In Le Monde – le 2 septembre 2014 :
Accéder au site source de notre article.
Cinq jours après sa nomination au poste de ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem semble avoir déjà pris ses marques Rue de Grenelle et pensé une stratégie pour chacun de ses dossiers phares.
La nouvelle ministre aborde ses nouvelles fonctions forte de ses précédents portefeuilles ministériels. Qu’il s’agisse des droits des femmes, de la ville ou de la jeunesse, elle se réfère volontiers à ses expériences antérieures, qui l’ont aidée à se construire une culture de l’éducation.
Vous êtes le troisième ministre de l’éducation depuis mai 2012. En dépit de ces ruptures, la refondation de l’école engagée alors est-elle toujours d’actualité ?
Bien sûr. Changement de ministre ne veut pas dire rupture, la refondation de l’école continue. C’est un mouvement ambitieux que nous avons engagé collectivement en mai 2012, pour redonner à l’école française les moyens de répondre aux exigences d’une société de la connaissance et aux défis d’un déterminisme social devenu insupportable. Une loi ambitieuse a été votée et je veillerai à ce qu’elle s’applique dans toutes ses dimensions.
Comment rassurerez-vous ceux qui lisent votre nomination comme une provocation et ne voient en vous qu’une militante des ABCD de l’égalité ?
Les ABCD de l’égalité, loin des divagations de ceux qui me font un procès d’intention, n’ont jamais prôné l’indifférenciation des sexes mais, comme leur nom l’indique, l’égalité entre filles et garçons. Quel parent ne souhaite pas les mêmes opportunités de réussite pour ses enfants ? Cela passe par des enseignants qui veillent à ne pas traiter, inconsciemment, de façon différenciée filles et garçons (dans la distribution de parole, dans les attentes exprimées, dans les notations et sanctions…), confortant ainsi les inégalités que tout le monde constate dans les orientations scolaires et les parcours professionnels des femmes et des hommes.
Vous avez annoncé, en juin, la fin de l’expérimentation et le lancement d’un nouveau « plan d’action ». En quoi consiste-t-il ?
Les personnels éducatifs seront désormais systématiquement formés, notamment dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, et disposeront d’outils pédagogiques de qualité pour transmettre une culture de l’égalité, de la mixité et du respect entre filles et garçons. Enfin, nous renforcerons le lien avec les parents pour qu’ils comprennent la démarche. La défiance face à l’école, quoique très minoritaire, qui s’est manifestée dans les journées de retrait de début 2014, est très grave. Je l’ai dit, je souhaite faire de l’école un havre de paix.
Des appels au boycott circulent pour le 3 septembre, pour s’opposer à la demi-journée d’école du mercredi. Comment allez-vous faire face à l’opposition à la réforme des rythmes ?
D’abord, l’école est obligatoire et les premiers pénalisés par un tel refus de s’y rendre seraient les enfants. Ensuite, la réforme des rythmes scolaires est une bonne réforme, qui va permettre aux écoliers de mieux apprendre à lire, écrire et compter. Quatre mille communes l’ont mise en place en 2013 et les 20 000 autres le font à cette rentrée. Dans l’immense majorité des communes, cette réforme n’est plus mise en cause et le dialogue a permis de dépasser les problèmes d’organisation.
Lire aussi (édition abonnés) : Rythmes scolaires et égalité filles-garçons, deux sujets à hauts risques pour la ministre
Je sais que les élus ont pu être confrontés à des difficultés pratiques, mais les aménagements rendus possibles par mon prédécesseur [le décret Hamon du 7 mai a assoupli le cadre de la réforme fixé par le décret Peillon du 23 janvier 2013] ont permis de les surmonter. Enfin, le fonds d’amorçage est prolongé. Je serai donc ferme sur les principes : si des maires ne font pas respecter la loi, les préfets le feront à leur place. Le droit à la scolarisation des enfants dans notre république ne souffrira pas d’exception.
Lire le décryptage : La réforme des rythmes scolaires peut-elle devenir populaire ?
Un syndicat de professeur des écoles avance que 74 % des enseignants jugent négatif l’impact de la réforme sur leur travail.
Lors des séminaires interacadémiques qui se sont tenus entre février et mars sur ce sujet, les enseignants passés aux nouveaux rythmes ont rapporté les nombreux effets vertueux de cette nouvelle organisation : l’amélioration des apprentissages, du climat en classe, de l’organisation des activités. Sans parler même de la justice sociale, qui consiste à permettre à un nombre d’enfants sans équivalent d’accéder, dans le cadre du périscolaire, à des activités artistiques, culturelles, sportives, dont tout le monde sait bien l’importance dans la construction personnelle.
Il n’est pas de réforme qui n’engendre ici ou là des difficultés d’application. Je les comprends, et mon ministère est là pour apporter des solutions concrètes aux cotés des acteurs locaux. Mais encore une fois la réforme s’appliquera et les retours que j’ai des équipes éducatives me laissent penser, et je les en remercie, qu’elles sont mobilisées pour sa réussite.
Benoît Hamon a juste eu le temps d’engager un travail sur la notation bienveillante. Quel sera votre dossier phare ?
Le travail sur l’évaluation des élèves, qui ne vise pas à supprimer les notes mais à rendre l’évaluation plus exigeante, pour qu’elle stimule les élèves au lieu de les décourager, me tient à cœur. Mais pour ma part, j’accorderai une importance toute particulière à rapprocher de l’école les parents qui n’en connaissent pas les codes, les arcanes, le langage, qui n’y mettent jamais les pieds, soit qu’ils n’ont jamais eu la chance d’y aller eux-mêmes, soit qu’ils n’en gardent pas un bon souvenir.
