In Le Monde Education – le 12 novembre 2013 :
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Cette deuxième semaine de novembre s’annonce décisive pour le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, confronté à la montée des oppositions, notamment sur la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires. Celle-ci ne concerne que 20 % des écoles en cette rentrée – dont celles de la capitale -, mais elle doit s’étendre aux 80 % restants l’an prochain.
Les premiers à débrayer à Paris, mardi 12 novembre sont les agents de la ville à l’appel des syndicats CGT et UNSA, avant le tir de barrage qui doit réunir enseignants et personnels territoriaux, jeudi 14 novembre. Dans 520 des 663 écoles parisiennes, il ne devait pas y avoir d’activités périscolaires ni de cantine. Dans 41, certains temps périscolaires seront assurés, d’autres pas. La mairie a demandé aux parents de récupérer "si possible" leurs enfants de 11 h 30 à 13 h 30 ainsi qu’à 15 heures.
Les animateurs parisiens, dont les syndicats ont été reçus jeudi 7 novembre à l’Hôtel de Ville, n’ont pas l’intention de "jeter l’éponge", assure Jean-Pierre Lubek, secrétaire de l’UNSA-Animation, syndicat des personnels de l’animation à Paris. Mais ils entendent "obtenir les moyens financiers et humains de mener correctement leur mission".
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Votre syndicat n’a pas participé, l’hiver dernier, aux journées de mobilisation, massives, des enseignants parisiens contre la réforme des rythmes scolaires. Il est pourtant le premier à appeler à se mobiliser à Paris. Pour quelles raisons ?
Il faut d’abord clarifier ce qui pourrait être un malentendu : nous n’appelons pas à faire grève, ce mardi, pour l’arrêt de la réforme des rythmes scolaires. La très grande majorité des animateurs parisiens, quel que soit leur niveau de responsabilités, ne souhaite pas jeter l’éponge. Ils sont engagés dans un énorme chantier de reconstruction d’un pan entier de la vie scolaire des enfants qui leur demande, depuis plusieurs mois, des efforts considérables. Les premiers résultats, même s’ils peuvent sembler fragiles, les encouragent à persévérer.
Contrairement à ce qui a été dit, très peu de REV [les "responsables éducatifs Ville", des anciens directeurs des centres de loisirs chargés d’appliquer la réforme sur le terrain] ont démissionné de leur fonction. Sur les 285 qui ont pris leurs fonctions, moins d’une dizaine se sont retirés. Compte tenu de l’urgence qui a prévalu dans la mise en oeuvre du dispositif, compte tenu aussi de la complexité du projet décidé par la municipalité (7 700 ateliers organisés dans 663 écoles, les mardis et vendredis après-midi), et au regard de l’ambiance pour le moins "nerveuse" qui règne au sein des écoles, cela témoigne plutôt d’une vraie motivation professionnelle…
En contrepartie, la municipalité doit nous donner les moyens humains et financiers de mener correctement nos missions. Si elle n’est pas prête à investir ce qui est nécessaire, autant qu’elle arrête aujourd’hui [elle a déjà budgété 50 millions d’euros en année pleine]. C’est la raison de notre appel à la mobilisation ce 12 novembre, et au regard de ce qui nous remonte des écoles, cette grève devrait être massive.
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Les animateurs n’ont-ils pas beaucoup à gagner de cette réforme, qui leur permet de prendre part à trois heures d’activités périscolaires en plus chaque semaine, en contrepartie du retour en classe le mercredi matin ?
En amenant les animateurs et les directeurs des centres de loisirs à s’engager dans de nouvelles responsabilités, de nouvelles pratiques, cette réforme ne pouvait qu’entraîner une évolution de leurs statuts et rémunérations. La Ville l’a compris immédiatement. L’accès à la catégorie B des REV, la titularisation de 250 contractuels, la contractualisation des vacataires – même à temps partiel… – étaient des conditions minimales pour "tenir" le dispositif. Conditions minimales, mais pas suffisantes : dès la deuxième semaine de septembre, il est apparu que la charge de travail des REV était trop lourde.
Des mesures d’ajustement ont été accordées : augmentation du nombre de postes de directeurs de point d’accueil – pour soulager les REV -, rémunération des heures supplémentaires… Mais tout n’est pas encore réglé, loin s’en faut. Il faudrait plus d’animateurs à temps complet. Que certains temps de travail soient pris en compte. Que la situation des animateurs en stand-by de 13 h 30 à 15 heures, les mardis et vendredis – entre la pause de midi et le début des ateliers périscolaires – soit réglée. Que le suivi de l’hygiène des petites sections de maternelle soit pris à bras le corps. Cette liste n’est pas exhaustive.
