Le respect des rythmes de vie des plus jeunes et des adolescents implique une bonne connaissance des rythmes biologiques et la mise en place d’une ergonomie adaptée à leurs besoins propres. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Claire Leconte,
chronobiologiste et Nicole Delvolvé, neuroscientifique et ergonome spécialiste du système scolaire.
Ouels sont les consensus des experts sur les rythmes biologiques des enfants_ des ados et des jeunes adultes ?
CL : Adultes, enfants et adolescents, nous sommes réglés sur des rythmes qui varient de 20 à 28 heures : les « rythmes circadiens ». Pour fonctionner, ces rythmes s’appuient sur la synchronisation de quatre horloges principales qui permettent de nous maintenir en forme toute la journée :
– La première régule le rythme veille/sommeil ;
– La seconde, la température centrale, possède aussi une rythmicité circadienne, avec une baisse en début d’après-midi, au moment du creux méridien et en fin de journée au moment de l’endormissement ;
– La troisième horloge, le cortisol, est souvent appelée l’hormone de gestion du stress. Ce dernier atteint son pic au moment de l’éveil spontané. Il baisse au moment du creux méridien et atteint son plus bas niveau en début de nuit ;
– La quatrième horloge, la mélatonine, est souvent appelée l’hormone du sommeil. Elle interrompt sa sécrétion au moment de l’éveil spontané puis est de nouveau produite dès que la lumière baisse. C’est pourquoi il est préférable d’aller se coucher
le soir dans l’obscurité, sans aucun écran.
On sait aujourd’hui que lorsqu’on se couche plus tard, on ne fait que déplacer l’horloge du rythme veille/sommeil ; les trois autres continuent de fonctionner à la même heure. Ainsi, si l’on couche tard un enfant de 3 à 4 ans le samedi soir en espérant faire la grasse matinée le dimanche, cela ne fonctionnera pas. En revanche, si l’on se couche tard, mieux vaut se lever à la même heure le matin et faire une sieste pendant le creux méridien.
Quels sont leurs consensus sur les cycles de sommeil par classes d’âges ?
CL : Chez l’enfant, jusqu’à l’âge de trois ans environ, les cycles de sommeil sont plus proches de 60-70 minutes; chez l’adolescent et l’adulte, ils atteignent 90 minutes. Jusqu’à 8-9 ans, on s’aperçoit que les enfants sont plutôt des matinaux. À l’adolescence, on observe un décalage de toutes les horloges biologiques d’une heure trente environ, avec un plus fort besoin de sommeil. Après l’adolescence, les jeunes acquièrent leur rythme d’adulte et deviennent petits, moyens ou gros
dormeurs.
Y a-t-il des consensus sur les rythmes scolaires les plus appropriés à ces rythmes biologiques ?
CL : Oui, concernant la sieste par exemple, elle doit se faire immédiatement après la prise du repas. La sieste n’est pas une question d’âge, les dormeurs ne sont pas seulement les petits et les besoins sont variables selon l’individu. Il me semble nécessaire d’apprendre aux plus jeunes, dès la maternelle à recon-naître les signes précurseurs du sommeil, comme les
bâillements ou les frissons …. On peut aussi expliquer à l’enseignant qu’empêcher un enfant de bouger les jambes qui est une réaction musculaire lui permettant de rester concentré, ne fera que focaliser l’enfant sur cet interdit ce qui le fatiguera davantage. Pour les plus grands, nous sommes nombreux à préconiser la relaxation.
Je préconise de remettre à plat les 24 heures hebdomadaires, d’allonger les matinées (4 heures) parce que c’est là que les enfants sont les plus attentifs, de faire travailler les élèves deux heures durant deux après-midis et de laisser aux animateurs
les deux après-midis restants pour les activités dites de parcours éducatif. Ceci permet d’articuler les séquences pédagogiques en alternant des activités qui requièrent de la concentration avec des activités centrées sur la motricité ou sur la créativité afin de
maintenir la disponibilité et la motivation.
Que faut-il faire pour organiser les établissements de manière à ce qu’ils prennent en compte les besoins des enfants et adolescents ? Quels sont les principaux freins ?
ND : Le système éducatif français est axé sur la transmission de savoirs, savoir-faire et savoir-être mais il ne forme les enseignants ni aux besoins ni au développement de l’enfant. Pour refonder l’Ecole française, faisons évoluer les représentations, y compris chez les parents ! Par exemple, ne normalisons pas le développement de l’enfant : chaque enfant grandit à sa propre
vitesse ! A l’école, privilégions les pratiques pédagogiques de différenciation, l’autoévaluation par les élèves et repensons les temps de repos et de récréations ! L’Allemagne a remis en cause son système éducatif qui était inefficace pour les apprentissages. En effet, les cours étaient concentrés jusqu’à 15h. Or, c’est à partir de 15h que le cerveau de l’enfant est prêt à apprendre !
