PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Le cabinet Inter consultants chercheurs (ICC) a conduit avec des collaborateurs/trices de Vérès Consultants et de l’INJEP l’évaluation des premiers impacts de la réforme des rythmes scolaires et éducatifs à Paris. Une gageure en raison de l’ampleur du territoire concerné, du nombre de professionnels impliqués et des changements induits. Retours d’expérience.

Suite à un appel d’offre paru en juin 2013, la proposition du cabinet Inter consultants chercheurs (ICC) a été sélectionnée par la Ville de Paris pour conduire l’évaluation de la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires et de la mise en place par la collectivité des trois heures hebdomadaires de nouvelles activités périscolaires gratuites. Le cabinet a travaillé d’octobre 2013 à juillet 2014 en collaboration avec deux membres de Vérès Consultants (Françoise Enel et Cécile Delesalle) et deux membres de l’INJEP (Chantal Dahan et Gérard Marquié). Le rapport final et la synthèse de ce travail sont consultables sur le site de la ville de Paris. Ils comportent également la contribution de l’architecte Johan Andersson sur la question de l’adaptation des locaux scolaires à une utilisation plurifonctionnelle.

Fabienne Messica, philosophe et sociologue, pilote de l’évaluation, est directrice de la structure ICC. Cécile Delesalle, psycho-sociologue est associée à Vérès Consultants. Gérard Marquié est chargé d’études et de recherche à l’INJEP. Tous trois nous décrivent leur démarche.

Pourquoi avez-vous fait équipe pour cette mission ?

Fabienne Messica : Je travaille depuis une quinzaine d’années sur l’ensemble des politiques éducatives, la politique éducative de la ville, les projets éducatifs locaux et les articulations entre le scolaire et le périscolaire. J’ai participé à de nombreux débats et à des études préliminaires sur la réforme des rythmes scolaires et éducatifs. Ce sujet est complexe. Il suscite la polémique à cause des intérêts divergents des catégories d’acteurs, des questionnements sur la légitimité des uns et des autres à intervenir dans l’école. Il soulève « la boîte de Pandore » des interrogations actuelles sur l’enseignement, l’éducation et sur la place de chacun. Comme cette réforme est récente (seulement 20% des villes l’avait mise en place dès 2013), cette étude nous fournissait l’occasion de voir in vivo comment ça se passait, d’observer comment le système se mettait en place, progressait etc.

On savait que la mise en œuvre de la réforme ferait surgir de nouvelles questions. C’était aussi un défi avec des délais très contraints et un enjeu de taille puisque Paris, la plus grande ville de France, était très observée dans tout l’hexagone. Comme nous collaborons depuis 3 ans avec les membres de Vérès et comme, par ailleurs, l’INJEP dispose d’une compétence spécifique dans les domaines de la jeunesse et de l’éducation populaire, nous avons décidé de faire équipe pour réunir nos compétences.

La réforme des rythmes éducatifs à Paris

Habilités par la Caisse d’allocations familiales et l’Etat, les temps périscolaires des écoliers parisiens sont considérés comme des moments éducatifs à part entière.

En maternelle

Sous la responsabilité d’un REV (Responsable Educatif Ville), l’équipe d’animation se compose d’agents spécialisés des écoles maternelles (ASEM) et d’animateurs. Ils interviennent :

  • lors de la pause méridienne (11h30 – 13h30)
  • au cours d’ateliers gratuits du mardi et du vendredi, de 15h à 16h30
  • au moment du goûter (16h30 – 18h30)
  • en centre de loisirs du mercredi après-midi (13h30 – 18h30)

A l’école élémentaire

L’équipe d’animation est également placée sous la responsabilité d’un REV (Responsable Educatif Ville). Elle se compose d’animateurs et d’intervenants extérieurs pour les ateliers. Ils interviennent :

  • lors de la pause méridienne (11h30 – 13h30) ;
  • au cours d’ateliers gratuits du mardi et du vendredi, de 15h à 16h30 ;
  • en centre de loisirs du mercredi après-midi (13h30 – 18h30) ;

De 16h30 à 18 heures, les jours d’école, se tiennent par ailleurs les études et « ateliers bleus », sous la responsabilité du directeur ou de la directrice d’école.

Les « ateliers bleus » sont des ateliers d’initiation sportifs, artistiques et culturels assurés par des associations et des clubs sportifs sélectionnés par la Ville de Paris.

