Université d’été 2014 PRISME-FG PEP : 1er et 2 juillet 2014-Créteil
SYNTHESE JOURNEES : Jean-Marc BERTHET
Pour rendre compte de la richesse des échanges de la première journée, je partagerai sa synthèse en deux temps : une relecture de celle-ci à partir des mots qui ont été employés puis, ensuite, une tentative de reproblématisation de l’ensemble.
I Relecture de la journée au fil des mots
Pour reprendre une vieille trame de l’éducation populaire, il a été rappelé la nécessité de transformer les contraintes en motivations. A lister ces nombreuses contraintes, celles-ci renvoient bien souvent à des questions de sémantiques.
1 L’illusion des bonnes pratiques
Celle-ci a été dénoncée dans les échanges avec son corollaire, la question de l’évaluation qui amène étalonnage et benchmarking.
2 La gouvernance
L’inflation de ce terme est-il autre chose que le signe justement d’une très grande difficulté à construire des systèmes locaux de gouvernance ? N’euphémise-t-elle pas, par, ailleurs les relations de pouvoirs entre partenaires ?
3 L’apprenance
Dans les situations d’apprentissage, bien souvent, les difficultés renvoient à des interdits de savoirs, des savoirs empêchés. Pourtant, ceux-ci ne sont pas toujours traités comme tels, ils sont renvoyés vers les élèves et leurs familles, sans que la cause de ce savoir empêché ne soit vraiment comprise. Comment mieux pouvoir la traiter collectivement ?
4 Le genre
Les différences entre les filles et les garçons dans les résultats scolaires posent la nécessité d’une réflexion approfondie sur cette question. Bien souvent, il s’agit d’une plus grande difficulté pour les garçons à s’auto-corriger, à accepter la notion de correction. Là encore, est-ce vraiment travaillé collectivement ?
5 Cohérence et complémentarité
A utiliser ces termes, on risque de rester dans l’agrégat des dispositifs entre eux et donc de faire du même avec du même.
6 L’engagement
Celui-ci est à entendre dans ces deux acceptions : qui est engagé et par quoi dans l’éducatif local ? Comment mieux prendre en compte la parole et donc l’engagement éventuel des enfants et de leurs parents dans les dynamiques éducatives locales ?
7 Le contenu
La notion de contenu éducatif semble différée dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme au détriment de l’organisation administrative ; c’est aussi le signe de la baisse du niveau d’ambition qu’entraîne le PEDT.
8 La multiplication des intervenants
Celle-ci est le signe de la division intense du travail éducatif. Elle oblige à la construction de lieux de régulation. D’aucuns ont parlé d’agence régionale de l’éducation, d’autres de comités locaux pour l’éducation. Bref, les lieux de régulation d’un éducatif local restent encore à construire.
9 Le gouvernement
Le sentiment général est que se met en place un gouvernement des choses mais pas des hommes.
10 La réforme territoriale
Celle-ci produit de nouvelles formes d’incertitudes (quant à la gestion des collèges par exemple ou encore quant aux partages des compétences entre collectivités) alors même que faire la réforme de l’école avant celle de notre armature territoriale ne pouvait qu’entraîner ces incertitudes.
II Reproblématisation
Il faut d’abord revenir sur la notion de territoire qui a fréquemment traversé les différents échanges. Du point de vue des politiques publiques, la notion de territoire n’a jamais été conçue comme une fin en soi. Elle a surtout été pensée comme un point d’appui de la nécessaire modernisation des politiques publiques et de leur mise en transversalité à l’échelle locale pour dépasser des logiques sectorielles perçues comme trop peu efficace : de nombreuses questions sociales naissaient à la marge de ces politiques publiques sectorielles, qu’il fallait envisager de façon plus globale. Cela a eu pour effet de produire une sédimentation de nombreux dispositifs sur les trente dernières années dont la revendication du PEL était une tentative de sortie par le haut comme mise en cohérence mais dont le PEDT donne une visée plutôt restrictive.
