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C. RENFORCER LA RÉGULATION DES POLITIQUES ÉDUCATIVES COMMUNALES
La réduction de la durée quotidienne des classes (par exemple une sortie de classe à 15 heures 30 au lieu de 16 heures 30) impliquerait une prise en charge accrue des enfants dans le cadre périscolaire, sachant qu’actuellement les trois quarts des parents viennent chercher leurs enfants scolarisés dans le primaire à 16 heures 30 . Par conséquent, le coût, pour les communes, du développement de l’offre périscolaire devrait être évalué, tandis que l’État devrait assumer un rôle de régulation des politiques éducatives locales.
1. Trouver un nouvel équilibre entre temps scolaire et temps périscolaire au service d’une « école ouverte »
Une réduction de la durée quotidienne des classes ne pourrait être décidée sans que soient réaménagés les différents temps – scolaire et périscolaire – de prise en charge de l’enfant.
Pour reprendre l’analyse du Syndicat national des directeurs et directrices d’écoles catholiques, la journée de l’enfant pourrait être divisée en trois temps : un temps de « travail scolaire », un temps d’« aide personnalisée » pour les élèves en difficulté et d’« aide aux devoirs » pour les autres et, enfin, un temps d’« activités en lien avec le monde associatif » .
Aussi le nouveau découpage de la journée, quel qu’il soit, imposerait-il de repenser la part respective des activités scolaires et périscolaires, ainsi que l’espace scolaire. Pour reprendre les propos de M. Paul Bron, représentant de la Fédération des maires des grandes villes de France, s’il faut mettre en place un « temps de l’après école » structuré et utile, cela ne pourrait se faire qu’en rebâtissant non seulement les différentes périodes d’activités de la journée, mais aussi l’espace dans lequel elles sont organisées : dans l’idéal, une « maison de l’enfance » devrait être mise en place, adossée à l’école, dans laquelle interviendraient les acteurs de la ville et du tissu associatif .
Un objectif moins ambitieux, défendu par l’Union nationale des associations familiales, consisterait à faire de l’école une école « ouverte », organisant des temps d’échange avec les parents, ainsi que des temps ludiques et festifs, bref des temps d’activité non exclusivement pédagogiques, avec des « acteurs partenaires ». Installée au cœur de son territoire, cette école « ouverte » pourrait ainsi se rapprocher des familles, qui y viendraient non seulement quand elles sont convoquées – quand les choses vont mal –, mais invitées pour assister à des activités mettant en valeur les talents de leurs enfants. M. Patrice Bride, rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques, a estimé que l’école ouverte pourrait ainsi « se donner les moyens de gérer les rythmes de l’enfant non plus à coup de sonneries mais sur du temps long » (1).
Les obstacles à la mise en place d’une école « ouverte » seraient cependant considérables. Il suffit, pour s’en persuader, de constater les problèmes de « cohabitation » qui peuvent affecter, aujourd’hui, les activités scolaires et périscolaires, au détriment, bien sûr, de l’efficacité globale des différents modes de prise en charge des enfants.
D’abord, une concurrence entre les deux politiques éducatives, celle de l’Éducation nationale et celle de la ville, peut être observée. En particulier, des actions éducatives communales, organisées sur le temps scolaire, peuvent être engagées, comme l’a constaté la Cour des comptes dans un rapport thématique publié en 2008. Et ceci bien que le code de l’éducation ne reconnaisse aux collectivités territoriales que la faculté d’organiser, après approbation par le conseil d’école, des activités périscolaires « éducatives, sportives et culturelles », définies par leur caractère « facultatif » et « complémentaire », par opposition aux activités obligatoires mises en place par l’État, et précise que les autorités locales « ne peuvent se substituer ni porter atteinte aux activités de formation et d’enseignement fixées par l’État » (article L. 216-1 du code de l’éducation). Ensuite, la Cour note que si le développement des actions éducatives engagées par les communes, durant le temps scolaire ou en complément de l’action de l’éducation nationale, fait souvent l’objet d’une coordination, les responsables académiques qu’elle a interrogés ont porté un jugement « nuancé sur ces partenariats, dans la mesure où la complémentarité de l’offre scolaire de l’éducation nationale et de l’offre scolaire communale ne leur paraissait pas toujours assurée ». De plus, l’évaluation de l’efficacité des actions éducatives communales est « rarement évoquée, et a fortiori démontrée ».
