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Les médias qui s’intéressent peu ou prou à la refondation de l’école et à ses conclusions ont réussi, avant leur publication officielle, à se procurer deux textes, l’exposé des motifs et le projet de loi.
J’ai suffisamment grogné ici-même à propos du chantier de la refondation de l’école et du tour mollasson qu’il prenait pour ne pas hésiter, non à me laisser aller à un fol enthousiasme, mais à heureusement observer que le numérique commence à prendre dans cette refondation, peu à peu, la place qui lui est due. J’y reviens.
J’avais noté, dans ce billet récent, la faible place que le rapport remis, après l’été, au ministre à propos de la refondation de l’école, faisait au numérique, relégué à la 3e et dernière partie, dans le point n° 2 d’un 4e alinéa, à la 49e page d’un rapport qui en contenait 52.
Ce qui nous est proposé aujourd’hui et qui devrait s’approcher du texte de loi définitif, est beaucoup plus intéressant et consistant, sur bien des points. Je cite, dans l’exposé des motifs, en premier lieu :
« Le projet de loi s’articule autour de cinq grands axes : […]
– faire entrer l’école dans l’ère du numérique afin de prendre véritablement en compte ses enjeux et atouts pour l’école… »
« La qualité d’un système éducatif tient d’abord à la qualité de ses enseignants : il s’agit donc en premier lieu d’assurer aux personnels enseignants et d’éducation une formation initiale et continue qui leur permette d’exercer leur métier dans de bonnes conditions. Les technologies numériques sont en train de transformer le système éducatif. Il s’agit d’une transformation radicale des modes de production et de diffusion des savoirs, mais aussi des rapports sociaux. Une nouvelle ambition pour le numérique doit donc être inscrite au cœur de la refondation de l’école : celle-ci doit prendre le tournant et apprendre à former ses élèves par et pour le numérique. »
On ne peut pas être plus clair ! Je note ce qui me semble le plus important et qui contraint le reste : « il s’agit d’une transformation radicale des modes de production et de diffusion des savoirs, mais aussi des rapports sociaux ».
Il y aurait sans doute à discuter le terme de « production des savoirs » où, sans doute, le ministre et ses conseillers ne voient-ils peut-être pas la même réalité que celle à laquelle j’aspire, pour ma part, voir cet article.
Je continue, toujours dans l’exposé liminaire :
« Il est proposé d’y [dans l’article 4 qui modifie l’article L. 111-2, qui définit le droit à l’éducation] préciser que la formation scolaire développe les connaissances, les compétences et la culture nécessaires à l’exercice de la citoyenneté dans la société de l’information et de la communication. La maîtrise des technologies numériques est essentielle pour que les élèves puissent s’en servir dans leurs études et leurs loisirs et s’insérer dans une société intégrant de plus en plus ces technologies. L’école doit prendre en charge cette éducation au numérique pour éviter que ne se creuse une fracture numérique, vecteur de nouvelles formes d’inégalités. »
Culture, citoyenneté, maîtrise, égalité… Que de beaux et jolis mots, ainsi accolés au projet numérique pour l’école !
Dans un nouveau chapitre intitulé « Section 3 : Le développement de l’enseignement numérique », on lit les propositions suivantes :
« L’article 10 propose de modifier […] afin de mettre en place un service public de l’enseignement numérique et de l’enseignement à distance. Le service public de l’enseignement numérique permettra de prolonger l’offre des enseignements qui sont dispensés dans l’établissement et de faciliter la mise en œuvre d’une aide personnalisée aux élèves. Il mettra aussi à disposition des enseignants des ressources pédagogiques, des outils de suivi de leurs élèves et de communication avec leur famille, ainsi que des contenus et services destinés à leur formation initiale et continue. Il permettra, enfin, d’assurer l’instruction des enfants qui ne peuvent être scolarisés en établissement. »
Un service public d’enseignement en ligne, pour l’aide personnalisée et le suivi, pour les élèves non scolarisés, voilà qui est novateur ! Un service public d’enseignement en ligne pour la formation initiale et continue des enseignants, voilà qui n’est pas novateur mais qui vaut la peine d’être réaffirmé et soutenu !
