In Philosophie magazine – le 30 août 2013 :
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L’autorité et la discipline demeurent la priorité pour l’école maternelle et primaire selon les Français (à 57% des citations) d’après un sondage Harris Interactive sur « Les Français et leur perception de l’école maternelle et élémentaire avant la rentrée 2013 » réalisé par téléphone entre le 29 juillet et le 10 août 2013. Les rythmes scolaires (26%) et l’usage des nouvelles technologies (21%) suivent dans la liste des priorités.
Cette partition renvoie à un bouleversement : le rôle prépondérant dévolu à l’école dans l’inculcation de la discipline correspond à un déséquilibre entre les trois ingrédients d’une bonne éducation.
Selon, Kant, l’éducation réussie est dialectique. Elle repose sur l’articulation bien menée de trois étapes distinctes : le soin (qui protège), la discipline (qui forme), l’instruction (qui rend libre).
Le philosophe Marcel Gauchet dénonce l’indistinction généralisée qui a effacé le partage des tâches entre la maison et l’école : « Aujourd’hui, la famille tend à se défausser sur l’école, censée à la fois éduquer et instruire. Jadis pilier de la collectivité, la famille s’est privatisée, elle repose désormais sur le rapport personnel et affectif entre des êtres à leur bénéfice intime exclusif. »
La maison, l’école, la rue… et le réseau
Mieux, tandis qu’auparavant l’éducation des enfants se divisait en trois sphères : la maison, l’école et la rue (où l’on faisait l’école buissonnière), « un quatrième espace, celui du réseau, pénètre désormais les trois premiers et trouble encore davantage les frontières. Avec la révolution numérique, ce n’est pas la rue qui pénètre les autres espaces éducatifs, c’est le monde entier », selon Michel Eltchaninoff. L’adaptation au monde numérique apparaît d’ailleurs en tête des préoccupations des parents d’élèves, après la réforme des rythmes scolaires.
Pas moins de quinze « plans numériques » ont précédé celui proposé pour la rentrée 2013, par l’Éducation nationale. Mais Vincent Peillon entend faire la différence en engageant la « refondation » de l’école. Outre la réforme des rythmes scolaires – un débat qui « s’appuie sur un présupposé erroné : la réduction de l’enfant au seul registre naturaliste du développement » selon Jean-Claude Quentel –, le ministre prévoit la mise en place d’activités pédagogiques complémentaires, d’écoles pour les enseignants ainsi que d’une gouvernance nationale sur le numérique éducatif.
Elle reposera sur un « comité stratégique » interne à l’éducation nationale, présidé par le ministre, et un « conseil du numérique éducatif », instance de dialogue et de coordination associant des représentants de la communauté éducative, des collectivités, de la recherche, les partenaires publics et privés…
Enfin, onze services numériques seront enrichis progressivement. Parmi eux, des ressources pédagogiques en ligne destinées à l’apprentissage de l’anglais, 23 sites pilotes « collèges connectés », ou un service de soutien scolaire en ligne en octobre, pour 30 000 élèves de l’éducation prioritaire.
« Les enfants ont besoin d’être moteurs et non seulement mus »
Bernard Stiegler
Ces initiatives sont nécessaires. Elles ne doivent pas perdre de vue la mise en garde exposée par Bernard Stiegler dans le dialogue qui le confronte à Michel Serres, « Moteurs de recherche »: « Certains demandent que l’on revienne aux fondamentaux, comme l’apprentissage de l’écriture graphique et de la lecture, qui seraient menacés par l’écriture informatique et les écrans. En réalité, c’est la question de la motricité qui est en jeu. Il peut y avoir un rapport de passivité aux médias électroniques, et l’on peut développer une pédagogie numérique totalement destructrice de la motricité. Les enfants ont besoin d’être moteurs et non seulement mus. »