In Le Nouvel Observateur – le 14 novembre 2013 :
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Alors que les profs défilent contre la réforme, Christian Forestier, ex-président de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires, dénonce le "corporatisme" enseignant et l’"hypocrisie" de certains parents.
Christian Forestier est en colère. Cet inspecteur général honoraire de l’Education nationale, ancien recteur de l’académie de Versailles et coprésident du comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires (initiée par Luc Chatel, le prédécesseur de Vincent Peillon), s’indigne que les enseignants défilent jeudi 14 novembre contre le retour de la semaine de quatre jours et demi. Il s’en explique.
Pas loin d’un enseignant sur quatre a fait grève aujourd’hui contre la réforme des rythmes scolaires. Qu’en pensez-vous ?
– C’est un concentré de mauvaise foi et d’hypocrisie ! On ne peut pas être à la fois le pays où les enfants de l’école primaire ont le plus grand nombre d’heures de cours et où ces heures sont concentrées sur le plus petit nombre de jours de classe. Sauf à imaginer que nos enfants sont génétiquement différents de ceux du reste du monde… Dans ces défilés, dans ces grèves, l’intérêt des enfants passe au second plan, c’est ce qui m’indigne le plus. Alors que tout le monde était d’accord pour abolir les quatre jours de classe hebdomadaires [décidés par Xavier Darcos en 2008, NDLR] !
Tout le monde était d’accord ?
– Et en premier lieu l’UMP, que l’on entend aujourd’hui se déclarer hostile à la réforme. A l’époque où Luc Chatel était ministre en 2010, un rapport parlementaire, rédigé par deux députés de droite, Jacques Grosperrin et Michèle Tabarot, demandait le retour de la semaine de cinq jours ! Et à droite encore, on accusait Luc Chatel de ne pas conduire cette réforme assez rapidement. L’année suivante, les fédérations de parents d’élèves demandaient, eux, le retour aux quatre jours et demi. Quant aux syndicats, si l’on excepte les plus radicaux, comme Sud ou FO, tous reconnaissaient que la semaine de quatre jours était indéfendable. C’est bien simple, c’est la mesure qui rassemblait le plus de consensus !
Mais que s’est-il passé ?
– Nous avons oublié une chose : faire revenir les enfants quatre jours et demi, c’était aussi faire revenir les enseignants quatre jours et demi… Ce qui me scandalise particulièrement, c’est la situation parisienne, où les profs sont plus remontés qu’ailleurs. Il faut le rappeler : à Paris, ils sont déchargés des activités artistiques et musicales, prises en charge par des professeurs rémunérés par la Ville de Paris. Si on les entend tellement, croyez-vous que ce soit pour le "bien" des enfants ou pour défendre leurs avantages ? Leur corporatisme, à ce degré, est intolérable !
Mais l’on entend aussi l’inquiétude des familles…
– Soyons clairs : dans notre système, 20% des enfants arrivent en fin d’école primaire sans maîtriser les apprentissages fondamentaux. Le double de la moyenne de nos voisins de l’OCDE, excusez du peu ! Or, d’où viennent ces enfants en échec scolaire qui, pour beaucoup, deviendront les décrocheurs de demain ? Des familles les moins favorisées, bien entendu. Cette réforme des rythmes scolaires est pensée avant tout pour ces familles et pour permettre de rattraper un impardonnable retard français. Alors effectivement, les ménages les plus avantagés et même ceux des classes moyennes n’en voient pas la nécessité : que leurs enfants aillent quatre jours ou quatre jours et demi par semaine n’est pas décisif. J’y vois un égoïsme de classe faramineux !
Le fait est que cette réforme sera coûteuse pour certaines communes…
– C’est vrai, le périscolaire a un coût, nous ne l’avons jamais nié. Mais c’est une question de choix politique : est-ce que les maires sont prêts à faire des enfants une vraie priorité ? Quand j’entends Bernard Brochand, le maire de Cannes, dire qu’il n’a pas les moyens de conduire cette réforme, les bras m’en tombent. Je ne sache pas que Cannes est une ville sans le sou ! Mais quels sont les choix politiques de M. Brochand ?
Propos recueillis par Arnaud Gonzague – Le Nouvel Observateur