Le 12 janvier 2005, Prisme a reçu Christian Forestier.
En tant que membre du Haut Conseil d’évaluation de l’école, Christian FORESTIER a participé à l’élaboration de « l’état des lieux » précédant le débat sur l’Ecole. De ces travaux, il convient de tirer des éléments nous permettant de mieux répondre aux besoins d’Ecole pour les classe populaires dans les mois à venir.
Une première question : que peut-on dire en 2004 sur la loi de 1989 ?
Par rapport à l’objectif de « pas de sortie sans qualification reconnue »
Il y a toujours 70000 jeunes par an qui sortent du système éducatif sans qualification. Ce chiffre, certes, a été diminué de moitié en 10 ans. Rappelons que, dans la loi de 1989, était affirmé un « principe d’éducabilité » pour l’ensemble des jeunes générations. Cet objectif doit donc rester. C’est, par contre, notre définition obsolète du terme « qualification » qui pose problème, la même depuis la grille Parodi.
Si on actualise et que l’on regarde les jeunes sortants sans diplôme, on passe de 70000 Ã 150000 jeunes, soit 1/5 des jeunes.
Un autre problème :l’existence de niveaux V qui sont de faux diplômes, particulièrement dans le tertiaire. Et il faut dire qu’il y a 25% d’une génération qui sortent avec un taux très bas.
Il parait intéressant de noter que, parmi ces jeunes sortants, plus de la moitié étaient déjà en échec dès le primaire. Un critère est à préciser, c’est le fait qu’ils appartiennent principalement aux milieux populaires et peuvent vivre dans une très grande pauvreté.
Une dernière remarque, d’actualité, paraît nécessaire. En fait, on se rend compte que si les jeunes ne redoublent pas, ils s’en sortiront mieux et, alors, on peut se demander pourquoi ?
Première conclusion : ne pas remettre cet objectif en question
Dans un deuxième temps, était énoncé le principe de 80% d’une classe d’âge au niveau bac. Cette assertion a créé des confusions dans les esprits.
On se rend compte qu’aujourd’hui 70% des jeunes obtiennent le bac. L’objectif n’est donc pas atteint. D’autant plus, qu’après une croissance de près de 10 ans (entre 1985 et 1995 appelés les 10 Glorieuses) représentant une multiplication par deux des jeunes obtenant le bac, ce taux stagne.
Mais, il faut aller plus loin pour comprendre cette remarque. En effet, si on regarde le passage du collège au lycée, on se rend compte que cette augmentation démarre en 1982 (avec la victoire de la gauche puis le débat avec A.Savary). Dans ce cas, on peut penser que la panne de 1995 connaît son origine en 1992. En tout cas, il faut noter que l’on n’a jamais retrouvé le taux de 1991. Et, Ã un moment la courbe va baisser, en raison des redoublements en première. Ainsi, nous pouvons penser que la loi n’a rien changé.
Un autre point est à mettre en évidence : le problème de l’insertion.
Rappelons que la loi 1989 a clairement défini les responsabilités du système éducatif en termes d’insertion professionnelle et sociale. Or, on se rend compte qu’il y a trop de sorties au niveau V et pas assez au niveau LMD.
Quelques chiffres permettent de mieux comprendre la situation. Nous pouvons dire qu’il y a 20% qui sont sans diplômes, 20% sortant avec un CAP/BEP, 20% au avec un bac, 20% avec un bac+2, et 20% au niveau du LMD.
De plus, il faut noter que la nature du bac n’est pas indifférente. Et on peut donc dire que l’on n’a rien gagné en démocratisation !. Ce point est flagrant si on constate qu’au niveau du bac, il y a un rapport de 1 Ã 4 entre les enfants d’ouvriers et de cadres. Il faut même aller plus loin, en disant que la proportion d’ouvriers passant le bac général n’a pas bougé. Tandis que seulement 1% des enfants d’enseignants passent un bac pro. On peut donc penser qu’il y a un problème au niveau du bac pro.
Il faut également mettre en relief le problème du territoire et plus particulièrement de la sectorisation et de la carte scolaire, qui ne fait que piéger les milieux populaires alors que les classes moyennes utilisent des stratégies d’évitement, des dérogations pour choisir le meilleur établissement. Nous pouvons même dire que cela stigmatise encore plus les écoles de banlieues.
