In Le blog pour la reconstruction de l’école – 7 février 2013 :
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La réforme des rythmes scolaires pose la question des conditions de travail réelles des enseignants et oblige à les traiter sérieusement – enfin !
Le décret portant réforme des rythmes scolaires dans le premier degré semble permettre de rejouer une pièce à succès de la politique française, celle du ministre réformateur confronté au « corporatisme » des enseignants qui le contestent. Avec un double risque : celui d’assimiler les professeurs aux positions caricaturales de certaines de leurs organisations syndicales, et celui de ne pas comprendre les situations concrètes et les problèmes réels qui en découlent. Insatisfait de la réforme des rythmes proposée par Vincent Peillon, mais refusant également de s’engager dans une contestation sans perspectives, le Sgen-CFDT estime que ce dossier crucial pour notre école mérite mieux que ce schéma caricatural.
Revenons d’abord sur ce qui est en jeu. Tout le monde s’accorde pour dire que l’organisation scolaire du premier degré aujourd’hui est la plus contreproductive qui soit du point de vue pédagogique. Des journées aussi longues et des semaines « hachées » pèsent sur les capacités d’apprentissage des enfants et expliquent sûrement pour partie la baisse de leurs résultats. La « refondation de l’école » s’étant donné l’école primaire pour priorité, il est logique qu’une réforme des rythmes vienne compléter l’effort que programme la nation pour la formation des enseignants, le recrutement de maîtres surnuméraires ou l’accueil des moins de trois ans.
Mais la refonte des rythmes scolaires est aussi une nécessité du point de vue syndical – on l’oublie un peu trop. Depuis bientôt cinq ans que la semaine de quatre jours a été instituée, on en voit les conséquences néfastes pour nos collègues, dans les remontées du terrain comme dans les enquêtes plus scientifiques. La concentration du temps scolaire sur un petit nombre de journée et l’accélération du travail qui en résulte ont fait exploser les symptômes de fatigue professionnelle, qui atteignent chez nos collègues du premier degré une fréquence aussi inédite qu’alarmante. Et au-delà des situations de « burn out », la réforme de Xavier Darcos a fait perdre son sens à un métier qui repose fondamentalement sur le temps donné aux relations humaines, avec les élèves, les parents ou les collègues. Oublier cette réalité, pour une organisation syndicale, ce serait trahir nos collègues.
Si la réforme des rythmes peut leur être bénéfique, alors pourquoi des enseignants y sont-ils à ce point hostiles ? Le problème est que le mercredi sans classe est la seule contrepartie tangible pour les enseignants à la dégradation silencieuse de leurs conditions de travail. La société française a ainsi acheté par des « vacances » une relative paix sociale dans ses écoles élémentaires au fur et à mesure que les moyens de fonctionnement y étaient supprimés. La difficulté vient de ce que la réforme des rythmes scolaires retire aux professeurs des écoles cette compensation sans qu’une amélioration de leurs conditions de travail soit encore perceptible. Pour beaucoup, la réforme des rythmes ressemble ainsi à un pari sur l’avenir, pas simple à tenir au sortir d’une période extrêmement conflictuelle dans l’éducation nationale.
Le débat ne pourra sortir de l’ornière qu’à trois conditions. La première est que la réforme des rythmes soit de grande ampleur, afin que la réduction de la journée scolaire soit conséquente. Le décret signé par Vincent Peillon a le mérite de poser le problème, mais il le fait dans un cadre trop étriqué, trop contraint pour être pleinement satisfaisant. Il aurait fallu ne pas s’imposer de tabous, même sur le calendrier annuel, ne pas hésiter à réduire un peu le nombre d’heures en classe entière – la qualité du travail pédagogique étant au moins aussi importante que sa quantité. Il aurait aussi fallu étendre la réflexion au second degré, le problème des rythmes d’apprentissage ne s’arrêtant pas, comme par magie, à la porte des collèges. La réforme des rythmes ne peut donc réussir que si on lui donne sa pleine dimension, en réunissant tous les acteurs de l’école en une vaste concertation ayant pour mission de parachever la réforme des rythmes.
La seconde condition est que l’on traite les problèmes concrets que posent aux professeurs des écoles la réorganisation de la journée scolaire et le développement du périscolaire. L’exemple le plus crucial est l’allongement de la pause méridienne souhaité par nombre de grandes villes : cela revient à une augmentation du travail posté de nos collègues sans compensation, et souvent même sans possibilité d’utiliser ce temps pour leur travail personnel – les bureaux étant inexistants ou inappropriés, et les salles de classes occupées par les nouvelles activités. Les professeurs ne doivent pas payer d’une dégradation de leurs conditions de travail la rentabilisation de l’investissement municipal. Bien au contraire, cette réforme doit être l’occasion d’améliorer enfin leurs conditions de travail au quotidien.
Plus globalement, nos collègues ont droit de faire valoir sans honte leur intérêt de salariés, de demander que la réorganisation du temps scolaire prennent en compte aussi leurs exigences. Cela suppose donc, et c’est la troisième condition d’une réforme réussie, qu’il n’y ait pas de schéma uniforme sur l’ensemble du territoire et qu’il existe des marges de choix réelles au niveau des écoles. Le dialogue social doit donc se décentrer du ministère vers les municipalités. Or, les structures d’une concertation digne de ce nom n’existent pas sur le terrain : un conseil d’école ne pèse rien face à une municipalité de plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de milliers d’habitants. La réussite de la réforme exige donc que l’on crée, localement, les conditions d’un vrai dialogue social entre les directeurs académiques, les municipalités et les personnels. Ces derniers méritent le respect dû à tout salarié, mais aussi plus particulièrement à leur statut de cadres de la fonction publique.
La conviction du Sgen-CFDT est qu’une réforme des rythmes scolaires est non seulement souhaitable, mais urgente, et surtout qu’il est possible qu’elle soit profitable à tous, enseignants comme élèves, pour peu qu’on s’en donne les moyens. Le corporatisme supposé, chez les enseignants comme dans n’importe quelle profession, n’est jamais que le refuge de la revendication quand la démocratie sociale ne fonctionne pas. Or, celle-ci reste à construire dans l’Education Nationale.
Frédéric SEVE, Secrétaire Général du Sgen-CFDT