TERRITOIRE: D’abord conçu comme « milieu ", « aménagement» et « organisation de l’espace », P. George, 1970, il faut attendre 1992, avec l’Encyclopédie de géographie et Les mots de la géographie, pour que le territoire soit véritablement identifié, en quelque sorte. Pourtant dès 1947, J.F. Gravier dans Paris et le désert français préconisait de « dédensifier» l’agglomération parisienne. L’aménagement du territoire a plus de quarante ans, si l’on prend pour origine la fondation de la DATAR(1963). En près d’un demi-siècle, le territoire a beaucoup évolué: d’une conception très jacobine et hexagonale à des schémas plus ouverts, incertains, multiformes et décentralisés, A. Frémont, 2005.
Sous l’Ancien Régime, Vauban (1633-1707), ingénieur militaire du roi Louis XIV qui prôna l’avancement par le mérite, eut « l’intelligence du territoire» en concevant de nombreuses places fortes, citadelles, fortifications, etc . Au XIX’ siècle, la loi du 15 septembre 1807 scelle la naissance du cadastre parcellaire français. Mais le cadastre napoléonien montre vite ses limites: il n’est pas tenu à jour. À partir de 1930 de nombreuses réformes vont intervenir jusqu’à ce que l’Institut géographique national, IGN, 2007, rende le cadastre consultable par Internet.
On peut repérer trois dimensions: l’aspect géographique; l’aspect politique; le registre symbolique (image mentale des espaces). Selon le rapport des acteurs à leur territoire, on parle de territoire prescrit, vécu, rêvé. L’idée de territoire implique l’appropriation, une conscience de l’espace. Pour l’anthropologue, M. Godelier, 1984, « on désigne par territoire une portion [… ] de l’espace sur laquelle une société déterminée revendique et garantit à tout ou partie de ses membres des droits stables d’accès, de contrôle et d’usage portant sur tout ou partie des ressources qui s’y trouvent et qu’elle est désireuse et capable d’exploiter ».
Au sens sociologique, ensemble des éléments de géographie physique et humaine que des acteurs sociaux peuvent s’approprier et qui de cette manière, sont des constituants des identités collectives et du devenir d’une communauté humaine, quelle qu’en soit la forme. L’instauration des zones d’éducation prioritaire (ZEP) au début des années quatre vingt, fournit un exemple de territorialisation de l’espace éducatif. Le territoire lui-même est objet de connaissances, et l’on peut envisager une « didactique du territoire », P. Champollion, 2004.
Le territoire n’est pas seulement un découpage géographique aux frontières apparentes (le quartier, le village, le canton, les rues et chemins etc), mais est aussi un espace de sens révélateur des représentations qu’en ont les individus, donc de la manière dont ils le « vivent» et perçoivent les ressources et contraintes liées à ce contexte local, transmettent une histoire locale et la font, défendent un patrimoine, portent des projets de développement économique, en fait témoignent de leurs ancrages sociaux, politiques et/ou économiques et de la nature de leur implication. L’implication territoriale révèle des enjeux identitaires, en indiquant quelle place les acteurs ont le sentiment d’occuper et quelles significations ils privilégient concernant le développement local. Les territoires sont très liés aux contextes sociaux et culturels; en ce sens, ils sont prescrits, vécus et rêvés. Pour J.M. Berthelot, 1993, « si s’orienter, c’est à chaque instant choisir le bon chemin, encore faut-il avoir un minimum d’éléments sur la géographie du territoire à parcourir et sur la signification des voies qui le traversent ».
Pour H. Gumuchian, 2001, « le terme de territoire a une double acception: soit il se réfère à une réalité juridico administrative, comme c’est le cas dans l’expression « aménagement du territoire », soit il renvoie au concept de territorialité largement présent dans l’ensemble des sciences sociales depuis une bonne vingtaine d’années. Autant réalité naturelle que sociale, le territoire ne se laisse pas facilement décomposer. Milieu, pratiques, représentations et organisation socio-politique constituent un système dont les parties sont interdépendantes ».
Dans les discours, comme dans les analyses, émerge la notion de « territoires d’appartenance» comme les « pays », par exemple) auxquels les différents acteurs tentent de donner la dimension pertinente pour répondre à l’exigence d’efficacité, imposée par une action publique de plus en plus transparente. Est-ce « la fin des territoires» ? B. Badie, 1995. À l’heure des réseaux, des télécommunications et des mobilités généralisées, de nouvelles perspectives apparaissent avec la naissance de territoires virtuels (endroits fréquentés quotidiennement par une personne pour son travail, ses loisirs, sa vie familiale, etc). Les « pôles d’excellence et de compétitivité» devraient à terme participer à un réseau européen et mondial d’« intelligence territoriale» fondé notamment sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) avec pour visée le développement durable.