L’étude en bref

  • Plus de 300 entretiens qualitatifs
  • Une enquête approfondie auprès de 18 écoles maternelles et élémentaires avec un échantillon représentatif
  • 30 observations d’ateliers,
  • 18 focus-groupes avec des enfants,
  • Une étude des fluctuations de l’absentéisme dans 10% des écoles
  • Une étude comparative de l’offre selon les typologies de territoire
  • Une enquête quantitative auprès de l’ensemble des directeurs/trices d’école et des Responsables éducatifs ville chargés du périscolaire, 662 écoles sollicitées,
  • 1/3 des écoles ont répondu,
  • 137 200 élèves concernés.
  • Synthèse de la mission d’évaluation des rythmes éducatifs dans la ville de Paris
  • Rapport de la mission d’évaluation au format PDF

Cécile Delesalle : Vérès Consultants avait déjà travaillé dans plusieurs villes sur les anciens dispositifs d’aménagement des temps de l’enfant (qui concernaient à la fin des années 90 plus de 200 villes) dans le cadre du CESARE, instance partenariale d’évaluation sous l’égide du ministère chargé de la jeunesse. La proximité des centres d’intérêt entre nos deux structures a permis une coopération fluide et simple, bien utile en raison de l’ampleur du travail et des délais très courts : l’étude initialement prévue sur 16 mois à dû finalement être réalisée sur deux fois moins de temps. A la rentrée 2013, les aménagements des rythmes éducatifs à Paris, concernaient 662 écoles et 137 200 enfants. C’est dire si nous n’étions pas de trop pour mener ce travail.

Gérard Marquié : Pour l’INJEP, l’intérêt était de travailler avec des partenaires qu’il connait bien et aux méthodes proches. Cette évaluation s’inscrit dans une complémentarité avec les autres missions de l’INJEP : réalisation d’études, centre de ressources et valorisation de la recherche dans les domaines de la jeunesse. Seul, l’INJEP n’aurait pas pu réaliser cette évaluation, d’où l’idée d’un « consortium » mettant à profit nos méthodes partenariales et mobilisant l’expertise déjà acquise sur nos axes de travail récurrents comme l’éducation partagée, l’évolution des métiers de l’animation et des qualifications des professionnels de jeunesse. Il s’agissait également pour nous de travailler en résonance avec les préoccupations du champ jeunesse et sports, et tout particulièrement, avec celles des services déconcentrés qui participent à l’élaboration des projets éducatifs territoriaux (PEDT). Sur le plan scientifique ce travail rejoint les études que nous produisons sur l’évolution des politiques publiques et la question de la complémentarité entre les acteurs.

Fabienne Messica : J’y vois aussi un intérêt méthodologique. Une évaluation en marchant, ce n’est pas figé. C’est un processus au cours duquel nous affinons au fur et à mesure nos outils d’enquête et d’analyse. Comme le sujet est sensible et que l’évaluation se déroulait en pleine période électorale, il fallait, pour respecter les exigences techniques, éviter que l’agenda politique ne vienne percuter ce travail par des instrumentalisations politiques ou catégorielles… Je pense que nous y sommes parvenus même si, bien évidemment, nous ne savons pas pour le moment lesquelles de nos préconisations seront suivies d’effets.

Par ailleurs, la taille de la ville oblige à adapter les outils et les méthodes pour dégager des résultats significatifs : avec un taux de réponse à l’enquête quantitative supérieur à 30%, nous avons réussi je pense à bien articuler les phases et les méthodes qualitatives et quantitatives. Comme c’est la première année de mise en œuvre de la réforme, pour nous, l’un des enjeux était aussi de construire des outils d’évaluation fiables pour une évaluation en continu. Enfin et c’est important de le mentionner : nous n’étions pas missionnés pour réfléchir à une nouvelle organisation des séquences temps. Pour certains acteurs qui souhaitaient une remise à plat complète, c’est sans doute une déception mais toute évaluation s’inscrit dans un cadre.

Comment avez-vous procédé ?

Cécile Delesalle : Nous avons commencé par des entretiens de cadrage avec les différents acteurs de la réforme : techniciens, services de la ville, élus, organisations syndicales, fédérations de parents d’élève et par une étude exploratoire sur un petit échantillon d’écoles maternelles à partir de laquelle nous avons dégagé des indicateurs. Des observations se sont également déroulées dans des ateliers. Une étape indispensable, parce que les changements à l’œuvre étaient énormes. On est passé d’une offre périscolaire qui touchait en moyenne 30% des enfants parisiens (tout confondu, goûters maternelle, études surveillées et ateliers en élémentaire) à une offre qui en touchait 80%. Rappelons par ailleurs que seulement 13,5% des élèves parisiens accédaient aux ateliers bleus, c’est -à -dire à de vrais ateliers. C’est un saut quantitatif et qualitatif considérable.

