nous occupent aujourd’hui. Il ne s’agit pas de préparer l’élève à être scolarisé mais bien de le scolariser et de l’accompagner dans la transition d’un monde à un autre, comme des passeurs, qu’il s’agisse pour le tout petit enfant turc ou Serge qui découvre l’école en entrant au CP, du monde de la famille vers celui de l’école, pour les plus grands celui d’une culture scolaire vers une autre. En 2013 une formation de formateurs conçue, organisée et animée par le centre Alain Savary et le laboratoire de recherche ICAR, IFÉ ENS-Lyon, a réuni une table ronde avec des professionnels exerçant à l’école internationale de Manosque et d’autres en ECLAIR dans le quartier de la Duchère à Lyon. Cela a permis de cerner les invariants d’accueil et de scolarisation liés aux publics plurilingues nouveaux arrivants et les variations d’accueil et de scolarisation d’un public favorisé et un public défavorisé. Il est ressorti de manière tangible que l’objectif premier pour les élèves en milieu favorisé est de limiter autant que faire se peut les ruptures d’apprentissages dans les disciplines scolaires alors que pour les élèves en milieu défavorisé la démarche induit d’abord l’apprentissage de la langue français comme condition nécessaire avant de poursuivre les apprentissages.
Pour reprendre une fois encore des questions traitées par Patrick Rayou, il s’agit, avec ces élèves aussi, de travailler à partir de « malentendus », qu’ils soient d’ordre cognitif, culturel ou identitaire dans le contexte de la classe ordinaire comme dans des moments privilégiés d’explicitation, pour tenter de « lever » ces malentendus.
Il s’agit aussi « d’apprivoiser les passages à risque » de l’action ordinaire de l’enseignant ou des situations d’apprentissages des élèves. Un passage à risque[4]c’est quand on ne dispose pas en tant qu’enseignant des connaissances nécessaires pour infléchir la situation problématique et répondre aux préoccupations. Un exemple raconté par une enseignante de CLA d’une situation bien connue. Un enseignant d’histoire géographie se trouve démuni avec une copie d’élève en deuxième année de scolarisation en France. Un travail conjoint avec sa collègue de CLA lui a permis d’élaborer une grille de lecture pour identifier le travail produit par l’élève. Nous savons bien que la plupart du temps l’enseignant sera seul face à une copie qu’il ne saura pas interpréter et n’accorder aucune valeur (rappelons-nous « évaluer c’est donner de la valeur ») pour l’enseignant. De son côté l’élève a très certainement produit du travail, des efforts qui, non seulement ne sont pas reconnus mais sa confiance en lui sera fortement altérée par la réaction de l’enseignant. Le malentendu est patent.
Ainsi, outre ceux que rencontrent tout élève en difficulté à l’école, il pourrait être intéressant de travailler sur la « rupture » et les premiers temps d’accueil avec la famille, l’entrée en classe ordinaire (dès la rentrée scolaire), la compréhension du rapport au savoir et les manières d’apprendre d’avant vers celles de l’ici et maintenant, etc.
Il n’en reste pas moins que les langues ont un rôle crucial et sont à traiter simultanément selon plusieurs, registres.
Place et rôle des langues
Notre première préoccupation légitime et partagée entre tous, élèves, parents, enseignants, est l’apprentissage de la langue française. Le public de professionnels que vous êtes sait qu’il y a les langues pour communiquer et se socialiser, les langues pour apprendre. Les didactiques du français langue étrangère (FLE), du Français langue seconde (FLS) et du Français langue de scolarisation (FLSco) sont riches et abondantes mais non suffisantes.
Les didacticiens et pédagogues, à l’instar d’Elisabeth Bautier[5], savent qu’un enseignement explicite de pratiques langagières littératiées est nécessaire pour la construction des savoirs scolaires. Nous désignons par littératie scolaire, nous dit la chercheure, les exigences scolaires de raisonnement et de connaissances qui supposent une familiarité avec la fréquentation des situations d’écrits scolaires. Les mots du quotidien ne sont pas les mots du savoir. Si vous souhaitez approfondir. Je vous renvoie donc à ces travaux car je fais le choix de développer davantage ce troisième point.