Derrière ces transformations, différentes questions sont posées. Tout d’abord, c’est la manière d’envisager la gouvernance des politiques éducatives locales qui est posée, même si certains ont fortement dénoncé tant les termes de gouvernance que de mise en cohérence, estimant qu’ils obscurcissaient le débat. L’Etat et l’Education Nationale ont-ils vraiment les moyens humains de cette gouvernance, ce n’est pas sûr… Et comme les collectivités n’ont pas vraiment les compétences éducatives requises pour pleinement l’assurer, nous nous trouvons dans une situation de milieu du gué.
Par ailleurs, l’entrée par le territoire ne doit pas faire oublier la réalité de phénomènes de société importants relatifs à la mobilité des populations ; du coup penser la gouvernance des politiques éducatives impose aussi de rechercher la bonne échelle territoriale pour asseoir cette gouvernance. Existe-t-il une bonne échelle de gouvernance des politiques éducatives locales ? Ce n’est pas sûr. Doit-on aller vers des systèmes de prise en charge d’une inter-territorialité, cela reste à construire.
Ensuite, certains ont avancé de manière provocatrice la fin de la forme scolaire, en reprenant les travaux d’Illich. Au delà, c’est bien le rapport des populations aux institutions qui est en jeu. Nous avons, collectivement, sans doute, de moins en moins envie de l’école publique actuelle. les offres parallèles ne peuvent que prospérer. De ce point de vue, le phénomène du décrochage scolaire, quelle que soit la définition que l’on en donne ne peut qu’interroger sur le rapport des décrocheurs à la chose scolaire et à l’école vue comme institution stigmatisante et ségrégative.
Enfin, il a été peu évoqué, en définitive, la question des inégalités qu’elles soient scolaires, sociales ou territoriales. Pourtant, à laisser l’initiative politique au local dans le portage des politiques éducatives, on se trouve confronté à un double risque d’inégalités d’investissement des collectivités entre elles, de modification des choix politiques en cours de route, au gré des aléas électoraux.
SECONDE JOURNEE
En ce qui concerne la seconde journée, elle a permis de lister des questions préalables et des éléments de méthode à la mise en place d’un PEDT, telle est la lecture que j’en propose dans un premier temps avant que de remonter en généralité dans un second temps.
I Eléments de méthode pour un PEDT
1 Déconstruire les termes et les clarifier
Les politiques éducatives locales charrient une masse de mots et de termes qu’il faut déconstruire, à commencer par la notion même de rythmes scolaires qui fait encore la part belle à l’école. Veut-on un projet éducatif local et global ou un projet éducatif de territoire au sens de la loi sur la refondation ? Lorsqu’on parle de territoire de quoi s’agit-il dans un contexte où les populations n’ont jamais été mobiles ? Idem pour les ségrégations, de quoi parle-t-on exactement ? Autre exemple, est-ce la même chose que d’évoquer la place des parents ou des familles ? Bref, tout un travail préalable consiste à bien s’entendre sur le sens donné à ces différentes expressions tant elles induisent des implicites sur lesquels tout le monde semble d’accord alors même que ces termes sont polysémiques.
2 Faire vivre l’existant
Dans de nombreux échanges, il a été rappelé la nécessité de repartir de l’existant avant que de se poser la question des innovations. En effet, sur tout territoire existe une somme de dispositifs, d’actions, d’expérience qu’il s’agit de revisiter, de relire avant que de s’engager dans de grands et profondes transformations : tracer le sillon plutôt que de réinventer la poudre en permanence.
3 Penser le tiers et la fonction tierce
Cette question renvoie à la capacité à organiser des modes de régulation locale entre tous les acteurs éducatifs. Différents termes ont été utilisés en ce sens : tiercéité, tiers-débat, tiers-lieu, espaces intermédiaires, … Comme si la question du tiers était indispensable pour sortir de situations conflictuelles fortes mais qui ne disent pas toujours leur nom
4 Eviter le risque de la psychologisation du social
Les stratégies actuelles de remédiation, la montée en puissance des « dys », l’accroissement de l’individualisation et des accompagnements personnalisés témoignent d’une certaine façon, d’un gommage des effets sociaux. Bien souvent, des solutions sont proposées à ce qui est compris comme problème/ Mais a-t-on bien évalué ce qu’il en était des besoins des populations ?
