L’éducation en France, on en parle abondamment au moment de la rentrée scolaire chaque année, mais malheureusement beaucoup moins le reste du temps. Pire encore, cette année, le débat sur la mise en place des nouveaux rythmes scolaires a une nouvelle fois monopolisé l’attention, au détriment d’autres sujets autrement plus importants pour le redressement du système éducatif français.
Pourtant, en passant de quatre jours à quatre jours et demi d’école dans le primaire, la France ne fait que se mettre au diapason de ses voisins, où les cinq journées d’école sont la norme et où, rassurons les parents, on ne déplore jusqu’à présent aucune fatigue excessive chez les enfants. Dans les pays les plus performants dans les enquêtes internationales, le débat n’est pas focalisé sur le rôle des animateurs ou sur les activités périscolaires. Dans ces pays-là, on ne ferme pas les écoles en guise de protestation. Dans ces pays-là, toute la communauté éducative coopère pour recenser les bonnes pratiques liées aux rythmes scolaires et les appliquer dans la majorité des établissements.
Il est temps de faire de même en France, de prendre de la hauteur et d’admettre que les activités périscolaires auront peu, voire aucune influence sur les résultats obtenus par les élèves. La réussite de cette réforme passera uniquement par une meilleure utilisation du temps scolaire. Ainsi, il sera crucial de faire de ces nouveaux rythmes une utilisation « qualitative », par exemple en tirant profit de cette demi-journée supplémentaire pour changer les pratiques pédagogiques et, à terme, trouver une alternative au redoublement pour prendre en charge les élèves en difficulté.
Pour le moment, les enseignants français sont loin d’y parvenir. Ainsi, à titre d’exemple, selon l’enquête internationale de l’OCDE sur les enseignants au collège (Talis), ils sont bien moins nombreux que leurs collègues des autres pays à déclarer utiliser des pédagogies différenciées pour les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage et/ou qui apprennent plus vite (22 % en France, contre 44 % en moyenne dans les pays participant à Talis, et 63 % en Angleterre).
Rappelons aussi que la France, avant cette réforme, était dans une situation atypique en Europe et dans le monde, cumulant un nombre élevé d’heures d’instruction par an dans le primaire (864 heures contre 794 selon la moyenne de l’OCDE) réparties sur un petit nombre de semaines de cours (36 semaines par an, contre 38 en moyenne dans les pays de l’OCDE) et sur quatre jours par semaine (au lieu de cinq partout ailleurs). En d’autres termes, ce rythme engendrait des journées denses, des coupures de rythme tout au long de l’année et une véritable fatigue, notamment chez les élèves en difficulté.
Cette réforme met donc un terme à cette exception française. On ne peut que s’en féliciter, tout en reconnaissant clairement que les nouveaux rythmes à eux seuls ne règleront pas tous les maux de l’école française. Pour cela, il faut recentrer le débat et admettre que le système français a besoin d’une réforme beaucoup plus profonde que celle des rythmes scolaires, et fixer des objectifs clairs à atteindre rapidement. Soyons optimistes, des progrès rapides sont possibles. D’autres pays avant la France (l’Allemagne, l’Estonie, la Pologne ou le Portugal, pour ne citer que des pays de l’Union européenne) ont ainsi vu les premiers effets positifs de leurs reformes au bout d’à peine cinq ans.
Aujourd’hui, la réforme essentielle pour sauver le système français, c’est une réforme qui luttera contre l’échec scolaire croissant (selon l’enquête PISA, la proportion d’élèves de 15 ans en échec est passée de 15 % à 20 % en l’espace de dix ans), renforcera les chances de réussite des élèves issus des milieux défavorisés et, enfin, permettra aux 150 000 jeunes qui sortent chaque année de l’école sans qualification de trouver à travers l’éducation une deuxième chance pour sortir de la précarité et s’insérer sur le marché de l’emploi. Tout doit être mis en œuvre pour parvenir à cet objectif.
A cet égard, les rythmes scolaires apparaissent comme une réforme secondaire ; les priorités doivent se porter avant tout sur la mise en place de cinq grands chantiers qui, si vous lisez régulièrement ce blog, vous sont familiers.
Renforcer le volet pédagogique dans la formation initiale des enseignants
En France, la formation des enseignants est bien trop académique. Les enseignants s’estiment bien préparés au contenu de la matière qu’ils enseignent, mais près de 40 % d’entre eux se sentent insuffisamment préparés sur le volet pédagogique de leur métier, soit la proportion la plus élevée des 34 pays participant à l’enquête Talis. Cependant, avec la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) depuis 2013, la formation des enseignants a récemment évolué en France et les étudiants suivent maintenant une formation mêlant apprentissage des savoirs et maîtrise du savoir-faire. Il conviendra de faire un point régulier sur la mise en place de cette réforme qui, comme en Finlande dans les années 1970, peut aider le système français à se redresser.