A partir de là , on peut se demander quelles sont les solutions ?
Tout d’abord, il faut faire preuve de volontarisme et ce même avant le collège, au niveau du primaire où les difficultés commencent. Se pose alors la question du pouvoir des familles et des projets d’élèves.
Il faut mettre en évidence un autre trait du rapport Thélot qui est de « qui va payer ?» Ceux qui vont dans le professionnel ? Cela pose problème !. D’autant plus qu’avec cet argent, on pourrait mettre en place des actions éducatives beaucoup plus intéressantes et constructives.
Nous pouvons penser et affirmer que les deux objectifs de la loi de 1989 doivent être maintenus et même durcis. Notons que ces derniers font partie des objectifs de Lisbonne où on notait que 50% des jeunes devaient être dans l’enseignement supérieur.
Et, si l’on porte un regard sur la décentralisation et les régions, au niveau donc du rapport aux territoires, on constate que les conseils régionaux sont rentrés dans école par le professionnel et le technologique. Mais le problème est surtout celui de la Haute qualification sur l’ensemble du territoire. Les conseils régionaux doivent penser qu’ils ne rempliront pas les universités avec simplement des bacs pro !
Quelques éléments complémentaires recueillis lors de l’échange avec les participants
En première année de Sciences économiques, il y a beaucoup d’étudiants qui viennent de bac pro, ou technologique, et bien sûr ES. Mais le problème des deux premiers c’est qu’ils n’ont pas le niveau. Je crois qu’il y a là une question de contenus qualitatifs car on constate qu’ils ne savent pas rédiger.
Il faut noter aussi qu’1/3 des élèves en bac ES et L n’auront pas autre chose, alors que, par exemple pour les STI, ils auront généralement un BTS.
Et le bac STI est rejeté par les jeunes comme cela représente le même secteur que leur père, ils seront plus attirés par la vente c’est-Ã -dire la bac STT.
Un autre problème à noter : les familles ne comprennent rien à l’orientation. Et souvent, elles ne soutiennent le jeune que dans les matières où il n’est pas mauvais. Il y a donc une difficulté des choix d’option et une méconnaissance des études supérieures.
Mais la question n’est-elle pas, quel est donc le projet pour l’avenir ? interroge FC
Pourquoi sous le gaullisme, cela a mieux réussi !. Il faut mener en parallèle un questionnement sur le fond des choses. Au niveau du bac pro industriel, il y a un déficit moral car on arrivant dans l’entreprise, les jeunes se rendent compte que ce dernier ne leur a rien donné. Il y a donc une désillusion concernant la formation et dans l’école en général. Au moins, pendant le régime gaullisme, il y avait un discours du côté des entreprises et un discours qui parlait à tout le monde. Si le discours politique est nécessaire, il ne faut pas une seule prise en compte aussi importante de l’appareil productif, il faut que les deux aspects de la question soient pris en compte en les mutualisant.
Il faut un discours politique qui parle à tout le monde et que l’école soit libératrice, affirme JCG. Il ne faut pas que l’école soit appréhendée seulement comme un outil qui aurait pour finalité, l’emploi. Sinon, je pense que le PAE et le PGF sont des voies revalorisant l’enseignement professionnel.
Nécessité de faire en sorte que l’institution soit porteuse de son propre changement, et pour l’instant le modèle administratif n’en est pas porteur !
Et FC d’ajouter : Je me demande comment les discours peuvent être représentatifs de la classe populaire ? Le problème est qu’aujourd’hui ces dernières n’ont plus d’ambition pour leurs enfants et préfèrent entrer très vite dans la vie active sans prendre en compte que les jeunes vont plafonner vers 25/30 ans car ils n’ont pas fait d’études générales assez poussées pour s’adapter à la progression des demandes du marché.
Il faut noter que si l’on regarde les taux, les inégalités au niveau de l’orientation s’apparentent à des inégalités dues à l’origine sociale, indique JCG. De plus, on se rend compte que les enseignants n’ont plus la volonté de tirer les enfants vers le haut. On peut dire qu’environ 4500 personnes pourraient avoir un pouvoir de régulation.
