In Libération – le 14 novembre 2013 :
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Devant la polémique brutale et grotesque portée par une coalition hétéroclite rassemblant des organisations qui d’ordinaire s’opposent et des regroupements d’acteurs, usagers, partenaires de l’école qui privilégient l’égoïsme individuel au progrès collectif, il nous est apparu, au regard de notre expérience et des connaissances acquises sur ce sujet au cours de plusieurs décennies, comme une «ardente obligation» de remettre la raison et les faits au centre de cette tempête fortement médiatisée, voire orchestrée.
Avant, et cela nous paraît essentiel actuellement, il faut rappeler les trois raisons fondamentales de la nécessité de changer notre organisation du temps scolaire. D’abord, la France possède toujours et, cela n’a pas changé ces derniers mois, l’organisation du temps scolaire la plus aberrante d’Europe et, pour élargir, des pays de l’OCDE.
Le plus petit nombre annuel de jours de classe, les vacances les plus longues, la semaine (jusqu’en 2014) la plus courte, le nombre annuel d’heures d’enseignement (pour les petites classes) le plus important. Le tout avec des programmes d’enseignement quasiment inchangés et alourdis par une pédagogie de l’évaluation.
Les méfaits de cette singularité, tant sur la fatigue des élèves que celle des enseignants et l’organisation de l’école et son climat, ont été mis en évidence par les chronobiologistes et les chronopsychologues, et des instances de diagnostic telles que l’Académie de médecine, l’Inspection générale de l’éducation nationale, la Cour des comptes, une commission de l’Assemblée nationale, la Conférence nationale sur les rythmes scolaires du ministère de l’Education nationale.
Ensuite, depuis plus de dix ans les résultats (selon le programme Pisa, programme international pour le suivi des acquis des élèves) des jeunes français de 15 ans baissent régulièrement. Sans oublier un fait, peut-être le plus significatif de la scolarité dans notre pays : la France se classe 23e sur 24 pays classés pour les «inégalités scolaires» (Unicef/Pisa).
Enfin, toutes les évaluations des politiques d’aménagement du temps scolaire réalisées entre 1985 et 1998, période de la «complémentarité éducative» scolaire/ périscolaire concrétisée par des contrats Etat-collectivités locales, ont démontré l’intérêt d’utiliser le levier de l’aménagement du temps pour améliorer le fonctionnement de l’école, le comportement et la réussite des élèves, pour diminuer la fatigue et le stress des acteurs et usagers de l’école et améliorer leur qualité de vie au travail.
Ces trois raisons fondamentales reposant sur des constats ont été reprises par les responsables politiques représentatifs toutes tendances confondues. N’est-ce pas Luc Chatel (en mars 2010) qui, après dix ans de silence sur ce sujet, a «relancé la nécessité d’ouvrir le chantier des rythmes scolaires qui n’est pas uniquement une organisation sur quatre jours ou quatre jours et demi, mais concerne aussi l’amplitude de la pause méridienne, la charge de travail pour les élèves tout au long de la journée et le nombre de jours de classe par an» ? N’est-ce pas Michèle Tabarot (présidente de la Commission des Affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale) qui déclarait (décembre 2010) «qu’il fallait interdire la semaine de quatre jours», «raccourcir les vacances d’été», «différencier le temps scolaire selon l’âge des enfants», «faire de l’école un lieu de vie et non de cours en alternant l’enseignement et les activités scolaires» et indiquait que «les avantages d’une semaine de cinq jours ne seraient pas négligeables» ?
Enfin n’est-ce pas François Hollande, nouveau Président, qui, lors de la remise du rapport de la concertation d’octobre 2012 à la Sorbonne, précisait que le changement de rythmes scolaires «était un des leviers majeurs pour la refondation de l’école» ?
Après ces rappels qui resituent le débat actuel; il est temps d’aborder (à la lumière de la centaine de débats auxquels nous avons participé depuis un an) d’une part quelques observations sur la situation actuelle et d’autre part de suggérer quelques pistes susceptibles d’être reconnues comme raisonnables et constructives.
Sur la situation actuelle
D’abord, il ne faut pas se voiler la face. Du constat général ressort un sentiment d’impréparation pour une majorité des acteurs et des organisations concernées et pourtant continûment sensibilisés à cette problématique depuis… juin 2010.
On observe aussi de fortes résistances au changement de la part d’une majorité d’enseignants, de collectivités locales et d’associations culturelles et sportives; l’importante mobilisation de la plupart des parents d’élèves pour que ce levier de changement s’inscrive dans la réalité locale. Mais aussi une fréquente méfiance réciproque des deux acteurs éducatifs liés par le projet éducatif territorial, les enseignants et les animateurs, l’Education nationale et les collectivités locales.
On constate également la difficulté d’aménager le temps scolaire pour les écoles maternelles, plus particulièrement dans l’articulation avec les activités périscolaires tant sur le plan des contenus que sur celui de l’organisation.
Enfin, on observe des comportements et pratiques de responsables (élus locaux et Education nationale) qui sont loin d’être homogènes et se répartissent sur un spectre qui va de «l’immobilisme» à «l’enthousiasme innovant».
Quelques pistes
Il ne s’agit en aucune façon de revenir en arrière. La semaine de quatre jours est définitivement enterrée. Droite comme gauche, syndicats majoritaires comme principaux partenaires de l’école, médecins comme chercheurs, sont tous d’accord sur ce point. En revanche, il nous semble possible d’améliorer le dispositif actuel sur trois points.
D’abord, introduire une plus grande souplesse d’organisation du temps scolaire, qui ouvre aux enseignants comme aux collectivités locales par les innovations possibles une véritable appropriation du projet par les acteurs.
Ensuite, mieux prendre en compte l’âge des enfants qui permet de réexaminer l’obligation d’intégrer systématiquement les écoles maternelles dans le dispositif de réorganisation du temps scolaire. Peut-être est-ce ici opportun de rappeler que depuis 1984, la quasi-totalité des contrats signés entre l’Etat et la collectivité locale ne concernait que les écoles élémentaires.
Il faudrait aussi envisager sérieusement, au regard de la volonté du gouvernement de démocratiser pour tous les enfants l’accès à la culture et au sport (dans un souci de développement personnel et de réussite éducative, mais aussi du renforcement du lien social), une pérennisation de l’aide apportée par l’Etat en rapport avec le contexte et l’ambition éducative locale.
Enfin, dépasser les clivages adultes qui, une fois de plus resurgissent, et placer l’enfant au centre du débat en favorisant sa réussite, le développement harmonieux de ses rythmes, par la mise en place d’aménagements des temps scolaires et périscolaires adaptés.
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