Depuis l’année scolaire 1967-1968,la durée réelle du temps de classe a diminué de près de 20 %, soit l’équivalent d’une année scolaire complète pour la seule école élémentaire. Il serait temps que les responsables se mettent d’accord pour consacrer le temps qui reste aux apprentissages et renvoient les interventions extérieures au périscolaire.
À la suite du rapport que j’avais réalisé en 1988 à la demande de Madame Royal, ministre déléguée à l’Enseignement scolaire, Claude Lelièvre, historien de l’éducation, m’avait écrit : « Hélas! Les élèves du primaire ne descendront pas dans la rue Il. On peut se demander aujourd’hui encore où sont les élèvesdans les discussions et querelles de chapelles sur l’organisation du temps scolaire.
Une année d’école en moins en 45 ans
Entre 1967-1968 et 2012-2013, la durée de l’année scolaire a augmenté assez fortement, le nombre, de semaines d’école plus faiblement. En revanche, le nombre de jours et d’heures de classe a très nettement diminué: 175 jours (1 050 heures) en 1967-
1968, 144 jours (864 heures) en 2012-2013. Seule la durée de la journée de classe (6 heures) est, pour le moment, restée stable. La durée réelle du temps de classe a diminué de près de 20 0/0, l’équivalent d’une année scolaire complète pour la seule école élémentaire, celle où, normalement, doivent se constituer et se consolider les apprentissages de base. Pendant ce temps, les programmes se sont alourdis de l’enseignement d’une langue vivante et de l’initiation à l’informatique.
Que reste-t-il aux maîtres ?
Le temps scolaire est loin d’être consacré aux apprentissages. L’enseignement de la natation est chronophage : compte tenu du temps de déplacement, de vestiaires puis dans l’eau, une séance dure deuxheures au minimum. Les classes dans lesquelles elle a lieu (CPet CEl) lui consacrent chacune, en moyenne, une semaine de classe par an. Lesrécréations (plus les temps de rassemblement et déplacements) consomment au bas mot 50 minutes par jour, soit 7 200 minutes ou 120 heures ou 20 jours de classe par an. Si l’on retranche ces heures et les jours fériés, il reste environ 720 heures annuelles. C’est bien peu pour réaliser les apprentissages à faire à l’école primaire. Des municipalités ont également investi l’école pendant le temps scolaire : intervention d’animateurs dans les classes, séjours, sorties à visée culturelle. Projets intéressants certes, mais qui prennent encore sur le temps des apprentissages. Que reste-t-il alors au maître et à ses élèves pour faire tout ce qu’ils ont à faire dans les programmes ?
Le niveau baisse
Antoine Prost,historien de l’éducation, a récemment poussé un cri d’alarme suite au constat d’un recul des résultats des élèves dans les apprentissages de l’école primaire (1): « Dans les fameuses enquêtes Pisa,la France est passéeentre 2000 et 2009, pour la compréhension de l’écrit, du 10e rang sur 27 pays au 17e sur 33… La proportion d’élèves qui ne maîtrisent pas cette compétence a augmenté d’un tiers, passant de 15,2 %, à 19,7 %. En mathématiques, nous reculons également et nous sommes dans la moyenne maintenant, alors que nous faisions partie du peloton de tête … Les enquêtes nationales vont dans le
même sens. Le ministère a publié une synthèse des évaluations du niveau en CM2 de 1987 à 2007 (note d’information 08 38). Si le niveau est resté stable de 1987 à 1997, il a en revanche nettement baissé entre 1997 et 2007. Le niveau en lecture … des 10 %
les plus faibles en 1997 est, dix ans plus tard, celui de 21 % des élèves… Le numéro de décembre 2012 d’Éducation et formations, la revue de la direction de l’évaluation du ministère, présente une étude sur le niveau en lecture en 1997 et 2007 : la proportion d’élèves en difficulté est passée de 14,9 %, à 19 %,soit une augmentation d’un tiers … Un élève sur trois est faible en orthographe, contre un sur quatre dix ans plus tôt.
Les rythmes ne sont pas tout
La réforme des rythmes scolaires ne modifiera pas à elle seule cette situation. Les programmes imposés dans le temps qui leur est concédé sont-ils réalisables ? La réponse est évidemment non. Ce n’est pas aux maîtres de faire des choix: c’est au ministère de régler cette question. Depuis 1990, on n’a cessé d’élever le niveau de recrutement des enseignants du premier degré pour le porter à Master 2 : ils sont chargés d’enseigner l’ensemble des disciplines de l’école primaire alors que leur formation universitaire est monovalente et que beaucoup se sont spécialisés en lettres ou en sciences dès la fin de la classe de
seconde.
Quelle pédagogie dans les classes ?
Que sont devenus les cycles instaurés en 1990, qui devaient faciliter la prise en compte des élèves réelle, si les enfants nés en décembre redoublent deux fois plus que ceux nés en janvier et si les garçons à peu près deux fois plus que les filles à l’école primaire ? Que fait-on pour mettre un terme à l’échec, à l’issue de l’école primaire (huit années d’études tout de même), d’un cinquième environ des élèves de chaque génération, qui n’ont pas les bases pour suivre en 6e ? Ce n’est, hélas, pas qu’un problème de rythme scolaire. C’est dans les écoles et dans les classes que ces problèmes doivent être d’abord résolus. C’est là
que l’essentiel se joue.
Aucune interférence
Quel rapport avec les rythmes scolaires ? Une meilleure répartition des rôles peut, dans un premier temps, et en attendant (impatiemment) d’autres décisions, permettre au moins de limiter les dégâts : il faut se mettre d’accord pour préserver le temps qui doit être consacré aux apprentissages à l’école primaire. Le temps extrascolaire est largement suffisant pour que les activités complémentaires y trouvent leur place. Dans le rapport rédigé en 1988, j’écrivais déjà : "le temps scolaire est le temps des apprentissages structurés dans des domaines d’activité ou des champs disciplinaires prescrits par les programmes nationaux qui garantissent une égalité à l’intérieur du service public d’éducation … Toutes les disciplines sont obligatoires et constitutives d’une éducation globale et équilibrée … Nul ne nie qu’il y ait des apprentissages hors du temps scolaire mais ils sont d’une autre nature". La compétence sur les apprentissages scolaires relève exclusivement de l’Etat. Il ne doit y avoir aucune interférence.
Quelle place pour les communes ?
Les collectivités locales jouent un rôle fondamental non seulement pour le clos et le couvert dans le primaire mais aussi dans l’encadrement et l’éducation des enfants en dehors de l’école. Il est indispensable que, dans le domaine de l’éducation, elles concentrent et limitent leur action à ce temps des enfants. En 1988, j’écrivais encore : "Les intervenants extérieurs, qui ne sont pas vraiment nécessaires dans l’école… auraient mieux à faire dans le cadre de projets d’aménagement du temps périscolaire et postscolaire. Améliorer la prise en charge des enfants pendant le temps extrascolaire apparaît bien comme une urgence absolue : les quartiers y gagneraient en tranquilité et l’école en sérénité, donc en efficacité." Plus que jamais, sur ce sujet, je persiste, j’insiste et signe.
Jean FERRIER