B. Charlot et J.Y. Rochex, 1994, ont trouvé sept figures de la territorialisation : la version autogestionnaire, modèle Savary, 1981-1982; la version libérale qui tente de s’imposer entre 1986 et 1988; la version de la territorialisation régulée par l’État entre 1989 et 1993; la (version DSQ» de la territorialisation éducative; la version « collectivités territoriales» (municipale, départementale, régionale) des années 1983-1985; la version marketing encouragée par la politique gestionnaire de l’État; la version consumériste de la territorialisation. Il se trouve parfois que « l’État décide et la collectivité territoriale se retrouve, de fait, obligée d’assumer cette décision et de payer ». Le territoire est un bon analyseur des inégalités sociales. Ainsi pour avoir plus de chances d’accéder à l’université, il vaut mieux naître dans la bonne famille, le bon quartier, et la bonne ville, (Agence de mutualisation des universités et des établissements, AMUE, 2005). La « fracture sociale» se conjugue à une « fracture territoriale» qui prend la forme d’une relégation socio spatiale. Les compétences des territoires dépendent de leurs besoins en « aménités» (agréments liés à la fréquentation d’un lieu).
La loi Fourcroy, 1802, avait déjà confié la responsabilité des écoles primaires aux communes. La loi du 22 juillet 1983 stipule que les communes ont la charge des écoles, que les départements ont celles des collèges et les régions celles des lycées. La territorialisation des politiques éducatives, à l’intérieur de l’Éducation nationale ou dans les collectivités locales (qui assurent près du quart des dépenses d’éducation) a transformé certaines fonctions à l’exemple des responsables d’établissement, dont le métier n’a plus grand chose de commun avec celui qu’ils exerçaient il y a dix ans et fait naître des métiers nouveaux (dans les lEP, les municipalités, les conseils généraux, les régions … ) ou de nouvelles activités: programme « Nouveaux services-nouveaux emplois ».
La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (J.O. du 24 avril 2005) inscrit l’orientation des élèves dans la dynamique des territoires: « L’orientation et les formations proposées aux élèves tiennent compte de leurs aspirations et des perspectives professionnelles liées aux besoins prévisibles de la société, de l’économie et de l’aménagement du territoire. Dans ce cadre, les élèves élaborent leur projet d’orientation scolaire et professionnelle avec l’aide des parents, des enseignants, des personnels d’orientation et des autres professionnels compétents. Les administrations concernées, les collectivités territoriales, les organisations professionnelles, les entreprises et les associations y contribuent» (article 13). En fait, « Le territoire modèle les parcours scolaires et professionnels des jeunes d’autant plus fortement que ceux-ci en sont captifs. C’est le cas des jeunes de faible niveau de formation », Y. Grelet, 2006.
Le territoire est l’instrument providentiel de l’État social. Le CEREQ,2006, a cherché à qualifier le territoire français (hors DOM-TOM) en 348 zones d’emploi qui respectent les limites régionales, et six espaces socio-économiques (Tertiaire urbain; Tertiaire, Petites entreprises; Industrie dynamique; Industrie en difficulté; Rural industriel; Rural agricole). Les politiques éducatives pour les territoires doivent prendre en considération les spécificités historiques, sociales et économiques des territoires dans l’analyse des parcours scolaires des jeunes et leur insertion professionnelle au moment de l’entrée dans la vie active. Il existe certains déterminismes, liés certes aux besoins des entreprises, mais aussi à l’histoire locale, à la répartition géographique de l’offre éducative, et à la morphologie sociale (origine sociale, comportement des familles, culture, tradition éducative), dans les comportements d’orientation des jeunes et de leurs familles. Ainsi dans les zones industrielles en déclin comme dans le Nord de la France, les jeunes continuent d’aller dans des formations industrielles de niveau V. C’est une forme de reproduction sociale: les parents et grands parents de ces jeunes ont pour horizon le CAP industriel. Plus on s’élève dans la hiérarchie sociale, plus le niveau jugé utile s’élève également.
Y. Alpe, 2006, remarque que d’une manière générale, l’institution scolaire a une conception de la territorialisation des politiques publiques d’éducation qui repose sur la stigmatisation des territoires, par exemple, c’est parce que le rural est « isolé» qu’il est en retard. A des inégalités dans le cycle de vie (scolarisation à deux ans) s’ajoutent des inégalités territoriales.
â–º Carte scolaire; Culture; État-providence; Famille; Histoire-géographie; Institution; Politique publique; …