En effet, il nous semble tout aussi fondamental de considérer l’ensemble des pratiques linguistiques au sein d’un établissement scolaire. En effet, l’accueil (ou non), les considérations portées aux langues, la mise en relation des langues en cours d’acquisition entre elles et avec celles « déjà là » des élèves, confèrent à l’institution scolaire un pouvoir déterminant sur l’orientation et la dynamique de construction des parcours scolaires et plus largement des biographies langagières des individus. Pour illustrer ce propos je me rapproche des travaux de Nathalie Thamin qui constate que, dès l’entrée à l’école maternelle, des enfants turcophones, allophones nés en France, sont accueillis dans l’espace scolaire comme ayant un problème de développement langagier et non dans la perspective de construction de leur bilinguisme. L’accueil dans la communauté scolaire, les processus d’enseignement et d’apprentissage ne seront absolument pas les mêmes si l’on appréhende la scolarisation de cet élève sous l’angle d’un déficit langagier ou celui de l’apprentissage d’une langue seconde partie prenante de la construction d’un bilinguisme. La chercheure remarque aussi que le conseil des enseignants aux parents de parler français à la maison est encore fort répandu. Or, nous savons que s’il est suivi, il peut troubler la transmission de la langue maternelle, primordiale au développement de l’enfant. Ce conseil induit aussi dans le giron familial des formes de concurrence et de hiérarchisation des langues ingérables pour un enfant.
La quasi absence de formation des enseignants sur les savoirs de recherche concernant le langage et les langues, mais aussi le plurilinguisme et les enjeux de la prise en compte de la diversité langagière à l’école, amènent les enseignants non avertis de classes ordinaires à pouvoir douter des capacités intellectuelles de certains de leurs élèves jusqu’à leur assigner, sinon des troubles d’ordre cognitif, pour le moins un esprit confus. En particulier, les pratiques d’alternance de langues sont souvent caractérisées de baragouin, charabia, bouillie, etc. alors que les linguistes ont mis au jour le caractère non aléatoire de ces pratiques et les ont formalisées en tant que «grammaire du choix des langues» (Lüdi & Py 1986)[6]. Par ailleurs, Luci Nussbaum (2008)[7], considère le plurilinguisme comme « un atout de départ », « un capital à exploiter ». Si telle est l’orientation prise, il s’avère que les processus de développement comportent des « phases d’hybridation » qu’il faut accepter comme phase de progression vers la langue cible, le français et donc d’éviter ces paroles de censure lorsqu’un mot étranger se glisse dans un énoncé « on parle français ici » ou « c’est pas du français »
Il s’agit donc d’interroger nos postures en tant qu’enseignant et la formation en tant que cadre. Cet exemple encore. Dans un collège, l’enseignante de classe d’accueil assurant un suivi de deuxième année d’élèves allophones tente de mettre en évidence le temps gagné pour les élèves à prendre connaissance de la complexité de faits historiques français, comme la Révolution de 1789, dans leur(s) langue(s) de première scolarisation, la finalité étant de revenir au manuel français avec une accessibilité au sens grandement améliorée. Cette option a été reçue par les élèves comme une proposition de transgression : « c’est tricher ». Ici les élèves imprégnés d’un modèle de substitution d’un monolinguisme pour un autre, s’autocensurent et se privent de compétences potentiellement aidantes dans l’acquisition d’un savoir en langue cible.
Enfin il reste le traitement réservé au capital langagier des élèves, sans cesse changeant, qui constitue leur biographie langagière. La biographie langagière d’une personne est l’ensemble des chemins linguistiques, plus ou moins longs et plus ou moins nombreux, qu’elle a parcourus et qui forment désormais son capital langagier ; elle est un être historique ayant traversé une ou plusieurs langues, maternelles ou étrangères, qui constituent un capital langagier sans cesse changeant. Ce sont, au total, les expériences linguistiques vécues et accumulées dans un ordre aléatoire, qui différencient chacun de chacun.
L’institution scolaire pourrait s’emparer de cette notion de biographie langagière comme d’un concept opérationnel pour :
- accueillir les langues de tous les élèves, les rendre visibles et ainsi les légitimer,
- rendre lisible l’usage et le devenir possible des langues « déjà-là » et celles apprises à l’école y compris la langue de scolarisation,
- que l’élève se saisisse de « ses » langues comme ressource dans la construction de connaissances,
- aborder les apprentissages dans une approche socioculturelle d’une communauté de pratiques hétérogènes.