Lisons la suite :
« L’article 11 propose de remplacer la section […] initialement consacrée aux « enseignements de technologie et d’informatique », par une section consacrée à « la formation à l’utilisation des instruments et des ressources numériques ». L’article L. 312-9 sera remplacé par des dispositions précisant que cette formation est dispensée progressivement de l’école au lycée, et comporte notamment une sensibilisation aux droits et devoirs liés à l’usage de ces instruments et ressources. Cette formation s’insère dans les programmes d’enseignement et peut faire l’objet d’enseignements spécifiques. »
Voilà qui est intéressant parce que jamais écrit. On laisse de côté la technologie et l’informatique sclérosantes pour réaffirmer l’importance d’une culture numérique citoyenne et responsable. Voilà qui devrait voir s’insurger les habituels lobbys de l’informatique !
Un point reste obscur : qui va s’en charger ? « Cette formation s’insère dans les programmes d’enseignement » propose le rédacteur. Ce serait, à mon avis, l’idéal : ce chantier mérite de traverser les disciplines et d’être partagé. Pourtant, je suis moins optimiste : l’exemple de l’éducation aux médias le montre bien qui devait être, elle aussi, partagée mais qui, bien qu’inscrite dans les contenus d’enseignement, n’a été enseignée, de ci, de là, que de manière très marginale par de seuls enseignants volontaires.
« Cet enseignement peut faire l’objet d’enseignements spécifiques », propose in fine le rapport. On voit bien qu’il y a là comme une hésitation. S’agit-il d’un rêve prospectif d’une nouvelle discipline ? En attendant, je ne peux que réitérer la proposition que j’avais faite dans cet article, de faire des professeurs documentalistes, en collège comme en lycée, les maîtres d’œuvre de cet enseignement à la culture numérique, aux médias et à la culture informationnelle.
Nouvelle orientation fondamentale :
« L’article 12 vise à simplifier l’application du code de la propriété intellectuelle en élargissant le domaine de l’exception pédagogique (qui permet la représentation ou la reproduction d’extraits d’œuvres à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement sans avoir à demander préalablement l’autorisation aux auteurs ou aux ayants-droit). Il s’agit notamment de favoriser l’usage des ressources numériques : celles-ci peuvent permettre d’enrichir considérablement le contenu des enseignements. L’exception pédagogique est actuellement limitée à des « extraits d’œuvres » et exclut les extraits provenant d’un support numérique. L’article, par une modification de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, propose donc d’une part d’élargir l’exception pédagogique aux sujets d’examen et de concours organisés dans la prolongation des enseignements et d’autre part de permettre aux enseignants d’utiliser des extraits d’œuvres disponibles via une édition numérique de l’écrit. »
Cela ne se décrète pas. Je pressens d’âpres et longues discussions suivies de dures batailles avec les ayants droit de tout poil qui, obscurantistes insensibles au paradigme numérique, ne seront pas disposés à se laisser faire. On est très loin du but à atteindre qui, à mon avis, ne serait encore qu’un pis-aller.
Concernant les examens et concours, je regrette, pour ma part, que ce texte s’arrête là. On attendait un peu plus de volontarisme pour y contraindre à l’utilisation de ressources numériques en ligne. J’ai déjà dit que ce préalable serait une des conditions capables de favoriser largement les usages numériques en classe, dans les enseignements, au quotidien.
La suite est aussi très intéressante :
« L’article 13 modifie […] afin de préciser que l’Etat a à sa charge les dépenses à caractère pédagogique des collèges, lycées et établissements d’éducation spéciale. En revanche, la maintenance, indispensable au bon fonctionnement des équipements, est liée à l’acquisition et au renouvellement des matériels et revient donc aux collectivités. »
« La maintenance […] revient donc aux collectivités ». Voilà qui est clair et net. Une autre raison, à mon avis encore, des échecs renouvelés du numérique, revient à la gabegie et à l’incurie qui régnaient dans ce secteur de la maintenance. Longtemps, l’État et les Régions, réunies dans l’ARF, ont joué au plus malin, se rejetant mutuellement la responsabilité de ce chantier si important, dont les attributions précises avaient manqué dans les lois de décentralisation. Ce texte remet enfin les pendules à l’heure. À condition de bénéficier des moyens nécessaires, la maintenance, y compris donc les personnels chargés de la prendre en charge, est déléguée aux collectivités territoriales. On sait que certaines d’entre elles, plus riches ou lasses d’attendre des textes clairs, avaient commencé et négocié des marchés d’attribution à des entreprises privées spécialisées dans ce secteur. Pourquoi pas ? Il y aura là sans doute pour l’État et les académies à travailler de concert avec les collectivités pour la définition des cahiers des charges.
