Dans le cadre de l’émission Voxpop, la chaine Arte a présenté cette semaine un reportage sur « l’échec de la privatisation des écoles en Suède ». La correspondante d’Arte, Paula Dahlberg, y explique la défaillance des Friskol, écoles indépendantes subventionnées et gratuites, dont la mise en place date des années 1990 et qui représentent 13% des écoles primaires (2012).
Cette réforme avait pour objectif d’offrir à tous les parents le choix de l’école (et de la pédagogie). Pour ce faire, l’État verse aux écoles un chèque éducation pour la scolarité de chaque élève. Les Friskol sont gérées par des associations, des fondations ou des entreprises. On parle d’entreprise scolaire, de groupes. Ainsi, le groupe Academedia qui gère 94 établissements a été créé par 37 entreprises avec un objectif éducatif, alors que d’autres écoles sont gérées par la société Skanditek dont la vocation est d’être avant tout une société chimique et pharmaceutique 1 .
Et le modèle économique prend l’eau : un collège sur quatre est déficitaire, et les gestionnaires, tout en continuant à rémunérer les actionnaires, cherchent à réduire les dépenses, sur le matériel pédagogique, les locaux mais aussi sur les salaires versés aux enseignants (recrutés par l’école).
Cela contraste quelque peu avec ce que nous savions ou pensions savoir sur le système éducatif suédois. La décentralisation engagée par le gouvernement conservateur au début des années 1990 (les communes ont en charge le financement, l’organisation et le recrutement) a été plébiscitée, notamment par les économistes 2 . Encore récemment, certains ont salué les effets positifs du système de chèque scolaire « pour introduire la compétition entre école et offrir le choix d’une autre école » 3 4 .
Marie Duru-Bellat, lors de la parution des dernières données PISA, constatait, comme bon nombre de parents et enseignants suédois, les travers d’un système devenu inégalitaire : « un pays comme la Suède qui était dans les premières enquêtes un pays à la fois aux performances élevées et égalitaires, a vu ses performances se dégrader sensiblement sur ces deux aspects. Il faut dire qu’en Suède, a été développée depuis les années 1990 une politique de décentralisation des établissements et de libéralisation, avec un système de chèques scolaires permettant aux élèves de choisir leur école ; il s’en est suivi une ségrégation accrue des écoles, dont toute la recherche montre que les élèves les plus défavorisés en paient le prix » 5 .
Étrangement, à la même date, le site Contrepoints publiait une analyse contradictoire. On peut y lire, dans un paragraphe intitulé « qu’en pensent en général les chercheurs ? » : « À l’exception des études militantes, les études scientifiques concluent toutes à peu de choses près que les effets académiques ne sont pas significatifs. Quant aux effets sur la ségrégation sociale, ils sont impossibles à analyser car le développement des écoles indépendantes s’est accompagné en pratique d’une révolution pédagogique (consistant en gros à introduire des méthodes d’apprentissage individualisées laissant beaucoup plus de libertés aux élèves, méthodes qui – selon les chercheurs – tendent à desservir les enfants d’origine sociale modeste). Au niveau financier, on note une légère augmentation des dépenses publiques. La cause en est le statut rigide des professeurs des écoles municipales, qui interdit de réduire autant que nécessaire les effectifs publics lorsque le nombre d’élèves baisse. Les études n’apportent donc aucune conclusion nette » 6 .
Il est assez difficile prendre la mesure exacte de la crise signalée ici ou là. Le débat est exacerbé par des élections législatives toutes proches. Plusieurs écoles indépendantes ont bien été fermées, jetant hors de l’École plusieurs centaines d’élèves (impossible d’avoir un décompte précis). Les parents ayant inscrit leurs enfants dans le secteur privé sont donc inquiets mais restent attachés à une offre pédagogique différente. Quant à la qualité des enseignants, difficile de savoir où se situent les « bons » enseignants : pour les uns les écoles indépendantes ont aspiré les bons élèves et enseignants, pour les autres les restrictions budgétaires dans ces mêmes écoles ont entrainé une sous-qualification des enseignants.
Globalement, les détracteurs d’un marché scolaire trop concurrentiel et fortement ancré dans une vision “marketing” réclament plus de contrôle de la part de l’État, quant à la création de chaque nouvelle école, la qualification des enseignants et la gestion des établissements.
Voir aussi : Plumelle B. (2005). « L’éducation en Suède ». Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 39, septembre, p. 139-146.
- IREF (2013). Les vouchers (chèques éducation) et les écoles libres : l’exemple suédois. [?]
- « Le système scolaire en Suède : la réussite d’une responsabilisation locale ». Meistermann M., Fondation IFRAP, 6 juin 2013. [?]
- Sandström M. & Bergström F. (2002). School Vouchers in Practice: Competition Won’t Hurt You! Stockholm : The Research Institute of Industrial Economics, Stockholm. [?]
- Bölmark Anders & Lindahl Mikael (2012). Independent schools and long-run educational outcomes – evidence from Sweden’s voucher reform. Uppsala : Institute for evaluation of labour market and education policy [?]
- Duru-Bellat Marie (2013). « Pisa : nous et les autres… » Huffingtonpost .fr, 3 décembre [?]
- « Les débats actuels sur l’école en Suède », interview de Marianne Molander Beyer dans les Cahiers pédagogiques, n° 508, octobre 2013. [?]