In Le Nouvel Observateur – le 18 mai 2014 :
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A l’école Anatole-France d’Arras, la mise en oeuvre de la réforme Peillon n’allait pas de soi. Mais les enfants ont fini par trouver le bon tempo. Reportage.
Mais il est possible que la mairie de centre droit profite de l’assouplissement du dispositif proposé par Benoît Hamon pour l’année prochaine. Dans le centre historique, l’école Anatole-France draine un public fragile venu de deux cités voisines ; "40% des parents sont au chômage", note le directeur, Jean-Marie Parsis. L’établissement, qui a conservé ses bâtiments de brique et de pierre autour d’une cour plantée de tilleuls, compte 220 élèves répartis dans dix classes, dont deux spécialisées pour les enfants malentendants.
Il est 15h45. La classe est finie, bienvenue aux TAP – les temps d’activités périscolaires : 45 minutes chaque après-midi – sauf le mercredi. Les enfants ont le choix entre langues étrangères, sport, culture et sciences. Une vingtaine de petits du cours préparatoire démarrent un cycle théâtre, programmé jusqu’à la fin de l’année.
Exercices de détente
"Qui en a déjà fait ?" lance Emilie, la blonde et énergique animatrice de 21 ans. D’une voix sonore, elle compte "1, 2, 3" pour obtenir le silence. Le deuxième intervenant passe des partiels, elle est donc seule en lice. Dans la bibliothèque, où les tables ont été repoussées contre un mur, les enfants assis par terre s’agitent, rigolent.
Dylan, en sweat rouge, est couché de tout son long sur le sol. L’animatrice finit par obtenir un peu d’attention. Après les exercices de détente – cou, épaules, hanches – et les grimaces pour relâcher les muscles du visage, qui font beaucoup rire, on joue. "Vous bougez, et quand je dis stop, tout le monde s’arrête. Le dernier qui s’arrête a un gage." "C’est quoi un gage ?", interroge un petit garçon.
Les voilà maintenant tous en rond, attentifs. Au centre du cercle, à tour de rôle, ils sont invités à mimer une action : jardiner, se mettre du vernis à ongles, se laver. Les autres doivent deviner ce qu’ils font. Ils adorent. Dans une classe au rez-de-chaussée, Laura, 25 ans, une Espagnole dotée d’une maîtrise d’enseignement de la langue de Cervantès, présente l’Amérique latine à un groupe d’enfants.
Vie sociale
De l’autre côté de la cour, un atelier sciences rassemble dans une classe une quinzaine d’élèves de CM1-CM2. Agronome de formation, actuellement au chômage, Hervé, 44 ans, aborde le thème des oiseaux sauvages et domestiques. "Pourquoi dit-on d’un oiseau qu’il est sauvage ?" interroge-t-il. "Parce qu’il est dangereux", tente Corentin. "La chouette est un oiseau sauvage. Est-ce que tu penses qu’elle est dangereuse ?" objecte l’intervenant. C’est de la maïeutique appliquée aux sciences naturelles. La semaine prochaine, ils dessineront des oiseaux et, plus tard, les plans de nichoirs qu’ils devront construire pour les accrocher dans l’école.
"Les TAP m’assurent un minimum de vie sociale", dit Hervé. Et qu’en pensent les élèves ? "C’est bien, les enseignants sont cool", dit William, cheveux blonds coiffés en crête. "On est contents de venir, dit Zohra, dont le tee-shirt turquoise fait ressortir la peau d’ébène. C’est les mêmes règles qu’en classe, il faut lever le doigt pour parler, mais ça change, on apprend des choses sur la nature."
Mécanique compliquée
Il a fallu des mois à la mairie pour concevoir cette mécanique compliquée. Chaque école a son "référent". A Anatole-France, c’est Alain Priem qui gère les listes des présents dans les ateliers, affecte les groupes dans les salles, et veille au grain. "La présence de ce référent a rassuré les parents et les enseignants", dit Valérie Blouin, directrice de l’éducation à la mairie. Au-dessus de lui, un responsable de secteur fait le lien avec l’hôtel de ville.
Il a fallu recruter : 180 étudiants, animateurs, scientifiques, personnels de conservatoire, payés entre 12 et 21 euros brut de l’heure, encadrent les ateliers quatre fois par semaine en moyenne. Ils ont été sélectionnés par un jury où siégeaient des "managers pédagogiques", qui ont aussi conçu les activités et les ont fait valider par l’inspectrice de l’Education nationale pour éviter les doublons avec les programmes scolaires. Chaque intervenant reçoit une feuille de route et du matériel. A Anatole-France, comme dans les 24 écoles de la ville, Emilie, Laura, Hervé et les autres sont secondés par un "accompagnant".
En comptant les aides de l’Etat et des caisses d’allocations familiales, la mairie débourse 600.000 euros pour ce programme. "Ce n’est pas une dépense, c’est un investissement, martèle le maire UDI Frédéric Leturque. Il faut savoir où sont nos priorités. Je préfère attendre pour rénover un équipement et faire en sorte que nos enfants travaillent mieux, et qu’ils aient accès à des activités culturelles." L’édile a été confortablement réélu aux élections municipales de mars, signe que la mise en place de la semaine de quatre jours et demi ne lui a pas nui.
Des ajustements nécessaires
A Anatole-France, à la rentrée, les professeurs étaient sur leurs gardes. Il fallait revoir leur emploi du temps, ouvrir les classes aux ateliers, accepter d’autres règles. "Au début, les enfants ne savaient pas où ils devaient aller", se souvient Delphine Brogniez, maîtresse de CP. Puis ça s’est plus ou moins arrangé. "Avec les intervenants, on se parle." La personnalité du directeur de l’école a facilité le dialogue.
"Nous essayons de traiter les problèmes au fur et à mesure qu’ils surgissent", poursuit Valérie Blouin. Des ajustements ont eu lieu. La plaquette d’information aux parents ne donnait pas assez de détails ? Elle a été revue. La surveillance à la sortie posait problème ? Le référent mairie garde les enfants dans la cour en attendant que les parents viennent les chercher. Une évaluation du dispositif par un cabinet d’audit est en cours afin de l’améliorer à la rentrée prochaine.
16h30. Dans la cour, des parents ont oublié leur défiance. "Ma fille a fait une initiation au chinois, une activité sur le développement durable… j’en suis très content", dit un père. "Ça permet aux enfants de se détendre après l’école", observe une mère originaire de la Réunion.
Yamina a même retiré sa fille de l’école privée parce qu’elle n’appliquait par la semaine de quatre jours et demi, pour la mettre à Anatole-France. "Ça débloquait d’autres modes de garde. Je l’ai enlevée de l’atelier sport, car les déplacements au parc n’étaient pas assez encadrés. Pour le reste, ça tourne bien." Depuis le début de l’année, le nombre d’enfants inscrits est passé de 130 à 160. "Un plébiscite !" se félicite le directeur de l’établissement.
Caroline Brizard – Le Nouvel Observateur