En fin de compte, si l’école souhaitait inscrire les apprentissages linguistiques et les pratiques langagières, sans rejet d’aucune, dans une cohérence d’ensemble alors les élèves pourraient bénéficier d’un environnement propice à une mobilisation élargie de leur répertoire, légitimant de ce fait les formes différenciées d’accès aux savoirs et notamment aux savoirs scolaires. De qui parlons-nous alors ? des EANA et de EFIV ou de tous les élèves ?
Et la formation ?
Je termine en évoquant la formation. Je dirai que les objectifs à atteindre ne peuvent faire l’économie de la formation des enseignants dans le sens où nous l’entendons au centre Alain Savary lors de nos formations de formateurs. Mettre en œuvre les conditions d’une formation efficace, c’est avant tout considérer que les difficultés des élèves et celles des enseignants sont liées : c’est parce que les enseignants n’arrivent pas à faire apprendre et réussir leurs élèves que les enseignants se sentent démunis se demandent parfois s’ils ne sont pas condamnés à renoncer à leurs ambitions pour ces élèves. C’est donc nécessairement à partir de ces « problèmes de travail » ordinaires que doit se construire la formation. J’illustrerai ce propos emprunté à Patrick Picard d’une situation vécue de formation. J’étais invitée à intervenir sous forme d’une conférence sur « le bilinguisme en construction » dans une animation pédagogique départementale. A la fin de mon propos, tout au fond de la salle un enseignant s’est levé pour dire qu’il n’arrivait pas à faire apprendre du vocabulaire à sa classe composée de 80% d’élèves turcophones et mentionnait qu’il ne voyait pas en quoi le bilinguisme pouvait être un atout puisque justement c’est parce qu’ils parlent turcs que les élèves n’apprennent pas. Se cache derrière cette parole qui est à prendre tout à fait au sérieux, l’idée qu’il existerait quelque part une molécule que l’on aurait pas encore trouvée « comment enseigner le vocabulaire à des élèves turcs » sans laquelle rien n’est possible. Une pensée magique. Or, ce que nous savons, c’est que « l’enseignement du vocabulaire » pose question aux enseignants, qu’elle les préoccupe, pour les enfants d’origine étrangère ou pour les autres, sans qu’ils trouvent toujours le moyen de « mettre à leur main » les savoirs issus de la recherche pour construire des situations d’enseignement efficaces pour les élèves qui ont le plus besoin de l’école. C’est le sens des outils que nous concevons au centre Alain Savary, dans Neopass@ction ou dans Magistère, pour aider les formateurs à aider les enseignants.
Conclusion
Un véritable parcours scolaire inclusif devrait être proposé sachant que la réussite de ce parcours dépend de responsabilités individuelles et collectives. Cela signifie que l’élève bénéficie d’un accueil, au sens plein du terme, de l’institution et de la communauté scolaire composée d’adultes et pairs, d’un parcours d’enseignement et d’apprentissage non seulement de la langue française et de l’ensemble des disciplines mais aussi d’une acquisition des codes scolaires dans le but de s’acculturer à une communauté d’apprentissage, par l’appropriation de son « métier d’élève » : ce qu’il faut faire pour réussir l’école française.
[1] « L’éducation au plurilinguisme : un obstacle ou un atout pour la langue de scolarisation ? », XYZep, n° 37. En ligne.
[2] Les « Mercredis de Créteil » le 2 octobre 2013 conférence de Marie-Rose Moro « Les enfants de l’immigration : une chance pour l’école ». En ligne.
[3] « Difficultés des élèves, difficultés des enseignants en éducation prioritaire : quels leviers ? », intervention à la formation « Piloter en Education Prioritaire » organisé par le centre Alain-Savary. En ligne.
[4] Luc Ria et Patrick Rayou, Sociologie et ergonomie cognitive au miroir des situations éducatives : le cas de l’entrée dans le métier des enseignants du 2nd degré, revue Recherches et Educations, 2e semestre 2008. En ligne.
[5]Elisabeth Bautier (ESCOL- PARIS 8) : «Le rôle du langage pour passer des savoirs du quotidien à ceux de l’Ecole ». En ligne.
[6]LÜDI G., PY B. (1986, 4e éd. 2013), Être bilingue, Berne, Peter Lang.
[7]NUSSBAUM L. (2008), «Construire le plurilinguisme à l’école : de la recherche à l‘intervention et de l’intervention à la recherche », in CANDELIER et al. (dir.), Conscience du plurilinguisme. Pratiques, représentations et interventions, Rennes, PUR.