Certains syndicats d’enseignants dressent déjà un bilan négatif de la réforme, quand le ministère de l’éducation vient d’annoncer que wa mise en œuvre est satisfaisante dans 93,5 % des cas. Le grand écart… Quel est le sentiment de votre syndicat ?
Nous tirons un premier bilan diversifié. Oui, pour les écoles maternelles, il faut réfléchir à une meilleure adaptation des rythmes et des activités, repenser le projet, le faire évoluer… Les capacités d’attention d’un enfant de maternelle sont courtes ; elles ne collent pas avec des créneaux d’une heure et demie d’ateliers. La question de la sieste des plus petits a déjà été tranchée – il ne faut plus les réveiller.
Dans les écoles élémentaires en revanche, le mois de septembre a montré qu’il étaient possible de faire – et de réussir – beaucoup de choses. Certes, certaines écoles, de par leur exiguïté, sont confrontées à des problèmes de locaux. Seule une externalisation de certains ateliers peut aider à les résoudre, mais encore faut-il que l’environnement territorial soit favorable. Les "grosses" écoles exigent davantage de moyens pour sécuriser les sorties – à 15 heures puis à 16 h 30.
Mais ce qui selon nous menace le plus la sécurité des enfants, c’est le niveau de contribution des directeurs d’écoles et des enseignants avec les équipes d’animation. Quand la collaboration est active – et c’est le cas dans de nombreuses écoles, mais hélas pas dans toutes – aucun problème ne se pose vraiment.
On a entendu beaucoup d’enseignants, beaucoup de parents également mettre en doute la qualité de la prise en charge des écoliers. Que répondez-vous à leurs critiques ?
La qualité des activités est, il est vrai, variable d’une école à l’autre. Mais tout dépend aussi du niveau d’exigence. Des parents protestent parce que leurs enfants font des jeux de société. Mais ces jeux n’ont-ils aucune place à l’école, aucun apport en matière éducative ? Combien d’enfants jouent-ils encore dans le cadre familial ? Et dans quel milieu social joue-t-on régulièrement à ces jeux-là ? La nature des activités éducatives mérite d’être mise en débat : la seule activité éducative profitable aux enfants est-elle celle qui relève d’une technicité forte, celle qui porte un titre ronflant ?
Il y a, dans ce domaine, des poncifs et des clichés sociaux à revisiter. Dans beaucoup d’écoles, les animateurs se font l’écho de la satisfaction des enfants, il n’y a aucune raison de ne pas les croire. Si ces ateliers survivent aux pressions multiples – de parents ou d’enseignants -, le temps permettra encore d’améliorer les choses.
Lire notre récit (édition abonnés) : Rythmes scolaires : la semaine noire de Vincent Peillon
Selon vous, pourquoi le retour à la semaine de 4,5 jours d’école suscite-t-il autant de résistances, alors même qu’il semblait faire consensus, du moins sur le principe ?
Que cette réforme percute les habitudes de l’école, c’est évident. Les ateliers périscolaires ne représentent en tout que trois heures supplémentaires par semaine. Certains affirment que ces trois heures ont "envahi" l’école, qu’il n’y en a plus que pour le périscolaire. Bien sûr, il envahit trois heures par semaine les salles de classe, mais notre sentiment est qu’il a surtout envahi les esprits, déplacé des repères, et, pour une grande partie des enseignants, d’une manière non consentie.
Nous comprenons bien le malaise, les frustrations que cela peut créer. Mais de leur côté, les animateurs subissent la pression des nouvelles responsabilités, des dispositifs pratiques et administratifs à mettre en œuvre, et, qui plus est, parfois un environnement agressif au sein de l’école. Beaucoup d’enseignants et de directeurs d’école nous disent : "On ne fait pas ça contre vous personnellement, c’est parce qu’on est contre la réforme…" C’est devenu une phrase culte qui fait sourire les REV. En attendant, les animateurs doivent se débrouiller comme ils le peuvent. C’est pour nous la difficulté principale. Et le défi : retrouver au sein des écoles un mode de travail coopératif. Mais nous en laissera-t-on le temps ?
Par Mattea Battaglia