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Une approche qui pourrait être plus féconde, en ce sens qu’elle montre comme une évidence la relation réciproque qui relie les personnes et la société, consisterait à partir de l’École prise comme Institution sociale . (Peut-être ce type d’approche serait aussi fécond dans les domaines autres que celui de l’éducation.) Elle est d’abord considérée sous un angle sociologique.
Mais cette Institution, plus que d’autres sans doute, "s’incarne" dans des personnes (les enseignants, les administrateurs, les parents, les élèves…sans oublier les "politiques") qui lui donnent une réalité multiple et parfois contradictoire par leurs attentes, les idées qu’ils s’en font (ou ne s’en font pas), leurs comportements…
Comme Institution sociale, l’École est le moyen que se donne une société pour durer dans le temps, se perpétuer, se reproduire. |
La chose a été particulièrement évidente jusqu’à la seconde guerre mondiale, avec une école duale, formée par un enseignement primaire élémentaire destiné à former 95 % des Français ; un enseignement primaire supérieur chargé de préparer une partie de ces jeunes à occuper les postes de cadres subalternes et éventuellement moyens ; et un enseignement secondaire prolongé par un enseignement supérieur, destiné principalement à assurer la relève des cadres supérieurs (professions libérales incluses) en préparant leurs enfants à leur succéder. J’ai cherché, naguère, à exposer les grandes lignes de cette École dans deux textes , l’un présentant les caractéristiques de l’école au 19ième et 20ième siècle, l’autre en en montrant les sources à partir d’un rapide survol couvrant 6 siècles (13ième au 19ième siècle).
Comme Institution sociale, l’école est donc essentiellement conservatrice, ses objectifs étant d’abord de transmettre (savoirs, savoir-faire, mais aussi système de valeurs, règles morales, etc.).
Elle est donc aussi la mère de la société.
Classiquement, une société ne cherche pas à changer : l’école est et n’est qu’un instrument de reproduction qui voudrait se situer en dehors du temps. Mais la société à venir n’est pas forcément identique à la société passée : les évolutions technologiques, par exemple, obligent une société à évoluer. C’est ce qui a fait que notre École a dû changer, bon gré, mal gré, depuis cinquante ans, par exemple (Si la secondarisation de l’enseignement primaire supérieur (1942-43) répondait à des objectifs purement idéologiques, l’allongement de la durée de scolarité obligatoire répondait à des nécessités de l’économie bien plus qu’à une volonté de démocratiser l’enseignement !) . Les régimes totalitaires ont aussi bien compris le moyen puissant que représentait l’éducation pour former leurs serviteurs zélés, notamment tout au long du 20ième siècle. A l’opposé, les lendemains de guerres particulièrement cruelles ont vu, à l’appel d’hommes qui se sont avérés être de grands pédagogues, (Pestalozzi après les guerres napoléoniennes, Freinet après la 1ére guerre mondiale, Wallon après la seconde, par exemple) se lever des mouvements progressistes qui ont mis leurs espoirs dans l’éducation pour donner naissance à une société plus humaine.
D’une manière générale, dans l’ensemble des mouvements que l’on peut regrouper dans l’expression "éducation nouvelle", même lorsque le point de départ de leur action est d’ordre psychologique (Comme Claparède qui voulait que l’éducation soit fonctionnelle, ou Maria Montessori et Ovide Decroly dont le but était d’abord de tenir compte des réalités physiologiques et psychologiques des enfants.) , la préoccupation sociale est toujours présente.
L e récent Manifeste lancé par Marie-Danielle Pierrelée qui se révoltait contre l’exclusion scolaire de nombreux enfants par le système scolaire actuel, est un appel "pour une école créatrice d’humanité". La synthèse des échanges du forum mondial sur l’éducation ( Porto Alegre – octobre 2001. Cette synthèse a été rédigée par Bernard Charlot et adoptée par le forum social qui a suivi en février 2002) prône "Une éducation démocratique pour un monde solidaire. Une éducation solidaire pour un monde démocratique."