La concurrence, tout comme la juxtaposition, des activités scolaires et périscolaires sont dommageables pour les élèves, surtout les plus fragiles. Elles devraient être évitées, en mettant en place, ainsi que l’a préconisé la présidente de l’Association nationale des directeurs de l’éducation des villes, Mme Anne-Sophie Benoît, « une offre éducative lisible et cohérente, formant un continuum éducatif ».
Pour y parvenir, la coordination des projets et des « intervenants » – les enseignants et tous les autres (animateurs sportifs, éducateurs, agents territoriaux spécialisés de l’école maternelle ou ATSEM, personnels des associations et des centres sociaux ou des maisons de la jeunesse et de la culture, étudiants, enseignants retraités, etc.) – devrait être effective.
C’est ce qui fait la force du dispositif Aménagement du temps de l’enfant (ATE) mis en pratique dans certaines écoles d’Épinal, ville dans laquelle la mission s’est rendue le 18 juin dernier. La continuité éducative entre les activités scolaires du matin et les activités périscolaires de l’après midi est assurée par le projet pédagogique que doit développer, dans chaque école, un coordinateur, titulaire du brevet d’aptitude aux fonctions de directeur, dont la mission consiste à gérer les activités « ATE » et le personnel d’encadrement (soit un éducateur pour huit enfants en maternelle et un éducateur pour douze enfants en élémentaire) et à assurer la liaison entre les enseignants, les parents d’élèves et la direction des sports de la ville.
Outre le fait que ce projet pédagogique, qui sert de base à l’élaboration des grilles d’activités « ATE », est conçu avec les enseignants, les contacts entre l’équipe pédagogique et le coordinateur sont quotidiens, des échanges informels ayant lieu chaque matin. De plus, une commission de suivi se réunit une fois par trimestre afin de faire le point sur les enfants suivant les différentes activités, ce qui permet aux enseignants et aux encadrants de se signaler, réciproquement, les élèves en difficulté. Des échanges ont également lieu, même si ce n’est pas obligatoire, l’après-midi entre les enseignants et les coordinateurs au démarrage, comme à la fin, des activités.
Cet échange permanent entre enseignants et éducateurs est également pratiqué dans l’école « à la journée » que la mission a visitée, le 28 mai dernier, à Berlin.
Le taux d’encadrement des élèves de cette école est d’ailleurs remarquable, puisqu’il permet à cet établissement de disposer d’un volant d’enseignants et d’éducateurs supplémentaires par rapport au nombre de classes. L’école compte en effet 521 élèves et 21 classes pour 34 enseignants et 26 éducateurs, chaque classe ayant « son » enseignant principal et « son » éducateur. C’est sans doute ce personnel nombreux qui rend possible la gestion souple d’une semaine scolaire organisée sur cinq jours et qui différencie les emplois du temps des élèves selon leur âge . On précisera que les enseignants et les éducateurs sont recrutés et rémunérés par le Sénat ou gouvernement de Berlin, qui attribue, par ailleurs, les postes d’éducateurs aux écoles selon une clef de répartition, combinant deux paramètres : un rapport d’un éducateur pour vingt-quatre élèves pendant les heures d’enseignement et, pour les activités péri- éducatives, un coefficient d’encadrement par élève qui varie en fonction des besoins des enfants.
Clairement, à elles seules, les bonnes volontés ne pourraient suffire à mettre en place, dans notre pays, des dispositifs cohérents de prise en charge de l’élève-enfant, dans et en dehors du temps scolaire. L’État devrait y veiller, en régulant les politiques éducatives locales.
Ce serait l’une des conditions de réussite d’une réforme ambitieuse des rythmes de vie scolaire. En effet, il ne faudrait pas attendre que se mette en place, spontanément, une coordination efficace des interventions de l’ensemble des acteurs susceptibles de contribuer aux politiques éducatives locales, en particulier dans les zones sensibles : Éducation nationale, politique de la ville, commune, associations d’éducation populaire et de parents d’élèves, caisses d’allocation familiale, etc.
