In Bloc-notes de Philippe Meirieu, septembre 2009 :
Accéder au site source de notre article.
La France et, plus généralement, les sociétés occidentales, ont fait de la médecine un modèle qui envahit progressivement tous les domaines, au point que peu de questions lui échappent aujourd’hui : on traite les enfants hyperactifs et délinquants par la médecine ; on traite les dysfonctionnements de la famille ou de l’entreprise par la médecine ; on traite les difficultés d’insertion sociale par la médecine, etc. Bien sûr, la médecine a, sur ces questions, une réelle efficacité en ce qu’elle masque les symptômes individuels de maux collectifs.
Elle apaise dans l’instant – et c’est évidemment indispensable au regard des souffrances des personnes –, mais elle paralyse aussi la réflexion sur d’autres modes d’intervention qui, eux, prendraient en compte, tout à la fois, la dimension collective, la recherche des causes profondes et le travail sur le long terme. À cet égard, une société qui renvoie tous ses problèmes à la médecine est une société malade. C’est une société qui s’avoue elle-même malade. Et disqualifie le politique ou l’assujettit au médical… ce qui est la maladie sociale – et, a fortiori, démocratique – par excellence.
Encore faudrait-il nuancer cette affirmation : en réalité, ce n’est pas de « la » médecine qu’il s’agit ici, mais d’ « une » médecine : ce qui est en question, précisément, c’est le modèle pharmaceutico-médical dominant. Il existe d’autres médecines, aussi bien dans nos traditions européennes, orientales ou des pays du Sud que dans des secteurs médicaux comme la psychiatrie ou la médecine du travail. Il y a aussi des médecins qui, individuellement, tentent de promouvoir d’autres pratiques et de ne pas s’en tenir au tryptique du modèle pharmaceutico-médical : traiter l’individu, soigner les symptômes, utiliser la chimie pour cela.
Une hypothèse à explorer
Concernant la réflexion éducative, l’hypothèse que je voudrais explorer ici est la suivante : « Le modèle médical qui a, pendant toute une période, contribué au développement d’une pédagogie progressiste est devenu aujourd’hui un obstacle à celle-ci. » Ce n’est qu’une hypothèse et il faut, bien sûr, poursuivre le travail sur elle, en débattre et mener des recherches pour avancer sur cette question. Mais c’est une hypothèse qu’il faut vraiment prendre au sérieux.
Philippe Meirieu
Professeur à l’université LUMIERE-Lyon 2