Dans les sociétés de classe moyenne, nous avons appris avec Lacan que c’est l’Autre, qui sait et qui décide de notre sort: nos parents ne sont que des passeurs génétiques, qui ne savent pas grand-chose de plus que nous.
Nous changeons de mythe avec l’époque, et la révolution numérique qui conduit désormais les destinées du monde va secréter de nouvelles représentations. Ce sont les idéologies qui se transforment en mythes et non le contraire. La petite histoire familiale du carré parental bourgeois va devoir laisser la place à une nouvelle constellation mythique qui correspondra mieux à l’idéologie dominante de classe moyenne.
Et puisque selon l’astrophysique actuelle, l’homme est devenu une poussière marginale dans un coin perdu de l’univers, l’individu a perdu son importance centrale dans l’idéologie de post-humanisme de la classe moyenne numérisée.
ADN et codes barres
Nos ordinateurs superpuissants nous permettent désormais de déchiffrer l’identité génétique de chacun de nous à partir de notre ADN, qui est unique à chaque individu. Cela ressemble à s’y méprendre à la lecture informatique d’un code barre. Comment se fait-il que nous utilisions le même langage informatique, pour identifier et gérer des objets de consommation ordinaires et les êtres humains?
Le déchiffrage du génome humain évoque un logiciel de traitement de texte, comme si la biologie contemporaine se résumait à un langage informatique, en fait assez élémentaire, où la structure de combinaison des chromosomes de la chaîne ADN semble calquée sur une logique informatique à quatre temps.
L’audace
Il faut s’imaginer quelle fut l’audace de Christophe Colomb pour décider Isabelle et Ferdinand de Castille à parier que la terre n’était pas plate, malgré l’évidence quotidienne, mais ronde! Et d’oser rejoindre les Indes orientales par l’ouest! Puis de Magellan, de convaincre Charles Quint d’armer des bateaux pour aller plus loin encore et de risquer sa vie pour le démontrer par une autre évidence: revenir en Espagne après un tour complet. La flèche indigène empoisonnée qui l’a tué sur la voie du retour n’a pas réussi à arrêter la trajectoire du temps! Les trois années de ce grand voyage intercontinental, à la voile, préfigurent les expéditions interplanétaires auxquelles pense l’homme d’aujourd’hui, cinq siècles plus tard, pour aller sur Mars et plus loin encore.
L’Autre numérique
Cet Autre n’est déjà plus celui de Lacan, qui jonglait aristocratiquement avec les jeux de mots et les lapsus: c’est le langage informatique, dont les lapsus et les jeux sont bien différents. Sa logique semble toute autre. C’est celle de la classe moyenne, de la masse électronique, du rhizome de la Toile Internet.
Quelle est la place de l’homme dans ce nouvel univers numérique? Comment la mythanalyse réussira-t-elle à décrypter ses figures de style? Comment ce nouveau langage numérique traitera-t-il les événements, les singularités, les discordances, les contestations, les tensions et les contradictions qui dominent notre monde? En a-t-il les outils, lui qui tend plutôt au pouvoir uniformisateur et réducteur de toutes les différences?
Le langage informatique semble n’avoir aucune capacité à absorber la dialectique sociale et politique, aucune sensibilité au respect des individus et des identités. Il apparaît comme un système clos, doté d’une puissance barbare et il ne sait pas faire de place aux idées et aux éléments qui lui sont étrangers.
Il est naturellement mondialiste. Il est un instrument de pouvoir redoutable, extrême. Il tend à dominer le monde.
Il prend le monde pour une base de données.
De sujets que nous aspirions à être, nous devenons de simples objets paramétrés, des e-objets de marché.
Aussi illusoire qu’elle puisse être, la liberté humaine vaut bien un ordinateur.
Et un ordinateur, un réseau d’ordinateurs, avec l’Internet, peuvent devenir eux-mêmes de puissants instruments de liberté. Nous devons donc reprendre le contrôle démocratique du Cybermonde. Et ce sera une grande bataille.
Lire la suite : http://www.educavox.fr/alaune/un-autre-numerique