Fabienne Messica : A titre d’exemple, nous avons dégagé des indicateurs qualitatifs (coopération dans les écoles, mise en cohérence de l’offre), des indicateurs de niveau de qualité (taux d’intervention associative, qualification des animateurs, ancienneté, type de contrat, turn-over des participants), des indicateurs sur l’égalité d’accès (la fréquentation des ateliers en fonction des publics et des quartiers, les ressources extérieures mobilisables selon les quartiers), sur la mixité de genre car il est important qu’il n’y ait pas d’assignation liées au genre dans les contenus des ateliers auxquels s’inscrivent les enfants etc. Concernant la question de la fatigue très souvent évoquée par nos interlocuteurs, en particulier les enseignants, l’absentéisme nous a semblé également un bon indicateur. Il a fait l’objet de notre part d’une enquête spécifique. L’accidentologie est aussi un indicateur fiable. Mais il faudra comparer les résultats sur plusieurs années pour réellement les faire parler.

Quelles sont les conclusions les plus marquantes ?

Fabienne Messica : Elles concernent tout d’abord le système de gouvernance globale : une gouvernance centralisée permet de réguler l’offre, de faire en sorte que l’offre périscolaire soit la même pour tous. Mais cela ne suffit pas à produire de l’égalité puisque dans certains quartiers, il faut corriger des inégalités structurelles (pauvreté, équipements) et d’environnement. Nos propositions vont dans le sens d’une meilleure articulation des gouvernances centrale, locale et micro-locale (à l’échelle des écoles). Autre point essentiel : la coopération entre les acteurs. Celle-ci demande à être davantage formalisée. Il faut de nouvelles pratiques, une articulation avec les projets d’écoles et mettre au cœur du projet la cohérence entre le scolaire et l’éducatif. Il importe encore de développer des pratiques participatives, y compris avec les enfants, en permettant des expérimentations dans les écoles volontaires qui ont un projet. Nous avons également fait des propositions très concrètes autour de la formation, de la qualification, de la reconnaissance inter-acteurs et de la nécessité de repenser les espaces. C’est fondamental : on ne peut pas penser le temps sans penser l’espace.

Cécile Delesalle : Les principaux facteurs de plus ou moins grande réussite que nous avons identifiés sont la relation entre le directeur (trice) d’école, le responsable éducatif ville (REV) et les différentes ressources des territoires. Certains directeurs d’école, même lorsqu’ils sont en désaccord avec la réforme, travaillent étroitement avec le REV ; d’autres sont en retrait, ne s’entretiennent pas avec les animateurs, ne cherchent nullement à fluidifier leurs relations avec les enseignants, voire, expriment clairement leur hostilité. Nous préconisons de renforcer la coopération entre le REV et le directeur d’école et entre les équipes enseignantes et les animateurs. Concernant la question de l’égalité, nous observons que dans les écoles où les catégories socio-professionnelles supérieures sont plus représentées, les parents sont davantage en mesure de peser avec leurs exigences. Résultat : ils peuvent obtenir avec un coût identique pour la collectivité de meilleurs services, comme, par exemple, l’intervention d’associations chevronnées qui ont l’habitude de travailler dans ces quartiers, ou une plus grande participation d’enseignants à des ateliers. Au fond, pour donner la même chose à tous, il ne suffit pas de donner les mêmes moyens à tous, il faut corriger des inégalités. Voilà pourquoi nous préconisons de s’appuyer davantage sur les diagnostics territoriaux, de favoriser un échelon décentralisé pour fonctionner davantage en réseaux d’écoles et affiner l’offre périscolaire en fonction des publics, de la qualité des équipements de proximité et des ressources.

Gérard Marquié : D’un point de vue plus général, on peut dire que la réforme des rythmes éducatifs impacte l’ensemble des politiques publiques, et pas seulement dans le champ de l’éducation. En effet, elle questionne la complémentarité entre les acteurs, la visibilité des associations, la dynamique territoriale ou, encore, l’articulation entre l’école et son environnement.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Gérard Marquié : La temporalité. Certains impacts, comme ceux sur l’épanouissement ou la réussite scolaire, n’ont pas pu être vraiment explorés. Il faut plusieurs années pour mesurer cela. Ce recul est d’autant plus indispensable qu’on entre dans un domaine où le perçu rend délicat le rendu objectif. Les représentations des adultes jouent aussi sur les comportements des enfants. Quand un père dit que son enfant est fatigué, ce dernier va parfois se plaindre d’une fatigue qui n’est pas réelle parce qu’il ne voudra pas contrarier sa relation avec l’adulte. Les représentations des violences et des incivilités sont aussi très différentes selon qu’elles émanent des adultes ou des enfants.