5 Penser l’implication de la société civile
Celle-ci semble attendue mais pas toujours là, ou plutôt, de quelle mobilisation parle-t-on ? Quelle mobilisation peut-on, doit-on attendre dans le cadre d’un PEDT. L’exemple de l’association « Lire et faire lire » (avec plus de 10000 bénévoles) ou encore l’histoire du centre social du XIXème arrondissement de Paris témoigne qu’il existe pourtant de grande capacités de mobilisation !
6 Penser les manques ou les euphémisations
Finalement, peu a été dit sur la question des discriminations et de l’ethnicité. Alors même que ce sujet mine de l’intérieur l’Education Nationale, on voit bien comment encore les questions culturelles, au delà des seules questions de laïcité, peinent à être évoquées dans les débats.
7 Renforcer la loi ?
La table-ronde de l’après-midi, en particulier, a insisté sur la nécessité de remettre dans les débats parlementaires relatifs à la réforme territorial la question du PEL et de son usage plus extensif que le seul PEDT, tel qu’il est issu de la loi sur la refondation de l’école de juillet 2013.
II Généralisations
1 Les deux jours d’université font état d’une crise du sens éducatif qui nous a amené parfois à revenir aux grands auteurs (Condorcet en particulier) ou encore à se demander si nous n’aurions pas besoin de nouvelles disciplines pour rendre compte des phénomènes qui nous semblent parfois complexes. Plutôt que de crise du sens (prise dans ses deux acceptions de signification et de direction), c’est peut-être surtout d’une très grande difficulté à penser l’avenir qu’il s’agit, pour le dire autrement, dans un processus éducatif moderne, c’est bien l’avenir qui nous guidait, traçait nos chemins et donnait sens à cet éducatif. Aujourd’hui, pris dans un grand présentisme, nous nous trouvons à construire la question éducative, sans grande référence au passé, sans grande illusion d’un avenir meilleur.
2 Cette situation produit des situations d’urgence, même si celle-ci est un construit social, elle nuit à toute tentative de réflexion, tant il est difficile de réfléchir dans l’urgence. Au mieux, nous réfléchissons sur le pire à venir et la possibilité de continuer à innover. Au pire, nous réinventons ce qui a été autrefois pensé.
Peut-être faudrait-il mieux déployer « passé, présent et avenir », et donc capitaliser les expériences du passé, sans les embellir et les mythifier, mieux résister aux urgences du présent pour penser l’avenir.
3 Le savoir et ses transmissions se posent aussi avec acuité. Jean-Pierre Pourtois a remis sur la table la question du savoir d’expérience et son importance, l’accumulation du savoir par effet d’expériences. Toute la difficulté de ce savoir d’expérience est celle de sa transmission, tant il est incorporé dans ceux qui le portent, tant il devient un savoir tacite difficilement transmissible.
4 Nous sommes dans des sociétés complexes avec des institutions complexes et des populations mobiles et moins facilement lisibles. Cela ramène à la poésie et Antonio Machado « marcheur, c’est en marchant que se fait le chemin » !
Point du vue plus personnel de JMBerthet
La fin de la première journée nous a laissé le sentiment d’une forme de lassitude devant des phénomènes répétitifs : la réforme des collectivités et la poursuite de la décentralisation se font une nouvelle fois sans que les liens avec l’éducatif local ne soient vraiment abordés : de ce point de vue, nous nous retrouvons deux ans en arrière, lorsque nous évoquions l’urgence à lier réforme de l’école et réforme des collectivités et complexité institutionnelle !
Néanmoins, la seconde journée a permis de dépasser cette limite en montrant l’inventivité des terrains, des investissements professionnels et militants. Si le PEDT reste bien évidemment limité dans ses attendus au regard de l’appel de Bobigny, il n’en reste pas moins qu’il peut constituer un levier efficace pour de réelles avancées. Cependant, il ne faudrait pas oublier que l’éducatif local en voie de constitution aujourd’hui semble faire la part belle à la seule initiative locale des collectivités, ce qui pose un double problème : quid de cet investissement en cas de changement des exécutifs politiques ? Quid des inégalités en termes de ressources locales ?
Ou pour le dire autrement, l’Etat, ses services déconcentrés et les Caisses d’Allocations Familiales ont-ils encore une politique éducative locale à défendre ou vont-ils se contenter de ne faire que valider administrativement ces mêmes Projet Educatif de territoire ?