In L’Expresso Le Café Pédagogique – le 7 octobre 2013 :
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"La question urgente pour faire en sorte que la réforme des rythmes réussisse est de savoir comment prendre en compte les mécontentements actuels avant qu’ils ne fassent l’objet d’un enjeu politique plus large". Bruno Suchaut, chercheur associé à l’IREDU et directeur de l’URSP, appelle les politiques à prendre le temps de la réforme. "C’est la dimension qualitative du temps d’enseignement qui importe plutôt que sa seule répartition. Dans cette perspective, la refonte des programmes aurait donc du précéder celle des rythmes".
L’effervescence actuelle autour de la question des nouveaux rythmes scolaires est inquiétante, non seulement pour le Ministère de l’Education nationale, mais aussi pour l’ensemble de la communauté éducative et même, plus largement, pour l’avenir de l’école et des élèves. L’application des nouveaux rythmes depuis la rentrée fait en effet débat et tend à être utilisée comme un argument pour la campagne électorale des futures élections municipales. Si cette tendance se confirme dans les prochains mois, cela constitue un réel danger qui peut avoir de lourdes conséquences sur le processus de refondation de l’école. Le fait qu’une minorité de communes ait fait le choix du passage à 4,5 jours à la rentrée scolaire était déjà un élément révélateur des difficultés et des résistances à venir dans la mise en œuvre de la réforme. Il semble en effet, sur la base du mécontentement actuel observé dans certaines localités, que ces difficultés et ces résistances existent bien, même s’il est difficile d’en apprécier à la fois le degré et les conséquences potentielles. On peut bien sûr s’interroger sur les causes de la situation actuelle qui peuvent être partiellement associées à des maladresses dans l’action politique de plusieurs natures.
Un premier point est probablement de ne pas avoir pris suffisamment de temps pour mener à bien cette réforme des rythmes scolaires et, de fait, de ne pas avoir pu anticiper toutes les implications que pouvaient avoir les changements envisagés sur le fonctionnement de l’école et sur les acteurs. Bien sûr, le passé est nourri d’exemples de réformes qui n’ont pu aboutir faute de détermination politique suffisante mais ne pas prendre suffisamment de temps pour que l’ensemble des acteurs comprennent, acceptent et partagent la même vision du changement peut également être un risque pour la mise en œuvre d’une réforme. C’est pourtant ce difficile équilibre dans la gestion du temps de l’action politique qui constitue un gage de réussite.
Un second point est de ne pas s’être emparé de la question de manière globale, et cela à deux niveaux. Le premier niveau concerne la répartition du temps d’enseignement qui n’a pas été considérée dans l’année, mais uniquement sur le plan hebdomadaire et journalier. En effet, le fait de restreindre la réforme à cette échelle hebdomadaire contraint fortement les modèles d’organisation de la journée et interroge en même temps sur les possibilités d’évolution futures localement quand la question de la répartition annuelle sera à l’ordre du jour, le schéma actuel ne convenant plus dans sa totalité. Le second niveau relatif à la globalité de l’action est de ne pas avoir pris en compte simultanément l’ensemble des autres dimensions liées à la modification des rythmes scolaires. Il est ainsi admis au regard des résultats des recherches en éducation que c’est la dimension qualitative du temps d’enseignement qui importe plutôt que sa seule répartition. Dans cette perspective, la refonte des programmes aurait donc du précéder celle des rythmes : c’est en fonction de ce que les élèves doivent apprendre à l’école que l’on peut ensuite s’interroger sur la manière de répartir ce temps d’apprentissage et non l’inverse. De même, la réforme des rythmes scolaires exerce de fait une influence sur les conditions de travail des enseignants avec notamment cette demi-journée du mercredi, qui même si elle est compensée en heures, est néanmoins perçue comme une charge supplémentaire. Les résistances actuelles des enseignants, quelles soit justifiées ou pas, étaient en dans tous les cas prévisibles et la réflexion sur le temps de travail et d’enseignement aurait également dû être menée avant ou parallèlement à celle des rythmes. Enfin, les conditions du partenariat local dans la définition des activités péri-scolaires et leur articulation avec le temps scolaire ne peuvent aussi de faire sans intégrer des aspects essentiels comme l’aide aux élèves en difficulté et l’aide aux devoirs. Un risque est en effet de ne pas pouvoir offrir aux élèves qui en ont besoin, tout les temps nécessaire au renforcement des apprentissages. C’est donc une vision globale du temps de l’enfant qui doit être la priorité dans les modalités d’organisation de la réforme et non un morcellement du temps avec différentes activités se succédant sans logique apparente. Autrement dit, la complémentarité des actions et des acteurs doit être la ligne directrice dans les formes d’organisation de la semaine dans les écoles.
Il est évidemment trop tôt pour dresser le bilan de la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. Une évaluation au niveau local de la mise en place de la réforme sera évidemment indispensable pour tenter de dégager les effets sur les élèves (apprennent-ils mieux ? Sont-ils moins fatigués ? etc..), les enseignants (ont-ils de meilleures conditions pour exercer leur enseignement ?) et les municipalités (viabilité financière, satisfaction des intervenants, etc..). A l’heure actuelle, et dans le contexte décrit précédemment, il est sans doute utile de rappeler certains faits et certains discours qui mettent en évidence deux tendances principales. La première est une inquiétude réelle de certains parents et de certaines municipalités concernant plusieurs aspects : nature des activités proposées aux élèves, conditions d’encadrement, avenir dans le financement, etc. La seconde est une résistance ou, à tout le moins, une faible adhésion à la réforme d’une partie du monde enseignant. Le refus de certains enseignants de laisser leur salle de classe (pourtant financée par les communes…) à la disposition des intervenants en dehors du temps scolaire ou encore des APC programmées à des plages horaires totalement inadaptées aux rythmes biologiques, sont des illustration frappantes de cette résistance et de dysfonctionnements.
La question urgente pour faire en sorte que la réforme des rythmes réussisse est de savoir comment prendre en compte les mécontentements actuels avant qu’ils ne fassent l’objet d’un enjeu politique plus large. Une solution serait peut-être déjà de prendre le temps d’une évaluation approfondie des organisations en place dans les communes volontaires pour la rentrée 2013 et d’en dégager des pistes mais aussi de reconsidérer la question des rythmes dans leur globalité (répartition annuelle du temps, conditions de travail des enseignants, programmes scolaires…) avant la décision de généralisation. Au final, la problématique des rythmes scolaires relève d’une grande complexité qui ne peut s’appréhender qu’en lui consacrant un temps politique suffisamment important. Le fait d’avoir engagé cette réforme sur un objet si souvent abordé par le passé dans le monde de l’éducation relève d’un réel courage politique mais il faut savoir aussi apprécier les risques réels de voir cette réforme prendre un mauvais chemin et, savoir prendre le temps nécessaire pour programmer une généralisation qui puisse de réaliser dans les meilleures conditions possibles pour tous.
Bruno Suchaut