Lutter contre cette défiance est l’une des clés de la réussite des élèves. Je veillerai donc à améliorer l’accueil des parents à l’école, comme nous allons le faire de façon systématique chaque matin dans les réseaux d’éducation prioritaire. Je suis avec intérêt le dispositif qui laisse aux familles le dernier mot sur l’orientation scolaire de leurs enfants en fin de collège. Rendre les familles maîtresses du destin scolaire de leurs enfants ne signifie pas déposséder les enseignants, mais favoriser une véritable alliance entre les familles et l’école.
Se pose la question des 60 000 postes promis par François Hollande. Avez-vous des garanties ?
Les arbitrages ont été actés par le premier ministre pour la période 2015-2017. La priorité à l’éducation ne sera pas remise en cause. Plus de 22 000 postes ont déjà été créés entre 2012 et 2014. Il en reste 32 000 à créer pour parvenir à l’objectif des 54 000 postes en 2017 (60 000, si on ajoute l’enseignement supérieur et l’enseignement agricole).
Certains postes mis au concours ne sont pas pourvus parce que le métier d’enseignant n’attire plus…
Après une période de destruction massive de postes dans l’éducation nationale sous la précédente mandature, qui a contribué à dévaloriser le métier d’enseignant, il ne faut pas s’étonner de n’avoir pas vu se présenter d’innombrables candidats aux concours que nous avons rouverts. Il faut un certain temps aux étudiants pour adapter leur parcours et leur choix de concours à une nouvelle donne. Nous leur avons adressé un signal fort : celui que l’Etat recrutait à nouveau et nous commençons à en récolter les fruits. A la session 2014, il y a eu davantage de postulants et le niveau s’améliore. Je serai par ailleurs vigilante à ce que les emplois d’avenir professeur se déploient avec l’ambition que nous leur avions donnée car je crois beaucoup à la valeur de cette nouvelle possibilité.
Quelle est votre position sur le socle de connaissances, de compétences et de culture ; objectif que la nation se fixe pour tous ses jeunes ?
Le conseil supérieur des programmes a élaboré un projet. La direction de l’enseignement scolaire va consulter les enseignants à l’automne pour que, sur la base de leur avis, le texte soit finalisé. Ce socle est essentiel à mes yeux. Il doit être ambitieux et utilisable dans les classes. Je ne souhaite pas qu’il se limite à définir un minimum pour tous, mais qu’il définisse clairement une excellence pour le plus grand nombre.
A ce propos, avez-vous arrêté votre choix pour le remplacement du président du conseil supérieur du programmes ?
Pas encore. Je vais consulter dans les jours à venir et arrêterai ensuite mon choix très rapidement.
Etes-vous déterminée à mener la révision de l’éducation prioritaire promise en 2013 ?
C’est un de mes grands chantiers. Je vais y travailler pour que nous ayons à la rentrée 2015 un nouveau périmètre des réseaux d’éducation prioritaire qui soit cohérent avec la réalité des difficultés sociales des familles. Le nombre de réseaux restera inchangé (1 081), mais certains établissements quitteront le dispositif, tandis que d’autres le rejoindront. Je sais la complexité de ce type de réformes. Mais je veillerai à la conduire dans le dialogue, l’écoute et la transparence, et je serai attentive à ce que les personnels des établissements sortants n’en subissent pas soudainement les effets sur leurs conditions de travail ou de traitements.
Vos prédécesseurs souhaitaient ouvrir le dossier du collège. Verra-t-on une réforme avant 2017 ?
Depuis 2012, nous procédons dans l’ordre. Après l’école primaire, nous allons passer au collège. Je vais ouvrir en janvier une réflexion pour sortir de l’uniformité et aller vers une meilleure prise en compte de tous les élèves, tout en conservant le cadre du collège unique. En parallèle, nous lancerons une évaluation de la réforme du lycée.
Que souhaitez-vous dire aux enseignants pour leur rentrée ?
Je souhaite à chacun de se retrouver dans une équipe harmonieuse au sein de laquelle pourra être mené un vrai travail collectif, que je crois essentiel à la qualité de l’enseignement. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation sont d’ailleurs un bon outil pour cela, que nous allons encore perfectionner.
Beaucoup d’enseignants regrettent que l’arrivée de la gauche n’ait rien changé dans leur quotidien. Avez-vous conscience de ce reproche ?
On est toujours plus exigeant à l’égard d’un pouvoir qu’on sait acquis à la cause, d’un executif qui crée 60 000 postes, que d’un gouvernement qui en détruisait 80 000, je ne m’en froisse pas et veillerai au contraire à écouter en permanence ce qu’ils ont à nous dire en allant les voir très régulièrement sur le terrain. Je vais poursuivre le chantier sur la revalorisation de leurs métiers, pour les enseignants comme pour les personnels non enseignants. Enfin, l’éducation s’inscrit dans un temps long. Les effets des politiques que nous menons – avec les créations de postes, l’éducation prioritaire, le numérique, etc. – seront perceptibles à moyen terme sur le terrain.
- Mattea Battaglia
Journaliste au Monde
- Maryline Baumard
Journaliste au Monde
Aurélie Collas
Journaliste au Monde