Et en référence à la période des 30 Glorieuses, il y avait une croissance continue donc les jeunes sortant sans diplôme pouvaient trouver un travail. Grosse différence pour traiter les problèmes !
Il parait intéressant, rajoute JL, que les cadres connaissant des promotions, une ascension sociale était à la portée des anciens élèves des EPCI. Aujourd’hui, les comportements des familles populaires par rapport à l’école changent en fonction du chômage. On intériorise l’idée qu’il n’est pas la peine de travailler car on sera, quand même, au chômage.
C’est pourquoi nécessité d’une relance des sections de prestige que les enfants de milieux populaires pourront investir sans être en butte à la concurrence
En faisant référence au livre de Stéphane Beaud, indique LB, il faut convenir que les signes envoyés aux familles populaires ont été très dévastateurs. De plus, les professionnels ont intériorisé les déterminants sociaux, et ne vont donc pas proposer, à résultats équivalents, la même orientation selon l’origine sociale. CF fait remarquer à ce propos que le doublement en classe de 2nde ferme les portes de S mais ouvre celles de STT.
Et FC de revenir sur la notion d’égalités des chances.
Il ne faut pas oublier que notre système se construit à partir du haut. C’est, en effet, à partir du haut, que tout se décline en voies différentes et il faut se demander si cela peut conduire à une situation acceptable pour les couches populaires. Mais le problème principal (de l’école est) c’est de faire comprendre que l’école, l’éducation, les études donnent accès à l’émancipation.
JS pose la question suivante : Quelle ambition peuvent retrouver les couches populaires?
A une époque, la structure de l’économie faisait qu’il fallait des différences.
Aujourd’hui, on constate une accélération du tertiaire, on a donc besoin de sections comme STT et STI. Il y a donc un déplacement du problème et une analyse économique me parait nécessaire. En tout cas, l’ambition est de progresser.
En réponse CF affirme que, malgré ces modifications, au niveau des secteurs d’activité, nous pouvons dire que l’on peut bâtir une carrière tertiaire avec une formation secondaire alors que la formation tertiaire s’apparente à du primaire dégradé.
JR pense que les problèmes soulevés proviennent du fait d’une double paupérisation de la classe populaire et de la classe moyenne, avec des mimétismes de comportements, de langage, de situations sociales similaires etc…introduisant une difficulté pour définir un projet d’éducation sur des bases différentes des dernières décennies.
Aujourd’hui, nous produisons une segmentation néfaste de l’action publique dont les couches populaires sont les victimes. C’est pourquoi, nous devons proposer une double ambition pour les gamins et pour les enseignants, les acteurs, présentées et mises en oeuvre d’une manière identique, lisible pour tous et pour chacun. Il faut un même niveau d’exigence pour tout le monde et un discours de même nature pour que l’émancipation individuelle et la promotion collective retrouve droit de cité.
Donner ainsi sens aux parcours pour que la démarche d’éducation et formation tout au long de la vie devienne réalité en responsabilité partagée et non juxtaposition d’interventions insolites !
JCG confirme que nous devons avoir plus d’ambition pour les enseignants et pour les enfants.
Il existe un choc de culture et des ruptures continues autour du projet d’établissement, du projet éducatif etc…
FC : pourquoi on s’est fixé 80% d’une classe d’âge ?. Sur une visée un discours économique ? Alors, cela n’est pas mobilisateur. Il faut donner aux gamins le sens de la liberté qui permettra de transformer les rapports sociaux dans les entreprises, c’est bien plus mobilisateur. Il faudrait exposer une étude sociologique de la composition sociale, par ses origines sociales, du milieu enseignant ( peu d’enfants des couches populaires parmi le PE)
CF Je voudrais préciser l’importance donnée dans beaucoup de pays, Ã la formation tout au long de la vie. Je crois que cela peut être une des voies résorbant le décalage initial.
Dans les autres pays, cela fait partie du tronc commun mais ce n’est pas visible dans les faits. Je voudrais finir en disant qu’aujourd’hui, on arrive à une situation où les ambitions sont revues à la baisse par rapport aux ambitions premières.