Les prises de positions se multiplient, montrant que la conscience du rôle primordial de l’éducation dans l’édification d’une société plus démocratique, plus juste, plus humaine, une société de non-violence et de paix se répand.
Si certains appels émanent de milieux attachés à un système scolaire très sélectif qu’ils pensent être profitable à leur progéniture ( Comme le collectif "les parents en colère" qui se plaint de la promiscuité avec des jeunes non motivés qui pénaliserait leurs enfants et les retarderaient dans leur progression scolaire.), de nombreux autres émanent de professeurs du secondaire (collèges et lycées d’enseignement général) qui dénoncent les atteintes à leur discipline.
Cela tient au fait qu’en France tout particulièrement, les professeurs du secondaires se définissent fondamentalement comme des spécialistes d’une discipline académique ( Comme le soulignait Antoine Prost dans son intervention lors de la Biennale 2000.) et refusent souvent de se reconnaître comme éducateurs . (La levée de boucliers contre le principe du tutorat institué par la réforme Savary-Legrand a été typique de cette attitude. Les professeurs se considéraient comme des spécialistes d’une seule discipline au point de refuser l’idée même d’être amenés à donner le "coup de pouce" à de jeunes collégiens dans une discipline autre que la leur.) Leur mission consiste, répètent-ils à satiété, est de transmettre des savoirs, une culture, la Culture.
Pourtant nombre d’entre eux prétendent se classer politiquement à gauche, militant parfois dans des mouvements comme ATTAC qui affiche des principes particulièrement progressistes.
cette double orientation conservatrice et progressiste.
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L’École, c’est-à-dire ses acteurs, enseignants, parents, élèves d’abord qui forment la réalité de l’institution .
(S’agissant des administrateurs disposant de pouvoirs à l’intérieur de l’institution, le problème est souvent plus complexe dans la mesure où un fonctionnement plus démocratique de l’école est souvent vécu comme une atteinte à leur autorité, à leur pouvoir sur ce qu’ils considèrent comme leur domaine, leurs subordonnés, quand ce n’est pas leur fief.)
Ils sont de plus en plus fréquemment conscients de la nécessité de transformer l’école qui ne peut plus, comme jadis, préparer les jeunes à un monde "connu" ; mais ils ne veulent pas en déduire que les critères sur lesquels l’école repose doivent être complètement repensés. Pourquoi continuer d’enseigner tel savoir académique et pas tel autre, non académique mais peut-être plus important aujourd’hui ? (II y a quelques années, un documentaire télévisé avait été tourné dans le plus grand lycée professionnel de France, à Marseille. Cet établissement préparait à l’époque des promotions de 300 futurs mécaniciens auto. Interrogés, l’un des professeurs reconnaissait sans difficultés que la majorité des élèves ainsi formés ne trouvaient pas de travail dans leur branche et allaient grossir les rangs des chômeurs. Mais, ajoutait-il naïvement, "nous ne savons pas faire autre chose")
Ils sont parfois aussi conscients de l’avenir catastrophique qui se dessine (multiplication des conflits un peu partout dans le monde, destruction irrémédiable de la planète, fragilité grandissante de la démocratie, etc.) mais continuent de faire comme si les dangers ne menaçaient que les autres et que l’essentiel est de s’assurer une situation professionnelle sûre et financièrement rentable.
Tout se passe comme si chacun était conscient que le monde est perdu, mais que l’essentiel est de "faire son salut personnel", pour reprendre une expression du domaine des religions. L’idée de la solidarité de fait de tous les hommes sur la planète finie qu’est la Terre n’est, au mieux, présente qu’intellectuellement chez nos contemporains sans qu’ils se sentent personnellement concernés.
C’est peut-être à cette prise de conscience de la contradiction entre les discours progressistes sur la société et les comportements individuels, figés dans leurs habitudes, qu’il serait bon de travailler. |