PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Métropolitiques.eu – le 17 octobre 2012 :

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La réforme territoriale est de nouveau inscrite à l’agenda politique. Alors que dans les prochains mois, un nouvel acte de la décentralisation sera discuté au parlement, Métropolitiques revient sur les enjeux d’une réforme attendue, qui intéresse plus qu’on ne l’imagine ce « vieux pays » aux 36 000 communes.

L’adoption des lois de décentralisation dites Defferre, au début des années 1980, marque un tournant dans l’histoire des municipalités, des départements et des régions françaises. Cet événement est souvent associé au premier âge de la décentralisation, même si, en réalité, l’histoire des collectivités territoriales s’inscrit dans un long mouvement de reconnaissance du pouvoir local insufflé sous la Révolution française. La « révolution des mairies », chère à l’essayiste Daniel Halévy, remonte en effet au XIXe siècle, et la « République des communes », célébrée en grande pompe en 1889, 1900 et 1934, s’est affermie sous la Troisième République [1]. L’histoire des collectivités locales est ainsi marquée par la force pérenne des liens noués entre les Français et leurs territoires, leur patrimoine communal, leurs institutions de proximité (mairies, écoles, églises, cimetières…) et leurs élus locaux, ces maires en particulier, incarnation d’une « familiarité sympathique » [2] et d’une « territorialité républicaine » [3].

En France, les libertés locales seraient si « chéries » que l’on n’oserait en aucune manière s’en priver. Elles ont donné lieu à une sédimentation d’entités administratives et politiques, le fameux « millefeuille français » si souvent critiqué. Depuis 1789, toutes les tentatives de rationalisation, par la fusion, de la carte révolutionnaire des 40 000 paroisses devenues communes ont, en effet, échoué. Depuis la naissance des syndicats de communes en 1890 (ils sont aujourd’hui plus de 15 000), la plupart des réformes territoriales se seraient pliées à une règle non écrite mais semble-t-il intangible : « réformer sans supprimer » [4]. La France rurale, urbaine et périurbaine ne compte-t-elle pas aujourd’hui plus de 50 000 collectivités territoriales et établissements publics de coopérations intercommunales (EPCI), auxquels il conviendrait d’ajouter des milliers d’offices publics et de sociétés d’économie mixte ?

La décentralisation et ses réformes successives n’échappent pas au poids de l’histoire, des corporatismes et des cultures politiques. Le gouvernement des collectivités territoriales ne relève pas d’un système figé, mais ses transformations s’inscrivent dans un long processus d’adaptations, d’innovations, de stagnations et d’échecs. À ce titre, l’observateur du monde des collectivités locales ne peux qu’être frappé tout à la fois par la résistance du « bloc communal » et par la récurrence des injonctions à plus de libertés et de réformes. Comme le dit Christophe Charle pour décrire cette continuité, dans le monde des administrations, plus qu’ailleurs, « le mort saisit le vif » [5].

Faut-il en conclure que les mairies, les départements, les régions, les intercommunalités relèvent d’un « système politico-administratif » figé ? Assurément non ; il y a déjà plus de quarante ans, au tournant des années 1960-1970, les recherches de Pierre Grémion, Michel Crozier, Jean-Claude Thoenig et Jean-Pierre Worms avaient tracé une perception moins clivée du gouvernement territorial [6]. Elles mettaient à mal la vision d’un jacobinisme centralisateur en réhabilitant l’expérience d’un « jacobinisme apprivoisé » et d’un « pouvoir périphérique » puissant, investi par les élus. Ce « système de régulations croisées » liant le sort de l’État à celui des collectivités territoriales mettait en lumière des modes, souvent officieux, de négociation, d’arbitrage et de conciliation entre élites locales et autorités de tutelle.

Trente après l’adoption des lois Defferre, qu’en est-il de la décentralisation ? C’est à cette question que s’efforce de répondre ce dossier de Métropolitiques. Ces vingt dernières années semblent, en effet, marquées par une accélération de l’histoire. Les collectivités locales auraient vécu une « révolution silencieuse ». La France s’est couverte de nouvelles intercommunalités présentées comme plus « intégrées ». La fonction publique territoriale a vu ses effectifs « exploser » et son statut sensiblement bouleversé. Sont aussi remises en cause, dans un contexte de dépression financière et économique, les missions territoriales de l’État providence, adossées à celles des collectivités locales, partenaires obligés des politiques de régulations sociales depuis le XIXe siècle.

La réforme territoriale qui s’engage aujourd’hui pourrait redessiner la carte des pouvoirs locaux en France. À l’heure de décider de l’organisation, du mode de désignation, des attributions et du financement futurs des collectivités territoriales, un retour sur l’histoire et les évolutions récentes de ces institutions locales s’impose. De nombreuses interrogations soulevées par les transformations des « collectivités du quotidien » sont ainsi scrutées dans ce dossier : de l’histoire de la décentralisation à la sélectivité sociale des 500 000 conseillers municipaux de France, de la « municipalisation de l’intercommunalité » [7] à la montée en puissance des régions, ou encore des faux-semblants de la démocratie participative à l’investissement public et l’endettement des collectivités territoriales jugées trop dépensières. Autant de questions et d’analyses pour, au-delà des idées reçues, alimenter le débat et nourrir la réflexion de tous ceux convaincus que les collectivités territoriales constituent « un des piliers des démocraties européennes » [8].

Au sommaire :

Décentralisation : le poids du local et de l’histoire

Élus, fonctionnaires, citoyens : les mutations des acteurs de la démocratie locale

L’intercommunalité en question

Les régions : un nouveau pouvoir ?

Les enjeux du Grand Paris et des métropoles

Les finances locales à l’heure de la crise économique

Notes

[1] Daniel Halévy. 1972 (1937). La Fin des notables, tome 2 : La République des ducs, Paris : Grasset, p. 343.

[2] Maurice Agulhon. 2001. Les Métamorphoses de Marianne. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris : Flammarion, p. 173.

[3] Olivier Ihl. 1996. La Fête républicaine, Paris : Gallimard, p. 180-220.

[4] Emmanuel Bellanger. 2012. « Les syndicats de communes d’une France en morceaux, ou comment réformer sans supprimer (1890-1970) », in Le Saout (dir.), Réformer l’intercommunalité. Enjeux et controverses autour de la réforme des collectivités territoriales, Rennes : Presses universitaires de Rennes, p. 207-225.

[5] « François Dupuy et Jean-Claude Thoenig, Sociologie de l’administration française » (compte-rendu de lecture), Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1984, vol. 39, n° 3, p. 648.

[6] Pierre Grémion et Jean-Pierre Worms. 1970. « L’État et les collectivités locales », Esprit, p. 20-35 ; Pierre Grémion. 1976. Le Pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris : Seuil ; Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig. 1975. « La régulation des systèmes organisés complexes. Le cas du système de décision politico-administratif local en France », Revue française de sociologie, vol. 16, n° 1, p. 3-32.

[7] Fabien Desage. 2010. « L’institutionnalisation des communautés urbaines : desseins et impasse d’un volontarisme réformateur (1964-1971) », Genèses, n° 80, p. 93.

[8] Patrick Le Galès. 2003. Le Retour des villes européennes ? Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris : Presses de Sciences Po, p. 328.

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