L’État régulateur devrait d’autant plus jouer son rôle que les politiques de contractualisation, dans le domaine de l’éducation, ont montré leur limite. La Cour des comptes, dans le rapport précité sur les communes et l’école primaire, relève que les contrats éducatifs locaux (CEL), institués en 1998, qui ont pour objectif de mettre en cohérence les différents dispositifs d’accompagnement scolaire, en y ajoutant une « couche fédératrice », n’ont pas apporté de réelle simplification… d’autres contrats, pouvant avoir des objectifs ou des cibles proches, ayant fait leur apparition, notamment les contrats temps libres, conclus avec les caisses d’allocations familiales, les contrats locaux de sécurité et les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité réservés prioritairement aux zones urbaines sensibles
Pour éviter que l’impact d’une réforme des rythmes de vie scolaire ne se dilue dans l’éparpillement des projets et des intervenants, il faudrait agir dans trois directions :
– les « projets éducatifs locaux », mentionnés par une instruction du ministère de l’éducation nationale du 29 octobre 2003, devraient être reconnus par le législateur, afin de donner une impulsion forte au rassemblement, autour d’une même politique éducative, de l’ensemble des partenaires éducatifs d’un même territoire, qui s’adresseraient aux mêmes publics et partageraient des objectifs convergents. Il s’agit d’une suggestion faite tant par la Fédération des grandes villes de France que par l’Association nationale des directeurs de l’éducation des villes;
– l’État devrait soutenir ces projets, la volonté interministérielle en matière éducative (Éducation nationale, Jeunesse, Sport, Famille et Ville) ayant disparu selon la Ligue de l’enseignement ;
– enfin, un cahier des charges national des services ou prestations attendus dans le cadre de l’accompagnement scolaire devrait être défini, ainsi que le recommande la Cour des comptes dans son rapport thématique de décembre 2008 « Les communes et l’école de la République ». Celui-ci constituerait un cadre de référence permettant d’évaluer (et donc éventuellement de corriger) les écarts susceptibles de mettre en cause l’égalité des chances. En effet, le rôle de régulation de l’État pourrait se traduire également, comme on le verra ci-après, par des formes de péréquation afin que l’égalité d’accès des élèves à l’offre périscolaire soit assurée.
2. Évaluer ses implications financières pour les communes
Venons-en au « nerf de la guerre, » la bataille pour des rythmes de vie scolaire plus adaptés dans les écoles ne pouvant être remportée qu’avec le soutien financier des communes et de l’État.
Toute heure de cours en moins se traduirait, automatiquement, par un temps de prise charge supplémentaire pour la ville. S’il est impossible d’estimer, à l’échelle de la nation, le coût d’une réforme des rythmes scolaires qui n’a pas été encore conçue, deux données citées devant la mission suffisent à prendre la mesure de l’effort qui pourrait être demandé aux communes et à leurs habitants :
– pour la ville d’Épinal (34 000 habitants), le coût annuel de fonctionnement du dispositif Aménagement du temps de l’enfant, appliqué dans 11 écoles, sur les 29 que compte l’agglomération, et gratuit pour les familles bénéficiaires, s’élève à 1,7 million d’euros, la caisse d’allocations familiales, principale partenaire de cette opération, contribuant à hauteur de 610 000 euros
– pour la ville de Grenoble, selon le maire adjoint en charge de la culture, M. Paul Bron, le coût de la prise en charge du temps périscolaire induit par le retour à une semaine scolaire de quatre jours et demi serait compris entre 500 000 et 1 000 000 d’euros
Les implications financières d’une réforme des rythmes de vie scolaire, quelle qu’elle soit, devraient donc être évaluées. En outre, la capacité de financement du temps périscolaire additionnel ne pouvant être évidemment la même d’une commune à l’autre, cette inégalité devrait faire l’objet d’études détaillées. Faut-il aller plus loin et prévoir des mécanismes de péréquation ? C’est en tout cas l’une des recommandations de l’Institut Montaigne qui préconise, dans son rapport sur l’école primaire, qu’une « dotation globale de fonctionnement (DGF) de base soit assurée pour chaque école afin d’éviter une distorsion inégalitaire entre écoles des communes riches et écoles de communes modestes », cette dotation devant assurer « un accès gratuit aux activités périscolaires pour les élèves les moins favorisés ».