Redonner toute sa place à la formation continue des enseignants
La qualité d’un système d’éducation n’excède jamais la qualité de ses enseignants. En général, les pays dont le système d’éducation est performant accordent autant d’importance à la formation continue des enseignants qu’à la formation initiale. Les enseignants doivent avoir les moyens d’évoluer tout au long de leur carrière pour tirer bénéfice des avancées technologiques de la société et pour acquérir au fil du temps des compétences sur de nouvelles pratiques pédagogiques qui leur serviront à faire face à des classes de plus en plus hétérogènes. Or la formation continue en France est délaissée et insuffisamment ciblée sur leurs besoins. A titre indicatif, à Singapour, chaque enseignant est évalué annuellement sur ses forces et ses faiblesses et bénéficie de 100 heures de formation professionnelle par an pour lui permettre de s’améliorer.
Donner davantage de moyens aux établissements défavorisés
Les établissements défavorisés ne sont pas très bien lotis en France car on y affecte souvent de jeunes enseignants inexpérimentés et insuffisamment préparés à cette tâche. Il convient donc d’améliorer la qualité du corps enseignant dans ces établissements en dispensant une formation spécialisée permettant de doter les enseignants des compétences et connaissances nécessaires pour exercer leur métier auprès d’élèves défavorisés et/ou en difficulté, et surtout en créant des incitations financières conséquentes pour attirer des enseignants expérimentés dans ces établissements difficiles. A titre d’exemple, le Brésil a accordé à la fin des années 1990 une augmentation de salaire de 60 % aux enseignants des régions les plus pauvres. L’Estonie, elle, verse une prime de 12 750 euros sur trois ans aux enseignants qui iront exercer dans les zones rurales défavorisées.
Valoriser les filières professionnelles et développer les programmes de seconde chance
Il serait temps d’agir pour qu’en France, échec scolaire ne rime pas avec échec tout court, tant ceux qui sortent précocement sans diplôme du système d’éducation aujourd’hui ont peu de possibilités de réintégrer une formation professionnelle et de terminer leurs études. Dans certains pays, a contrario, il est courant d’obtenir son diplôme de fin d’études secondaires après l’âge de 25 ans. Ainsi, environ 10 % des diplômés du secondaire au Danemark, en Finlande et en Norvège ont décroché leur diplôme à 25 ans ou plus ; ce pourcentage s’établit à 20 % en Islande et à plus de 40 % au Portugal.
De plus, en France, par comparaison avec les autres pays de l’OCDE, la formation professionnelle n’est pas suffisamment dispensée en alternance, c’est-à-dire qu’elle se passe trop au lycée et pas assez en entreprise. Par opposition, les pays dits « d’apprentissage » (c’est-à-dire l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suisse) ont le mieux réussi à assurer, avec l’aide des partenaires sociaux, une formation de qualité à tous en agissant bien en amont. Ainsi, l’Allemagne organise des formations de préapprentissage pour les jeunes qui ont des faibles compétences scolaires et les accompagnent afin qu’ils n’échouent pas dans l’obtention d’une qualification.
Lutter activement contre l’échec scolaire dès l’école maternelle
Les politiques qui ont pour objet de s’assurer dès la maternelle que tous les élèves atteignent au moins un niveau minimum de compétences à la fin de l’enseignement secondaire sont essentielles. Recentrer les programmes sur la définition et l’acquisition du socle commun des compétences et aider les élèves dans l’apprentissage de la lecture dès la dernière année de l’école maternelle sont des initiatives clés pour réduire l’échec scolaire et s’assurer que les difficultés sont traitées dès le début de l’apprentissage. L’Allemagne s’est d’ailleurs engagée dans cette voie en 2005-2006 et a défini un socle commun de connaissances et de compétences que tous les élèves doivent acquérir au cours de leur scolarité obligatoire.
Toutes les études de l’OCDE, qu’il s’agisse de l’étude PISA sur les élèves de 15 ans, de l’étude PIAAC sur les compétences des adultes, de l’étude Talis sur les enseignants au collège ou encore du dernier Regards sur l’éducation qui paraît mardi 9 septembre (www.oecd.org/edu/rse.htm) ont pointé ces faiblesses et mis en avant l’importance d’activer simultanément ces cinq leviers pour lutter efficacement contre l’échec scolaire. Il ne faut pas sombrer dans le fatalisme. L’école française a su faire face par le passé à des mutations importantes, comme en témoignent l’enrichissement des compétences et l’accroissement du niveau de formation de sa population. Elle a aussi des points forts, comme par exemple un niveau préprimaire bien structuré et ouvert au plus grand nombre. Elle produit également des élites avec, rappelons-le, un tiers de bons élèves à l’âge de 15 ans, soit plus que la moyenne des pays de l’OCDE.
Cependant, elle doit faire face aujourd’hui à un défi de taille qu’elle se doit de relever et de surmonter, au risque de voir son système devenir encore plus inégalitaire qu’il ne l‘est. Pour être efficace, la réforme du système éducatif aura besoin du soutien de tous : politiques, parents, enseignants et syndicats. Et dans un premier temps, il sera essentiel que le débat prenne de la hauteur, que l’on cesse de remettre en question le bénéfice des nouveaux rythmes scolaires pour s’atteler en priorité au reste.