In Calenda – Le Calendrier des Lettres et Sciences Humaines et Sociales :
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Présentation
Les rapports entre local et national constituent un point de tension dans l’école française, comme dans un ensemble de services publics. Les mesures en matière de décentralisation, de déconcentration ou de territorialisation, se sont sédimentées depuis trois décennies (Politix 2012). Le recours au local frappe par son ampleur (de la maternelle à l’Université) et par la multitude des acteurs impliqués sur les scènes éducatives locales (van Zanten 2001) : collectivités locales, services déconcentrés d’autres ministères, secteur associatif, etc. Ce mouvement s’accentue pour la période récente. Pour ne prendre que quelques exemples, la mandature présidentielle 2007-2012 a été marquée par une expansion du volet éducatif de la politique de la ville avec l’émergence d’un ensemble de dispositifs localisés destinés aux élèves des quartiers populaires : internats d’excellence, busing, cordées de la réussite, banques de stage, etc. (Ben Ayed 2013), auxquels on pourrait ajouter, au niveau universitaire, les dispositifs de « discrimination positive » menés, institution par institution, sur des critères socio-territoriaux dans les grandes écoles. L’un des « marqueurs » de cette période fut également la réforme de la carte scolaire mettant particulièrement en tension les espaces scolaires locaux (Oberti, Préteceille et Rivière 2012, Ben Ayed, Broccolichi et Monfroy 2013).
Les orientations esquissées par l’actuel ministère de l’Éducation nationale s’agrègent autour de « l’acte III » de la décentralisation, dans les domaines de l’orientation et de la formation professionnelle. Le projet d’une « école du socle », appréhendé par certains comme le moyen d’un « aménagement éducatif du territoire », est progressivement introduit par le biais d’expérimentations localisées dans certains réseaux Éclair (Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite). L’autonomie pédagogique et le travail par projet sont toujours perçus comme des leviers de la « modernisation » de l’école.
Des transformations de la maternelle à l’université
L’université n’est pas en reste. La loi LRU a accru le recours aux financements régionaux qui ne se limitent plus aux seules infrastructures mais s’étendent également aux fonctionnements et aux contenus : offre de formation, études doctorales, politique de recherche, etc. Sous l’influence des structures d’évaluation (AERES), les injonctions à la professionnalisation des formations universitaires se font de plus en plus insistantes (Neyrat 2008), en lien avec les « attentes » et les « besoins » locaux. Ces évolutions coïncident avec l’émergence de thématiques de recherche en sociologie qui mettent au jour la fragmentation spatiale du champ universitaire et l’existence d’inégalités territoriales, tant en terme d’offre de formation que de trajectoires des étudiants (Nicourd, Samuel, Vilter 2011). Le cas particulier des antennes universitaires retient particulièrement l’attention concernant leur contribution à la réussite ou l’échec des étudiants, aux modes sociabilités estudiantines ou aux processus d’acculturation académique (Beaud 2002, Millet 2003, Tribess 2011, Truong 2010).
La spatialisation des problèmes éducatifs pour quels effets ?
Cette spatialisation croissante des problèmes éducatifs interroge le sens des politiques éducatives en termes d’unité du service public d’éducation, de conditions d’accès à l’éducation, d’égalité de traitement et de formes d’encadrement. Elle appelle la production de recherches permettant d’appréhender finement les effets engendrés par la multiplication des dispositifs localisés. L’objectif de ce colloque est de faire le point sur les travaux existants et d’ouvrir des perspectives à travers les axes suivants :
Axe 1 : (re) penser les inégalités de scolarisation et de formation
En quoi les évolutions localistes du champ scolaire affectent-elles la structure des inégalités scolaires ? Les inégalités pourront être appréhendées ici selon deux angles. Elles pourront l’être en premier lieu en termes de parcours et de trajectoires scolaires, de niveaux d’acquisitions ou de modalités d’accès à des offres scolaires hiérarchisées. En second lieu, elles pourront l’être à partir de l’étude des adaptations contextuelles de l’offre de formation et des curricula. Seront appréciés des travaux qui étendent l’analyse aux catégories de perception des publics de ces adaptations et à leurs effets sur les modalités d’entrée dans les apprentissages et les représentations de l’avenir. Ce premier axe pourra accueillir des travaux consacrés à l’ensemble du système éducatif et incluant l’Université. Les communications devront mettre en exergue les transformations institutionnelles associées aux inégalités observées et/ou subjectivement perçues par les différents acteurs.
Axe 2 : spatialisation des problèmes éducatifs et nouvelles formes d’encadrement
Cet axe s’inscrit dans la continuité des travaux consacrés aux nouvelles formes d’encadrement des classes populaires. Depuis les années 1970-1980, le traitement social de la pauvreté et de la jeunesse a donné lieu à une profusion de dispositifs : politiques d’insertion, de la ville, justice de proximité, etc. Les recherches menées visent à explorer la socio-genèse de ces dispositifs, à saisir les catégories de la pensée d’État qu’elles engendrent, la nature des dispositifs mise en œuvre, les catégorisations des publics, les stratégies d’action, ainsi que les acteurs concernés (ARSS 2001). Les nouvelles formes d’implication de l’échelon local dans la prise en charge de problématiques scolaires obligent à reconsidérer le positionnement de l’école sur des enjeux éducatifs essentiels. L’implication grandissante d’un certain nombre d’associations de proximité, de collectivités locales et territoriales dans le traitement de problématiques scolaires, marque une recomposition des modes d’intervention autour de ces questions doit être prise en compte. L’introduction, dans le champ éducatif, de nouvelles rhétoriques doit également être interrogée : « promotion de l’excellence », de « l’ambition » (réseaux ambition réussite), « réussite éducative » etc. Quel bilan peut-on dresser de ces politiques ? Quels sont les modèles éducatifs en jeu ? Pour quels effets perceptibles ?
Axe 3 : Les nouveaux professionnels de l’action éducative locale, l’entrée dans le métier et les trajectoires professionnelles enseignantes
Ce troisième axe est consacré aux professionnels de l’action éducative, notamment aux nouveaux professionnels qui accompagnent la mise en œuvre des dispositifs éducatifs localisés. Il s’intéresse également à l’entrée dans le métier et aux trajectoires professionnelles enseignantes, dans le contexte des réformes institutionnelles en cours (Broccolichi, Balland et Joigneaux 2011). En quoi la fragmentation et la hiérarchisation de l’espace scolaire affectent-elles l’entrée dans le métier et les trajectoires professionnelles enseignantes ? Quelles stratégies sont mises en œuvre pour faire face à l’épreuve du local ? Quelles adaptations, effets d’opportunité ou stratégies de survie ? (van Zanten et Grospiron 2001). Quels modes de coopération ? Quelles approches collectives des problèmes rencontrés ? Cet axe sollicitera également des travaux centrés sur le rôle des administrations scolaires locales. Quelles sont les variations locales des modes d’accompagnement et de soutien des enseignants ? Notamment les nouveaux enseignants dans le récent contexte de « masterisation » du recrutement ? Quelles formes d’outillage des pratiques professionnelles et des relations aux publics ? Enfin quel est l’impact des mesures de déconcentration administrative sur la gestion localisée des carrières enseignantes et d’autres types de personnels ? Quelles variations selon les espaces locaux, les disciplines et les niveaux d’enseignement ?