Quel que soit le niveau scolaire, respectons le respect des besoins fondamentaux de chacun. L’enfant n’est pas qu’un être social, il est aussi un être biologique. S’il ne satisfait pas ses besoins, il ne pourra ni grandir ni devenir un élève efficace. Des études ont montré que les enfants qui ne font pas ou peu la sieste ont une croissance ralentie. De même qu’il est démontré
qu’un enfant qui ne fait pas la sieste méridienne au bon moment acquiert en fin d’année trois compétences de moins que celui qui la fait au bon moment !
L’émotion est également fondamentale dans l’apprentissage. Quand un enfant a peur, il secrète de l’adrénaline qui bloque les fonctions d’apprentissage. Les notes lui font peur: parents, demandez-lui plutôt ce qu’il a appris que la note qu’il a reçue !
Il est aussi important de rappeler qu’à la maison, les rituels du sommeil et du petit déjeuner sont primordiaux ; la maison ne doit pas être une seconde école après l’école mais bien un cadre sécurisant et aidant pour vivre au mieux l’école. Le sommeil de fin de nuit est le sommeil de mise en mémoire. Un adolescent qui se couche tard parce qu’il travaille trop le soir non seulement ne récupérera pas mais n’apprendra pas non plus. Je me demande d’où est sorti l’idée qu’il fallait retarder l’entrée en classe des lycéens car ils auraient besoin de plus de sommeil, c’est complètement erroné ! Enfin, construisons une culture commune aux
parents, enseignants, collectivités territoriales et décideurs politiques sur les besoins des enfants et le métier d’élève. Par exemple, quand se pose la question de la modification des rythmes scolaires, au lieu de demander aux parents leurs avis, pourquoi ne pas les informer sur la manière dont fonctionne la mémoire humaine ?
Pouvez – vous décrire quelques exemples d’initiatives efficaces basées sur les rythmes de vie des enfants et des adolescents et respectueuses de leurs besoins ?
ND : Dans certains collèges et lycées, les cours sont précédés de deux minutes de pause bien réfléchies, acceptées par tout le monde, améliorant ainsi la disponibilité et donc la réussite scolaire. Prenons un autre exemple, nous avons expérimenté dans des écoles élémentaires de l’Ardèche et du Rhône un accueil échelonné à l’arrivée le matin et l’après-midi et l’organisation d’espaces de surveillance pour les enseignants de manière à ce qu’ils accueillent les enfants directement dans leur classe. Les animateurs périscolaires ont également aménagé le temps méridien en proposant aux enfants une activité à composante physique, suivie d’une activité d’un quart d’heure de temps calme avant qu’ils ne rejoignent la classe. D’autres écoles maternelles
proposent des récréations à la carte permettant aux enfants qui n’ont pas envie de sortir dans la cour de rester avec un enseignant dans une salle pour lire ou jouer calmement. Des enseignants de collège se sont intéressés à la gestion des émotions des élèves. Ainsi, le dispositif « sixièmes pilotes » consiste pour les élèves à faire connaître leurs émotions à leur entrée en classe en choisissant un bracelet qui indique le degré d’émotion dans laquelle ils se trouvent, L’enseignant a ainsi une idée de l’état émotionnel de sa classe. Les évaluations montrent que de tels dispositifs améliorent les scores des élèves qui sont au cours de l’année supérieurs à trois, comparés aux autres classes témoins .
Bibliographie
Mon enfant, cet élève, le guide pour tous les parents
Nicole Delvolvé / Éd, Milan /2004/15 € / ISBN: 978-2-7459-1320-3
Des rythmes de vie aux rythmes scolaires: quelle histoire !
Claire Leconte / Presses Universitaires du Septentrion, Collections
Savoirs Mieux /2011/218 pages /15 € / ISBN: 978-2-7574-0583-3
La chronobiologie et son champ d’application
La chronobiologie a mis en évidence que tout être vivant possède des horloges biologiques qu’il est nécessaire de maintenir synchronisées. Notre horloge principale située au-dessus du croisement des nerfs optiques, nous permet de nous adapter aux alternances entre le jour et la nuit. Cette horloge est le chef d’orchestre de toutes les horloges périphériques.
Quand on parle de respect des rythmes biologiques, il s’agit du respect de la synchronisation des horloges. Tous les rythmes biologiques sont propres à chacun et inscrits dans notre patrimoine génétique. Néanmoins, l’environnement social a une incidence forte notamment sur le maintien du rythme circadien, l’alternance jour/nuit. Pour éviter les désynchronisations internes, on a besoin de ces synchronisateurs sociaux extérieurs. La chronobiologie trouve des applications au travail, à l’école, dans la vie quotidienne et dans le domaine médical.
Qu’est-ce que l’erqonomie du système scolaire ?
L’ergonomie du système scolaire s’intéresse à l’aménagement du système scolaire en terme de temps scolaires et périscolaire et aux conditions de vie et de travail des élèves. Elle analyse la pédagogie, les supports didactiques, les espaces, l’éclairage,
l’ergonome trouve le meilleur compromis, dans un cadre contraint, pour que l’enfant trouve ou retrouve un équilibre dans sa situation d’apprentissage.