« Cette clarification de la répartition des compétences entre Etat et collectivités territoriales permettra notamment une meilleure prise en charge de la maintenance des équipements informatiques, et favorisera ainsi l’utilisation du numérique par les enseignants. La première cause d’une réticence des enseignants en la matière réside en effet, d’après le dernier rapport du conseil national du numérique, dans la crainte d’une panne ou d’un dysfonctionnement lors d’une séquence de cours. »
Qu’est-ce que je disais ! Continuons notre lecture attentive :
« L’article 31 propose de préciser […] que l’initiation économique et sociale et l’initiation technologique, au collège, incluent une éducation aux médias numériques. Le numérique permet en effet d’accéder à des sources d’information nouvelles, que les élèves doivent apprendre à utiliser. »
Vœu pieux, mais réaffirmation de l’importance d’une éducation aux médias, dont ce texte observe aussi qu’ils sont tous numériques. Mais qui est responsable de cette initiation économique, sociale et technologique ? Sans doute s’agit-il là encore d’un chantier partagé ? Mon optimisme baisse d’un cran quand on prend conscience de la valeur et de la réalité des pratiques de partage dans nos établissements d’enseignement.
La lecture attentive du deuxième document, proposition du texte de loi, n’apporte rien de nouveau, sinon quelques précisions, les grands principes et les intentions ayant été détaillés dans le premier. Pourtant, concernant les ressources numériques, qui seraient proposées via un réseau professionnel qui offrira une plateforme d’échange et de mutualisation — vous avez dit échange et mutualisation ? —, on apprend — et c’est encore une nouveauté — qu’une incitation serait faite de proposer des contenus et services numériques libres. J’en connais que l’intention va réjouir !
De même, on peut noter que :
« Les ressources numériques éducatives des grands établissements éducatifs, culturels et scientifiques seront mises à disposition gratuitement des enseignants à des fins pédagogiques. »
Là aussi, je prédis de belles batailles juridiques. C’est pourtant bien le moins que le service public se doit à lui-même !
Je regrette pour ma part la faiblesse, voire l’inanité, de l’incitation dans cette phrase :
« La prise en compte du numérique sera également inscrite dans les plans académiques et nationaux de formation des enseignants et des corps d’inspection et d’encadrement. »
Si c’était déjà le cas pour beaucoup d’académies qui avaient proposé des formations dans ce cadre aux enseignants, la simple réaffirmation de l’importance de la formation de l’encadrement ne me semble pas adéquate aux besoins. L’encadrement, corps d’inspection et chefs d’établissement, qui a pour mission d’impulser des actions, de tracer le chemin, de montrer le cap, me paraît devoir être une cible urgente et très prioritaire de cette acculturation numérique des services pédagogiques et administratifs de l’État. On part là globalement de très très loin.
Après un rappel sur l’importance des nouvelles dispositions concernant la maintenance, déléguée aux collectivités, ce texte précise :
« Par ailleurs, les cofinancements prévus par les investissements d’avenir en matière de raccordement au très haut débit pourront être mobilisés pour raccorder de façon volontariste et prioritaire les établissements scolaires du premier et du second degrés. »
Si cela pouvait être vrai ! Le raccordement de tous les établissements d’enseignement au très haut débit (un autre très haut débit que celui des familles) est enfin indiqué comme une priorité. Il est urgent que l’État, les collectivités et les opérateurs de télécommunications coordonnent leurs efforts pour cette modernisation et cette mise à niveau, condition sine qua non du confort pédagogique.
Nombre de mes billets récents se terminaient par ces mots, un tantinet provocateurs : la refondation sera numérique ou ne sera pas. Je ne sais pas si cette exigence prophétique peut, dans l’avenir, trouver à prendre corps. Nous verrons bien. En l’état, pourtant, ces textes, s’ils sont votés par la représentation nationale, constituent un encouragement de taille pour tous les pionniers et usagers du numérique et pour la convergence bénéfique entre les pratiques de l’école et de celles de la société et des jeunes qu’elle accueille.
Michel Guillou @michelguillou