Fabienne Messica : Savoir si des enfants en difficulté prennent de l’autonomie ou progressent dans des acquis, si des filles fâchées avec les maths renouent avec des activités qu’elles avaient masculinisées demande en effet de repréciser les objectifs et de prendre du recul pour mesurer les progrès. Il serait intéressant de dégager à partir d’objectifs communs des indicateurs nationaux et de comparer les « performances » des différentes modalités de mise en œuvre de cette réforme en France en s’appuyant sur des objectifs et des critères précis.

Cécile Delesalle : C’est d’autant plus vrai que cette évaluation s’est déroulée dans le contexte d’une réforme contestée qui affecte les représentations, avec des groupes de pression forts, des professions bouleversées, des professionnels encore démunis face à l’ampleur de la tâche

Fabienne Messica : En même temps, il faut relativiser la nouveauté de ces représentations et de ces conflits. L’intensité des oppositions et leur dramatisation a surpris les instigateurs de la réforme. Moi, je suis surprise qu’ils soient surpris. Ces conflits se situent dans la continuité historique des antagonismes de la société française sur les questions éducatives. On a supposé que la guerre de classes sociales autour du scolaire ne se prolongerait pas dans le périscolaire jugé moins porteur d’enjeux de réussite, du moins aux yeux des parents. Or beaucoup ont compris que le périscolaire est aussi porteur de ces enjeux, d’où cette conflictualité mais aussi, un surcroît de reconnaissance plutôt positif.

Gérard Marquié : Ce que vous décrivez là induit qu’il y a des compétences au service des valeurs. Si le périscolaire est présenté comme une simple offre, il appelle de la part des parents, et, dans une certaine mesure, de la part du corps enseignant une réaction de consommateur. En revanche, si cette offre se décline en fonction d’objectifs éducatifs transversaux comme la citoyenneté, le développement durable, l’égalité d’accès à la culture, etc., ce peut être ressenti d’une manière différente. On peut penser que les valeurs et les objectifs politiques, dès lors qu’ils sont affirmés, peuvent désamorcer les peurs des enseignants qui craignent la réduction de leur périmètre d’intervention, ou celles des parents qui redoutent la baisse de qualité des politiques éducatives, en voyant les enfants avec des animateurs jugés de moins bon niveau que les enseignants.

Que préconisez-vous par ailleurs ?

Fabienne Messica : Si l’on veut que l’esprit de la réforme soit respecté dans le cadre d’une mise en œuvre territoriale, communale ou intercommunale, il faut mettre des moyens dans l’accompagnement des territoires, sinon les politiques locaux, pris entre les contraintes de la loi, les contraintes budgétaires et la pression des différents groupes concernés, auront de grandes difficultés à impulser une vraie politique éducative territoriale. Accompagner c‘est convaincre, concerter et bien concerter. A mon sens, la vraie concertation est formative, elle ne peut pas reposer sur des méthodes de sondage. Pour les collectivités qui ont déjà appliqué la réforme, l’évaluation va permettre de relancer le dialogue avec tous les acteurs et de progresser en améliorant le cadre ou en le modifiant. Pour les autres, l’expérience des premières va permettre des concertations de type formatives.

Il est temps – et la réforme en fournit l’occasion – de sortir de la logique d’empilement des temps de l’enfant et de répartition étanche entre le secteur scolaire et celui de l’animation au profit de logiques de renforcement réciproque du scolaire et du périscolaire. Si on veut apaiser, il faut, à la fois, promouvoir une répartition qui rassure chacun sur son identité et s’engager dans un partage avec par exemple des formations communes pour les enseignants, les animateurs, les ASEM (agents spécialisés des écoles maternelles – NDLR).

C’est là l’enjeu de cette réforme ?

Fabienne Messica : L’école, c’est une communauté avec des enfants, des enseignants, une direction. Vous ouvrez cette communauté à un panel très large de professionnels issus de l’animation, des champs associatifs, de l’éducation populaire, des institutions culturelles et sportives etc. Maintenant est-ce qu’on fabrique une communauté éducative solidaire qui intègre l’altérité ou est-ce qu’on va vers un cumul d’activités sans liens entre elles et des professionnels qui se renferment ? L’enjeu politique et éducatif, c’est la cohérence mais c’est aussi la cohésion entre les acteurs éducatifs, laquelle repose sur une reconnaissance de légitimité, de compétence et pas sur une répartition étanche et presque sécuritaire des champs d’intervention. Il faut former les acteurs à travailler ensemble pour dépasser les logiques défensives au profit de démarches créatives qui intègrent les différentes facettes de l’éducation.

Propos recueillis par Roch Sonnet

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